Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Je suis rentré dans la magie par accident, vers l’âge de quatorze/quinze ans. Alors que j’allais au supermarché acheter un casse-tête, je suis tombé sur une boite de magie de cartes, 25 tours de cartes de Cartamundi, et par curiosité je l’ai acheté. Au début je ne pensais pas que ça allait me captiver autant, mais quand j’ai fait mes premiers tours de magie à mes amis et ma famille, et que j’ai vu les étoiles dans leurs yeux, leur bouche qui s’était entrouverte, ça m’a fasciné ! Je voulais absolument creuser plus cette merveilleuse émotion et voir où je pouvais l’amener. Deux ans après, j’ai découvert le mentalisme et j’ai réalisé qu’il me permettait une connexion plus forte avec mes spectateurs, donc je m’y suis mis.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Je n’avais pas vraiment de mentor, et mes parents n’était pas vraiment fan de ce hobby donc ne m’y encourageait pas beaucoup (étant professionnel aujourd’hui, ils ne m’y encouragent toujours pas cela dit). Alors mon seul moyen était quelques coffrets et livres que j’avais trouvé à la FNAC comme le coffret de magie de Bernard Bilis. Mais ce avec quoi j’ai vraiment le plus progressé était des vidéos internet sur YouTube, de magiciens qui expliquaient des tours et montraient des situations live où ils les faisaient dans la rue, à des mariages, etc. C’était vraiment très inspirant. J’ai ensuite commencé à regarder des vidéos d’Ellusionist et d’autres sites de magie pour essayer de comprendre les tours que je voyais afin de pouvoir les refaire moi-même ! Pour le mentalisme, c’était plutôt des livres comme Les treize étapes de Corinda ou encore les Subtilités Psychologiques de Banachek que j’ai commencé à bosser ce sujet, mais comme je n’avais toujours pas beaucoup de budget, j’essayais de sortir un maximum d’information et d’utilité chaque chose que j’achetais.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
Déjà je pense sérieusement que j’ai pu développer mon style et créer des effets grâce au découragement de mes parents. En effet, j’avais tellement peu de ressources que pour pouvoir performer et m’entrainer, j’étais obligé de me bouger et d’innover, de sortir la moindre « goutte d’eau » des livres que je lisais, de regarder pleins de vidéos pour essayer de remonter les tours, d’inventer mes propres routines, etc. En plus de ça, j’ai eu quelques rencontres qui m’ont, je pense, vraiment aidé à en arriver où je suis aujourd’hui. À mon école d’ingénieure Centrale Paris, j’ai pu rencontrer un professeur, Ludovic-Alexandre Vidal qui en plus d’être enseignant est aussi un grand nom de la comédie musicale française d’aujourd’hui, nominé deux fois aux Molières et qui a adoré mon style et m’a encouragé de me lancer avec mon spectacle sur Paris. Le seul fait d’avoir eu sa validation d’une certaine manière m’a poussé à continuer et me lancer dans cette voie. Il y a eu ensuite Nicolas Brudenn, le programmateur du Théo Théâtre, qui m’a pris sous son aile et qui m’a accueilli dans leur salle alors que je n’étais pas connu, mais il a cru en moi et mon spectacle et je leur en suis entièrement reconnaissant. Et enfin comment ne pas mentionner mon attachée de presse Dominique Lhotte et surtout mon coproducteur et très bon ami David Coudyser qui m’accompagnent dans cette belle aventure du spectacle vivant, qui m’encourage et qui font un travail exceptionnel. Finalement, je vois la vie comme un enchaînement « d’effets papillons », ce sont les petits efforts constants, les rencontres et les aléas qui ont fait qui je suis aujourd’hui.
Pour être honnête, j’aurais du mal à vous dire un évènement qui m’aurait freiné car tout obstacle qui me vient je le considère plutôt comme un challenge à résoudre et surtout j’essaie de voir comment en retirer le meilleur. Je crois que ça doit être ma formation en prépa qui m’a mis dans cet état d’esprit. Je pense que le seul truc potentiel qui me viendrait à l’esprit serait l’administratif et la pression. J’ai eu des moments hyper challengeants et difficiles il faut l’avouer, des moments où je devais gérer mes études, mon boulot, l’administratif des spectacles, mes représentations à Paris et toutes la pression sur le remplissage de la salle accentuées par les critiques de mon entourage. Il m’est arrivé quelques jours où je m’étais dit que j’en pouvais plus et que je voulais que ça cesse. Mais très rapidement je me rappelais pourquoi je m’étais lancé dans cette voie, pour émerveiller le public et leur faire vivre un moment que j’espère les aidera dans leur vie et les marquera pendant très longtemps, et cette idée-là m’a toujours redonné de la force et du courage et ne m’a jamais abandonné.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Le mentalisme à 100%, plus particulièrement le mentalisme psychologique et minimaliste. Que ce soient juste des bouts de papiers, ou du propless voire même carrément que du cold reading. Je veux créer une connexion forte et intense avec mes spectateurs et je sais que c’est dans ce champ précisément que je suis bon. Mon endroit d’intervention favori est la scène de théâtre ! Il m’arrive de faire du close-up ou encore des spectacles vendus à des entreprises, mais rien ne se compare pour moi à la sensation de créer un objet complet avec musique, lumière, mise en scène pour vraiment proposer au public une création artistique. La connexion qui se développe avec les spectateurs est d’une puissance incomparable !
