Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
C’est venu assez naturellement pour moi. Mon père Willy « Wilando » Andreassen était un magicien, et quand j’avais 10 ans, il m’a introduit dans le monde de la magie. C’était un artiste de terrain pendant la Deuxième Guerre mondiale en Norvège, et il a été fait prisonnier par les Allemands, qui occupaient notre pays. Mon père a réussi à s’échapper de sa cellule avec 5 autres hommes de la résistance en franchissant les montagnes de la Suède. C’est dans ce pays qu’il a ensuite rencontré ma mère.
A travers mon enfance, mon père gardait des secrets et m’hypnotisait avec ses tours. Je me souviens quand j’avais 5 ans comment il parvient à faire passer une carte à jouer dans le papier peint du mur du salon, en donnant l’illusion que cette dernière avait traversé la matière pour ressortir visuellement de l’autre côté. Je suppose que c’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Mon père a été mon premier mentor bien évidemment. Il m’a aidé à créer mes tours et à réaliser mes propres manipulations. J’ai ensuite rejoint un club magique nommé Ken Hardy´s Magic club dans lequel je suis resté quelques années. A 12 ans, j’ai rejoint le Cercle magique suédois qui m’a permis de participer au Championnat suédois et nordique. En 1982 et 1983, j’ai fini à la deuxième place, et en 1982 j’ai eu la médaille d’argent en manipulation, dans le Championnat nordique. Mais le plus important, fut la rencontre avec d’autres jeunes de mon âge pour échanger des idées.
Thorsten Andreassen en 1984. Photo promotionnelle en magicien classique.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Tout d’abord, je dois remercier mon père qui est maintenant mort depuis bien des années. Mais celui qui m’a vraiment donné un coup de pied aux fesses pour devenir un magicien professionnel et un artiste fut mon frère aîné Lorang Andreassen. Il m’a forcé et m’a aidé à m’organiser et à commencer à penser en termes d’affaires, à me voir comme « un produit à vendre » sur le marché du divertissement.
Thorsten Andreassen avec Marta Oldenburg dans le spectacle Hugo Berns Wonderful Universe. Plus de 100 représentations au Berns Saloons en 1995 et 1996. Une production Gycklargruppen en collaboration avec Berns Salonger (Photo: Joakim Strömholm).
La reconnaissance est venue quand j’ai formé et lancé une troupe de spectacle en 1987, nommé Gycklargruppen (Le groupe des Bouffons). Nous étions 7 membres au départ, puis 5 membres par la suite avec des disciplines différentes : illusionniste, magicien, jongleur, acrobate. Mise à part mon obligation artistique envers le groupe, j’étais également en charge du marketing de la troupe et ce pendant plus de 20 ans.
Nous sommes rapidement devenus célèbres en Suède pour notre style unique. Nous avons fait beaucoup de télévisions, et nous avons participé à différents programmes de divertissements. Nous avons écrit des scénarios pour nos propres émissions de télévision. Nous avons été invités à des spectacles, ainsi qu’au Royal Dramatic Theatre, qui nous ont ensuite contacté pour participer à différentes pièces de théâtre dans ce prestigieux lieu.
Routine de Cups’n Balls dans le spectacle Hugo Berns Wonderful Universe en 1995-1996 (Photo: Joakim Strömholm).
L’une des personnes les plus importantes du théâtre était l’acteur et le directeur Hans Klinga qui a vraiment aimé notre style et a voulu commencer à nous diriger. C’était un amour artistique mutuel à la première rencontre. Il a vraiment compris notre travail, même s’il vient du théâtre classique. Il nous a fait travailler le personnage et la dramaturgie. Hans Klinga fut l’une des personnes clés, avec mon frère, qui m’ont aidé dans ma carrière.
