Mise en scène, chorégraphie : Raphaëlle Boitel. Collaboration artistique, lumière : Tristan Baudoin. Assistante artistique : Alba Faivre. Musique : Arthur Bison. Costumes : Lilou Hérin. Régie : Elodie Labat. Avec : Alejandro Escobedo, Julieta Salz. Création 2020
Ce spectacle de cinquante minutes est librement inspiré des personnages d’Orphée et d’Eurydice. Un couple se perd, se retrouve pour se perdre de nouveau. Au-delà du mythe, il est aussi question de stéréotypes, de quête de soi, d’émancipation… Raphaëlle Boitel1 organise un espace-temps minimaliste où la lumière sculpte les différents tableaux. Avec du matériel scénique réduit à une échelle et un portant, les deux danseurs-circassiens exploitent à fond les ressources de ces objets praticables en les transformant au gré de leurs chorégraphies, créant différents agrès. Le plateau est plongé dans le noir comme les abysses du royaume d’Hadès.
La scène d’ouverture est saisissante de simplicité et de beauté. Une échelle, positionnée sur sa tranche à l’horizontale entre deux plots, construit un espace clos comme une prison. Une lumière rasante à jardin crée un important contraste d’où apparaissent des mains qui entament une chorégraphie en simultanée. L’expressivité de ces quatre mains hypnotise les spectateurs dans un va et vient entre les barreaux de l’échelle. Dans un second temps, l’échelle est rabattue à plat ce qui permet aux deux interprètes de faire apparaître leurs têtes et leurs corps, chacun leur tour comme dans un castelet. Par exemple, la tête de la femme apparaît en même temps que les pieds de l’homme, ce qui créent de drôles de chimères. Ils se cherchent mais ne se trouvent pas. L’échelle est alors mise à la verticale par l’homme et la femme monte dessus. C’est ensuite au tour de l’homme de grimper dessus. Ils cherchent tous les deux la lumière, une porte de sortie dans les profondeurs de l’enfer.
Les deux interprètes changent d’accessoire et un portant rempli d’habits apparait sur scène. Il va être utilisé comme écran d’où sortira et entrera l’homme et la femme. Une espèce de frontière modifiant l’espace et le temps et débouchant toujours sur le néant, le vide comme une boucle à l’infini (on pense ici à Orphée de Cocteau). Un beau moment voit la femme se cacher dans les vêtements, les pieds sur les barres du portant, enfilant un manteau et disparaissant de dos, suspendue par un cintre. Une fois débarrassé de tous les habits, jetés en l’air par l’homme, le portant se transforme en miroir où les deux interprètes regardent le reflet de l’autre.
Une autre très belle séquence, sans artifices, met en scène un « cache-cache » où les deux interprètes ne croisent jamais leurs regards. L’un derrière l’autre, les mains de la femme apparaissant sans cesse devant le corps et le visage de l’homme comme pour l’attirer vers les ténèbres. Il faut souligner l’extraordinaire travail de la lumière qui arrive à créer des espaces de vide, d’angoisse et d’espoir avec une économie de moyen bluffant. Une lumière plastique, sensorielle et métaphorique qui provoque des effets optiques et des jeux d’apparitions/ disparitions. On pense aux effets des clairs obscurs du Caravage ou des Outrenoirs de Soulages. Pour parfaire cette virée dans les couloirs du temps et de l’oubli, chaque tableau est magnifié par une musique entêtante, onirique et originale d’Arthur Bison. Des compositions entre romantisme, minimalisme contemporain et industriel.
Note :
1 Metteuse en scène et chorégraphe, Raphaëlle Boitel commence le théâtre à l’âge de six ans. Repérée par Annie Fratellini, elle intègre en 1992 l’École Nationale des Arts du Cirque Fratellini. De 1998 à 2010, elle travaille avec James Thierrée et s’illustre dans La Symphonie du Hanneton et La Veillée des Abysses. Parallèlement à ces treize années de tournées, elle est interprète au théâtre, au cinéma, dans des films télévisés (dirigée par Marc Lainé, Lisa Guédy, Graham Eatough, Luc Meyer, Colline Serreau, Jean-Paul Scarpita…), elle participe à des évènements (Jean-François Zygel), tourne dans des vidéos clips et se produit sur de longues périodes dans différents cabarets à New York, Miami, Londres… En 2012, elle travaille sous la direction d’Aurélien Bory dans Géométrie de Caoutchouc, fonde sa propre compagnie et travaille sur ses premières créations personnelles. En 2013, elle met en scène son premier spectacle Consolations ou interdiction de passer par-dessus bord, avec trois artistes de l’Académie Fratellini, et chorégraphie l’Opéra Macbeth à la Scala de Milan, mis en scène par Gorgio Barberio Corsetti. En 2014, elle crée L’Oublié(e) spectacle grande forme de « cirque théâtre ». En 2015, 5èmes Hurlants qui rend hommage au cirque. Peu après, elle chorégraphie l’Opéra La Belle Hélène au Théâtre du Châtelet, mis en scène par Gorgio Barberio Corsetti et Pierrick Sorin. En 2017, elle écrit et interprète un solo forme courte La Bête Noire, métaphore de son passé de contorsionniste. Cette année-là, elle chorégraphie également L’Opéra baroque Alcione à L’Opéra-Comique, mis en scène par Louise Moaty et dirigé par Jordi Savall. En 2018, elle crée sa 3ème grande forme : La Chute des Anges.
À lire :
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