Voici un lieu bien singulier que ce Wonderground qui se trouve dans la banlieue Est de Las Vegas au 3850 East Sunset road, dans la grande salle d’un restaurant orientalo-mexicain The Olive Mediterranean Grill. Le troisième jeudi de chaque mois, Jeff McBride, le créateur-organisateur, et sa troupe d’artistes investissent les lieux à partir de 19h30 pour trois spectacles d’une heure comprenant de la magie de salon, de scène, du close-up, des performances, du body painting et de la danse. Cet endroit atypique se veut un lieu d’échange et de rassemblement où un « bœuf » magique est organisé dans une ambiance bon enfant. La salle propose ensuite une soirée dansante avec un DJ.
Les hôtes nous accueillent chaleureusement (les américains ont vraiment des leçons à nous donner sur ce point) et le maître des lieux vient personnellement nous placer à une table sur des banquettes confortables, face à une petite scène. L’ambiance est tamisée et la salle est décorée d’éléments orientaux. On peut d’ailleurs y boire et manger des spécialités mexicaines et fumer la chicha.
SPECTACLE SCENIQUE 1
Une vidéo est diffusée (une spécialité américaine) et retrace les différentes personnalités qui sont venus travailler ou rendre visite à McBride comme Criss Angel, Jonathan Pendragon, Rudy Coby, Bizzaro, Ariann Black, Mat Franco, Jay Scott Berry ou Xavier Mortimer.
Jeff McBride
McBride est un des plus grands magiciens actuels de par son parcours, sa philosophie et son influence. Très tôt, il s’intéresse à toutes les formes de magies et aux différentes incarnations du magicien (comme les vingt-deux lames du tarot de Marseille), avec une préférence pour les rituels et les pratiques spirituelles, qui l’amènent à côtoyer des sorciers, des druides et des chamanes.
Son travail combine le masque, les arts martiaux, le théâtre kabuki, les mythes, les légendes et la manipulation virtuose. Pour McBride, tout n’est que transformation de la conscience, symbolisme et métaphore de la vie. Il « célèbre » la magie au travers de ses numéros scéniques (avec notamment ses résidences à Las Vegas en 1983 au Golden Nugget, en 1984 au Hilton et au Magical Empire du Caesars Palace au milieu des années 1990), mais aussi par des manifestations cérémoniales collectives autour du cercle du feu (là où la magie est née) où se mélangent danses, musiques, incantations et magie pour revenir aux sources ancestrales et à un certain archaïsme. Le feu comme représentation du soleil et de l’universalité combiné avec la conscience des planètes, des saisons et des éléments (l’air, le feu, l’eau et la terre) pour accoucher d’une « danse de l’univers ».
Il faut dire que McBride est très actif dans le mouvement américain NeoPagan (Paganisme moderne) et il organise des événements basés sur ses recherches, sur les rituels du feu et de l’alchimie. Il joue un rôle dans le développement de l’organisation éclectique NeoPagan à Las Vegas, connue sous le nom de Vegas Vortex, qui se décrit comme une « communauté magique prospère, dédiée à la création d’événements qui célèbrent les arts sacrés de la magie, du théâtre, de la musique et de la danse ».
McBride est le fondateur de la légendaire Magic and Mystery School créée en 1992. Expert, conseiller, enseignant et conférencier accompli, il continue de parcourir le monde pour enseigner sa philosophie de la magie et ainsi créer un vaste réseau d’adeptes. A 20 heures précise, Abigail Spinner McBride présente son mari dans son numéro mythique de manipulations de cartes.
Jeff commence par la production d’un foulard jaune et fait apparaître un bouquet de fleurs. On rentre ensuite dans le vif du sujet avec la production de cartes une à une entre ses doigts et ses mains montrées vides. Les éventails de cartes font leur apparition et changent de couleurs. Un ruban de cartes sort de sa bouche (sa spéciale). Jeff effectue les cartes boomerang comme personne (sa deuxième spéciale) et produit des éventails de plus en plus petits, jusqu’à finir par disparaître.