Les gens de l’époque appelaient notre travail du « nouveau cirque », mais nous, nous pensions que nous faisions quelque chose de différent et que ce genre de spectacle était développé à Paris ou à Montréal. Nous voulions créer notre propre mouvement. Aujourd’hui, quand je regarde en arrière, je conviens que nous étions les précurseurs du nouveau cirque en Suède. Ce qui a probablement été la raison pour laquelle nous sommes devenus si intéressants en tant que groupe.
L’autre facteur important de notre troupe Gycklargruppen fut nos origines urbaines. Nous avons tous commencé à faire des spectacles de rue, ce qui nous a formé à l’improvisation, qui est un ingrédient important pour réussir dans ces conditions. Nous avons transporté l’esthétique de la rue dans les salles de théâtre, en « détruisant » le quatrième mur, ce que personne n’avait fait avant nous en Suède.
Retour de la troupe Gycklargruppen en 2010 au Subtopia Festival. Spectacle d’inauguration de la nouvelle salle de cirque à Alby en dehors de Stockholm (Photo: Tony Fiede).
Gycklargruppen est devenu ma famille pendant 20 ans grâce à une incroyable synergie entre nous cinq. Et je dois dire que sans mes chers collègues, Bert Gradin, Fredric Sanabria, Hans Nyberg et Per Dahlström, je ne serais probablement pas l’artiste que
Je suis aujourd’hui. Tout au long des années avec Gycklargruppen, nous avons produit environ une douzaine de performances de durées variables, que nous avons joué principalement en Suède, mais aussi en Europe.
Un autre moment de ma carrière fut quand j’ai reçu un appel d’Australie de Bret Haylock, le directeur artistique de La Soirée (anciennement La Clique), pour me demander de jouer avec ma compagnie lors de leur visite à Stockholm en 2011. J’étais ravi et honoré.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je travaille comme professionnel depuis l’âge de 19 ans. Cela fait maintenant 32 ans.
Je me définis comme comédien, magicien, jongleur et performeur de stand-up.
J’ai fait environ 12 ans de stand-up dans des clubs en Suède au début des années 1990 jusqu’en 2005.
Thorsten Andreassen engagé comme performer au Stuk Mistrow Festival à Lublin en Pologne en 2013 (Photo: Eliza Duda).
En 2012, j’ai fait mon retour en tant qu’interprète de rue, et j’ai participé à 4 festivals de rue dans le monde jusqu’à présent. J’ai deux spectacles publics, que je produis le plus souvent moi-même et pour des événements d’entreprises.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Quand j’ai vu Siegfried and Roy à Las Vegas en 1984 au Frontier Hotel. J’ai été totalement KO. Quelques jours plus tard, j’ai eu l’honneur de les rencontrer lors de la convention magique d’IBM à Vegas. La même année, j’ai vu Lance Burton, qui a remporté le Grand Prix IBM. Il a charmé le jury et le public.
Thorsten Andreassen avec Siegfried au IBM Magic Convention à Las Vegas en 1984.
Plus tard, dans les années 1980 et 1990, j’ai découvert Paul Harris et Harry Anderson qui m’ont influencé de différentes façons.
Et Tom Mullica, une légende ! Il y a tant de magiciens que je pourrais citer ici, mais je m’arrête là.
A Washington en 1988, j’ai vu la toute première performance du Cirque du Soleil avec la tournée We Reinvented Circus qui m’a beaucoup inspiré depuis que j’ai formé ma troupe Gycklargruppen. Je voulais faire des choses similaires avec mes collègues à Stockholm. Nous avions à peu près le même profil que le Cirque du Soleil ; ces artistes venaient tous de la rue, travaillant comme interprète de rue. On pouvait vraiment voir cela à la façon dont les clowns performaient. En 1995, j’ai vu le spectacle Mystère au Treasure Island de Las Vegas par la compagnie du Cirque du Soleil, et j’ai été soufflé. La même année, j’ai eu des billets pour voir Blue Man Group sur Broadway à New York, Wow, j’ai tout simplement adoré. Si différent et si rafraîchissant.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La comédie magique est ce qui m’inspire le plus. Mais j’apprécie également des numéros classiques de « la vieille école ». J’aime aussi les premiers épisodes télévisuels de Criss Angel et David Blaine.