Jeff rend hommage à ses invités de marque avec la présence de ses deux compères de la Magic and Mystery School : Eugene Burger et Larry Hass. Il présente également Suzanne Lagano, une artiste de body painting qui va peindre sur un modèle au cours de la soirée. Il laisse ensuite la parole au présentateur magicien Tim Wise.
Abigail Spinner McBride et Tim Wise.
Cette troupe composée de Deborah, Abigail, Delphine, Devon et Megan, développe une méthode pour créer de la musique et de la danse improvisée. Il n’y a pas de chorégraphie mais plutôt un style de vocabulaire du mouvement partagé pour conjuguer une danse unique dans une certaine tradition orientale.
Le groupe de trois danseuses commence sur une rythmique orientale une danse du ventre, puis improvise des mouvements avec un éventail. La musique se fait plus cuivrée et la troupe mime la tenue d’une balle qui devient de plus en plus grosse et disparaît. Pour finir, les danseuses bougent sur une musique russe.
Dans ce groupe, la personnalité de Abigail Spinner McBride se dégage, véritable muse de Jeff McBride, cette musicienne, chanteuse, danseuse, massothérapeute et magicienne à une expressivité corporelle unique et ce n’est pas un hasard si elle enseigne à la Magic and Mystery School.
John Shaw
Ce magicien fakir et cracheur de feu est spécialisé dans les expériences extrêmes et les freak show. Il nous montre un florilège de son répertoire avec l’expérience de deux pop-corn mis dans son nez et ressortis par les yeux !
Clyde McBride
St Patrick oblige, Jeff McBride arrive sur scène déguisé avec un masque et produit un bock de bière de son chapeau.
Michael Mirth
Michael Mirth est magicien, conférencier et auteur basé à Hollywood. Il combine l’illusion, la comédie, la lecture de pensée, la manipulation, les mythes et les histoires pour créer un divertissement unique. Il intervient régulièrement au Magic Castle.
Michael Mirth nous présente un bonneteau avec des cartes géantes agrémenté d’une histoire singulière où les « personnages », un homme et deux femmes, changent de place et disparaissent.
Matt Johnson
Magicien anglais résident à Vancouver au Canada, Matt Johnson est spécialisé dans une magie de style urbain ; un mélange de Street magic combinée avec un humour noir très british. Son style reflète sa personnalité entre performer tatoué et gentleman cynique, un vrai régal ! Il a participé à l’émission Wizard Wars sur SyFy en 2014.
Matt Johnson propose une expérience de mentalisme en faisant venir sur scène deux femmes et en leur faisant choisir une carte chacune dans un jeu entouré d’un élastique (Tossed out deck). Le magicien mentaliste va deviner les deux cartes par le body langage en faisant monter (un peu trop) le suspense, dans le style « N ou R, pique ou trèfle, carte à points ou figure ?… »
Richard Ribuffo
Richard The magician, fait une énième démonstration de cartes voyageuses (Cards Across) avec l’aide de deux spectateurs. Dix cartes sont distribuées de chaque côté et 3 voyages d’une personne à l’autre, à distance. Rien de neuf dans la présentation qui reste extrêmement basique, singeant même Mac King dans les mouvements au ralenti.
Kevin Hall
Ce magicien du Minnesota est aussi connu sous les noms de « The Hall’s of Magic » ou « The Magic Maniac ». Il est spécialisé dans une magie comique et décalée. Il nous présente ici The Blade of doom, une double guillotine à main. Le magicien arrive sur scène avec sa partenaire et lui arrache accidentellement sa robe, et lui remet dessus, ce qui a pour effet de faire réapparaître une robe sur elle, un quick change original.
Un couple est invité sur scène à placer leurs mains au travers d’une guillotine. Kevin Hall leur propose en apéritif The carot of death, pour tester l’installation. La carotte est bien coupée en deux. Les mains du couple sont placées dans l’orifice et menottées. Ce qui peut les sauver c’est « le pouvoir de l’amour ». La lame est baissée et les mains sont intactes. Le couple s’embrasse. Belle présentation avec ce classique revisité.
CLOSE-UP
Richard Ribuffo
Richard The magician, réalise une routine de carte choisie et retrouvée grâce à un carnet de dessin dans lequel la carte s’extrait au-dessus d’un jeu.
Weedini
Voici un magicien bien déjanté qui travaille sous stupéfiant, Weedini, « The Marijuana « Magician ». Avec son costume et sa cravate au motif de cannabis, il ne passe pas inaperçu en soirée ! Weedini a découvert ses pouvoirs magiques dans sa jeunesse, après avoir fumé de la marijuana. Il a rapidement développé « ses pouvoirs » et commencé à s’entraîner.
Consommant de plus en plus de cannabis, Weedini est devenue « The Wizard of Weed », « The Guru of Ganja », « The Prestidigitator of Pot », et « The Conjurer of Cannabis ». Il propose aux spectateurs une routine de… cigarette, bien évidemment ! Ainsi que le voyage du capuchon sur un stylo (Recap de Greg Wilson).
Michael O’Brien
Michael O’Brien est un excellent close-up man, membre de l’Academy of Magical Arts, Inc, il officie régulièrement au Magic Castle de Los Angeles.
Il commence par une routine de bague qui passe de doigts en doigts à la manière de Garrett Thomas (The ring thing), puis sort un anneau et enclave la bague dedans et la ressort, suit une routine d’anneaux chinois façon Shoot Ogawa (Ninja rings). Il sort ensuite des balles éponge d’un porte-monnaie (sans bourse) et enchaîne avec une routine classique dans la main du spectateur. C’est ensuite autour de la carte ambitieuse et de la carte voyageuse signée avec des cartes Pokémon, qui se retrouve dans une boule Pokémon. Un beau travail avec une maitrise technique remarquable.
SPECTACLE SCENIQUE 2
New World Rhythmatism
Les trois danseuses reviennent dans une chorégraphie libre à base de voiles.
Abigail Spinner McBride et Jeff McBride
Abigail et Jeff, Le couple mystique, réalisent un magnifique tableau où le voile de la danseuse flirte avec l’épée du chaman. Jeff donne un coup d’épée vers sa compagne et un foulard rouge apparaît magiquement. Abigail le saisit et le fait passer magiquement à travers l’épée, puis un nœud s’évanouit.
Jeff quitte la scène et sa femme commence une danse hypnotique avec un sabre tenu en équilibre au-dessus de sa tête. Malgré des déplacements des mouvements circulaires et des courbures, celui-ci ne tombe pas. Une magnifique communion mystique avec l’objet !
Les deux partenaires d’Abigail reviennent sur scène accompagnés du bruit des éventails de Jeff McBride qui marquent la rythmique musicale.
Jeff McBride
Nous avons l’honneur d’assister à la superbe routine du « mystère de l’eau » (The Enchanted Water Bowls), une des routines les plus emblématiques de McBride, inspirée par celle de Mickael Vadini, qui l’a travaillé depuis 30 ans.
Un bol rempli d’eau et un autre vide sont tenus entre les deux mains du magicien-chamane qui évoque le Dieu des eaux pour faire voyager le liquide d’un bol à l’autre après l’avoir bu à maintes reprises. De la poésie à l’état pur empreinte d’une universalité bouleversante. Du très grand art !