Photo utilisée pour la communication du spectacle Well It´s time to cut my hair pour son 30ème anniversaire, produit par Thorsten Andreassen et dirigé par Morgan Alling. Représentations au Boulevard Theatre de Stockholm en 2014 (Photo : Mattias Edwall).
Quelles sont vos influences artistiques ?
Depuis que j’ai choisi le chemin de la comédie, comme la plupart de ma génération, Charlie Chaplin a été une inspiration énorme, tout comme Laurel et Hardy et Buster Keaton. Bien sûr, j’étais un grand fan de Tommy Cooper et George Carl ! Plus tard, Steve Martin est devenu une énorme inspiration, quand j’ai découvert qu’il a commencé comme magicien comique et jongleur. Je suis fan de son humour.
Ces artistes m’ont tous influencé sur le chemin de la comédie, tout comme Les Umbilical Brothers d’Australie, un couple de mimes brillants, mais aussi le ventriloque Jeff Dunham, et les comédiens de stand-up Bill Hicks et Louis CK.
Photo : Emma Von Zeipel.
J’aime aussi les nouvelles compagnies de cirque françaises comme le Cirque Plume et le Cirque Archaos, très différentes de mon style, mais toutes deux m’ont influencé au début des années 1990. Au final, une grande variété de genres et de disciplines m’influencent.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Soyez original, et écoutez votre intuition.
Bien sûr, vous devez être inspiré et copié au début, mais ce n’est pas la voie à suivre si vous voulez plus tard travailler comme un professionnel.
Ensuite, vous devez trouver votre propre style. Essayez d’avoir l’esprit ouvert. Regardez d’autres formes d’art et des disciplines qui peuvent vous inspirer dans une direction ou une autre. Soyez en contact avec d’autres domaines comme la danse contemporaine ou la communauté du cirque.
Photo : Martin Lundstrom.
Essayez d’adapter votre numéro pour le rendre simple et intelligent !
Ce que je veux dire par là est que si vous voulez gagner votre vie vous devez être capable de vous adapter au marché. Une suggestion est de rendre votre numéro adaptable par rapport au marché, afin que vous puissiez travailler à la fois pour un public d’événements d’entreprise ou pour un public de festival en plein air. Si vous pouvez trouver la bonne formule, vous multiplierez par dix vos chances d’être engagé en tant que magicien.
Il peut être bon de définir si vous voulez devenir un personnage public ou si vous voulez travailler dans le marché de l’événementiel.
Si vous choisissez la première option, vous devez faire un gros travail en termes de visibilité dans les médias (télévision et autres), posséder une chaîne YouTube… Trouver un endroit où vous pouvez jouer en louant un théâtre et vendre des billets à un public ; à ce moment-là vous aurez réussi votre objectif. Par la suite, vous devez maintenir votre statut, développer votre spectacle et bien sûr travailler pour votre public. C’est beaucoup de sacrifices, mais si vous avez la passion, cela viendra naturellement.
Photo : Tony Sandin.
N’oubliez pas d’être un personnage public. Cela n’a rien à voir avec ce que vous faites mais plus avec la personnalité que vous incarnez. Le public veut voir une personne derrière l’artiste de scène. Donc, peu importe ce que vous faites, de votre niveau technique, si vous ne travaillez pas sur votre personnage et sur l’approche de votre public, vous finirez par avoir des problèmes de reconnaissance.
Si vous choisissez le deuxième chemin et travailler comme magicien d’entreprise et d’événementiels (ce que la plupart d’entre nous ont fait pour survivre), alors c’est un peu plus facile. La « commercialisation » de soi à un niveau public est beaucoup plus difficile que de faire du marketing grâce à des « agences de Talents » et des sociétés d’événementiels. Vous n’avez pas à investir le même montant d’argent.
Photo : Tony Sandin.
Pour le marché de l’entreprise, vous devez vous adapter aux exigences de celui qui vous engage. Assurez-vous d’avoir une bonne réputation parmi les « agences de Talents ». Soyez unique et soyez à l’heure !
Cette liste de conseils peut être beaucoup plus longue…
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie contemporaine n’arrête pas d’évoluer depuis ces 10 dernières années. « Les magiciens de rues », David Blaine et Criss Angel ont ouvert de nouvelles portes pour une jeune génération de magiciens.
Photo : Tony Sandin.
Mais Criss Angel, qui est devenu un phénomène sur YouTube et qui a collaboré avec le Cirque du Soleil, nous montre que malgré le succès médiatique un magicien doit être un bon artiste et savoir performer en live ! C’est juste deux manières différentes de travailler.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
C’est une très bonne question, je dirais qu’il y a deux chemins. Que peut apporter la magie à la culture ?
Tout d’abord, je pense que le besoin d’être hypnotisé et trompé, et en même temps le besoin de croire qu’il y a une puissance ou une force supérieure est fondamentale pour beaucoup de gens et pour notre public. Quand mon père a commencé comme un magicien, dans les années 1940, il y avait réellement des gens qui croyaient à la magie pure dans le monde occidental. Aujourd’hui, la plupart des gens voient la magie comme une forme d’art ou comme un genre de divertissement. Mais si vous allez en Asie, en Amérique du Sud ou en Afrique vous trouverez encore aujourd’hui, en 2017, beaucoup de gens qui croient à la vraie magie.
Photo : Tony Sandin.
Je pense que nous avons besoin de plus de recherche et d’enseignement supérieur autour de la magie, si nous voulons qu’elle soit considérée comme une partie de la culture d’aujourd’hui.
En France, vous avez un modèle brut de société et une culture parfaite, vous avez réussi à mettre en œuvre tant de formes d’art différentes dans votre culture et cela se voit par le grand nombre de cirques d’été et d’hiver et de cabarets implantés depuis de nombreuses années. Le théâtre, le cinéma, le cinéma d’animation, la bande dessinée, la littérature, la danse et le cirque ont été « acceptés » par le gouvernement comme des arts et sont définis dans le programme de la culture. Je crois que c’est pourquoi il y a tant de bons magiciens venant de France et des régions méditerranéennes.
Photo : Carola Björk.
Je suis très curieux de voir le développement de la magie dans le futur, comment elle évoluera en une véritable forme d’art qui sera de plus en plus reconnue par l’Institut de la culture et les organismes de financement comme le Conseil des Arts, dans différents pays.
Le but est bien sûr d’amener les départements culturels à reconnaître la magie comme une forme d’art, alors je pense que nous aurons réalisé un grand pas pour notre discipline.
Nous avons beaucoup à apprendre du secteur de la danse et du cirque contemporain en termes d’infrastructures et de productions. Des domaines qui ont été reconnus dans de nombreux pays et aujourd’hui dans le monde entier depuis un quart de siècle. Par conséquent, je crois en ce réseau multidisciplinaire et je pense que cela sera crucial pour l’avenir de l’art magique.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Eh bien, je dois dire que je suis béni d’avoir la possibilité de faire ma vie en dehors de mon hobby, de me produire devant un public.
Mais mis à part la magie et le monde du cirque, j’aime regarder des films au cinéma. Suivre des séries sur HBO et Netflix. J’ai une passion enfantine pour les jeux télévisuels et j’aime regarder de grands événements de e-sports.
– Interview réalisée en janvier 2017.
A visiter :
– Le site de Thorsten Andreassen.
– Le site de Magic Thor.
Photos : Joakim Strömholm, Tony Fiede, Mattias Edwall, Emma Von Zeipel, Tony Sandin, Carola Björk, Eliza Duda et Martin Lundström. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.