Historiquement, l’explication du principe des Chinese water bowl illusion est décrite dans The Book of Exquisite conjuring, tome 1, écrit par Conradi en 1928, sous le nom d’Aquarium Humanum. Ensuite, le tome VI de La prestidigitation sans bagages ou Mille tours dans une valise de Jules Dhotel (1936) décrit le tour sous le titre Les Bols d’eau d’Effy. En 1952, Theo Bamberg et Robert Parrish publient Okito On Magic dans lequel on retrouve The Inexhaustible Bowl (Editions Edward O. Drane & Co.) L’auteur S.H. Sharpe a mis à jour cette routine dans sa trilogie Conjurors’ Series publiée par Micky Hades (1986-1991) sous le nom de Conjuroers Principles liquids. En indexant, l’ouvrage Oriental Conjuring and Magic de Will Ayling (1981), Sharpe relève une autre version des bols chinois sous le nom de The Bowl of Water Production. La routine dans sa forme moderne est de Salvano qui l’a tenait d’un magicien polonais nommé Assan. Salvano a ensuite transmis sa version à Michael Vadini. Vadini a échangé la routine à Jeff McBride contre sa routine de la chasse aux pièces. De nos jours, Abdul Alafrez et Mimosa exécutent parfaitement ce miracle. Mimosa, sous le nom des Coupes inépuisables, décrit dans son livre Magie sans artifices, pages 145 à 151, (Éditions Magic Dream, 2005).
John Shaw
Le Borderline John Shaw nous revient dans un numéro classique de cracheur de feu. Il s’arrose la main d’eau de feu et craque une allumette pour enflammer le tout.
John Shaw enchaîne avec un tour classique et ringard : Les foulards du XXème siècle ! Hors propos…
Il place ensuite une mèche sur une perceuse et se l’enfile dans le nez comme le célèbre tour du clou. Il met sa langue à l’épreuve d’un piège à souris, puis accroche deux coupes remplies d’eau à ses paupières grâce à deux crochets et deux chaînes. Il finit par avaler un ballon gonflé et boit de l’eau. Une fin en forme d’anti-climax, tant l’expérience des bols est forte.
Matt Johnson
Le magicien tatoué revient avec le tour du fil coupé et raccommodé (Gypty thread) en hommage à Eugene Burger, présent dans la salle. Une version avec un fil fluorescent comme le magnifique moment de poésie d’Alain Choquette.
Le fil hindou est déjà pratiqué au XVIe siècle. On en trouve la trace dès 1520, puis Jean Prevost en fait une description dans La première partie des subtiles et plaisantes inventions (1584). Les grands magiciens ayant travaillé cette routine symbolique se nomment Fred Kaps, Marconick, Jacques Delord, Gaëtan Bloom, Ricky Jay, Orson Welles et Eugene Burger. Ce dernier présentant l’effet Shakespearean Thread ou le fil est coupé avec la flamme d’une bougie. Le texte raconte la destruction et la reconstruction du monde par Brahma, Vishnu et Shiva. Johnson, rend encore un hommage, en la personne de Paul Daniels et de sa routine d’anneaux chinois au travers d’une séquence d’enclavements de bagues empruntées façon Himber rings.
Une routine que l’on doit à Richard Himber sur une idée de Persi Diaconis au début des années 1960. L’effet serait apparu bien plus tôt avec le père d’Okito, David Tobias Bamberg (1843-1914) qui pratiquait l’enclavement de neuf bagues !
Clyde McBride
McBride revient grimé et exécute une transformation d’un foulard avec un imprimé différent dans son poing. Il finit par une production d’un bock de bière de son chapeau.
Kevin Hall
Place à la grande illusion avec une version de la femme sciée en deux, The blade coffin. La partenaire de Kevin Hall entre dans la boîte et est transpercée de 14 grandes lames, de plus en plus grosses. Elle ressort, bien évidemment intacte, en ayant changé de robe.
Will Bradshaw
Le magicien escapologiste invite deux hommes forts sur scène pour le ligoter comme un lapin. Ils le ficelle de partout avec des nœuds. Bradshaw a deux minutes pour se libérer de 30 mètres de corde !
Un numéro d’évasion impressionnant dans la tradition de Houdini. Salut des artistes et fin de cette belle soirée avec une vraie diversité artistique où tout le monde communie autour de l’art magique.
A visiter :
– Le site du Wonderground.
A lire :
– L’interview de Jeff McBride.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Sheryl Ann Garrett, Jeff McBride’s Wonderground 2017 / www.saamaui.com. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.