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
En vidéo, une des personnes qui m’a beaucoup inspiré est Asi Wind, pour son travail et le lien qu’il arrive à créer avec son public. Une autre de mes grosses influences, et dont je suis fier de le considérer comme un ami aujourd’hui, est Peter Turner. Il a une aura autour de lui et une confiance qui règne quand il performe qui me laisse sans voix, et lui permet de réaliser de véritables miracles à deux doigts de nos visages. Et en théâtre, très peu de moments se comparent à ce que j’ai pu ressentir lors du spectacle Les Limbes, d’Étienne Saglio. Ce spectacle est jusqu’à aujourd’hui dans mon Top 3 des spectacles préférés de ma vie, toute catégorie confondue. Je n’ai jamais ressenti un vrai moment d’émerveillement aussi pur que ce qu’il avait proposé, où mon cerveau de magicien s’était forcé lui-même à s’arrêter et j’ai senti un enfant de cinq ans assis à ma place en train de s’émerveiller aux beautés du monde ! Une claque absolue ! Dernière petite mention spéciale au Syndrome de Cassandre, de Yann Frisch, qui était le tout premier vrai spectacle de magie que j’ai vu dans ma vie, et qui je pense m’a fortement influencé à essayer de sortir des terrains classiques et essayer de développer un vrai univers dans les spectacles. Alors merci Yann Frisch pour cela !
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Le mentalisme pour son côté « véritable connexion avec le public » et surtout « prise de risque constante » que j’apprécie énormément. Ensuite, je n’oublierais jamais mon premier amour pour les cartes, ces bouts de cartons à priori simples mais qui dans les bonnes mains deviennent des outils de création de l’impossible redoutables ! Le travail sur scène de la « magie nouvelle » comme mentionné dans la précédente question m’interpelle beaucoup, et même si je n’accroche pas à tous les spectacles, je ne suis jamais contre aller en voir car je trouve que c’est toujours fascinant de découvrir un groupe de personnes qui osent créer et explorer de nouveaux champs !
Quelles sont vos influences artistiques ?
Il faut savoir que ma première pratique artistique, qui est toujours très présente dans ma vie d’ailleurs, est le chant. Je chante depuis mes cinq/six ans, j’ai fait plusieurs concerts, scènes ouvertes, comédies musicales et j’étais dans plusieurs chorales semi-professionnelles. C’est pour cela que dans mes spectacles il me fallait absolument un univers musical original, et du coup j’ai travaillé avec un ami compositeur pour vraiment créer un ensemble sonore qui emmènerait le public dans un univers à part ! Je fais également beaucoup de théâtre et d’improvisation, donc créer une dimension théâtralisée et un travail de lumière symbolique et métaphorique était crucial pour moi. Un artiste que j’adore et qui m’a beaucoup influencé est James Thierrée. Son univers visuel est juste inexplicable, je vous recommande d’aller voir tous ce que ce génie produit. Et enfin, mention spéciale à l’auteur Dan Brown, pour sa réflexion sur la symbolique et les casse-têtes, et Christopher Nolan, qui a fait certains de mes films préférés et continue de prouver que pas tous les réalisateurs sont des flemmards qui vont juste produire des œuvres à l’arrache.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien et mentaliste débutant ?
Ose tester des choses, prends des risques, perform, perform, perform ! Il n’y a rien de plus formateur que le test and learn !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je trouve que la magie est devenue trop commerciale aujourd’hui et c’est vraiment dommage. De plus en plus de performeurs cherchent la simplicité, non pas en tant que propos artistique, mais juste par flemmardise. Les effets qui se vendent le mieux sont tous « super simple, grosses réactions ! » et c’est dommage car cela ne développe pas de véritable proposition et personnage artistique de chacun. La magie a vraiment le moyen de devenir quelque chose de vraiment marquant, et on voit de nouveaux artistes oser et tester de nouvelles choses, donc j’espère que ça continuera ainsi !
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Nous avons je pense, en tant que mentalistes et magiciens, un pouvoir non négligeable et une véritable influence sur nos spectateurs. L’émerveillement et le mystère sont des outils d’influence et de changement de croyances très puissants. C’est pour cela que je pense qu’un magicien et un mentaliste qui parlent d’un certain sujet doivent être connaisseurs un minimum de ce sujet-là, et ne pas tomber dans la simplicité de juste raconter quelque chose qui est « joli » et se focaliser sur les tours. Vous pourriez me dire que ce n’est pas important, que ce n’est que pour le divertissement, etc., mais ce n’est pas la réalité de la situation. Quand un spectateur sort d’un spectacle où le magicien sur scène à dit que les personnes qui clignent deux fois des yeux sont des menteurs et que c’est comme ça qu’il a su que cette personne mentait et qu’elle avait une bille noire dans sa main, le public, ou au moins une partie du public, repars avec cet apprentissage par biais d’autorité. Nous sommes sur scène, nous semblons experts de nos sujets car nous « prouvons » ce que nous racontons par la pratique. Le problème c’est que ce spectateur-là qui a retenu cette « leçon », la prochaine fois qu’il verra un de ces amis cligner deux fois des yeux, va l’accuser d’avoir menti. Et ceci crée une pratique et de mauvaises habitudes pour ces spectateurs. Alors soit on assume entièrement le côté fiction de ce que nous racontons, et c’est possible, ou alors nous avons un minimum d’éthique et nous recherchons en détail quelques éléments sur les thèmes que nous abordons en performance. Mon objectif en tant que mentaliste est que les gens repartent en ayant grandi, non pas en apprenant de fausses connaissances qui vont nuire à leur travail. Et pour ceux qui ne croient pas que ce soit possible, je vous invite à en discuter avec tous les étudiants que j’ai pu avoir lors de mes formations qui m’ont sorti des conneries et qui m’ont dit que ce sont des choses qu’ils ont appris par un magicien ou un mentaliste.
En ce qui concerne la culture des pays, je trouve qu’effectivement les différents pays n’abordent pas la magie ou le mentalisme de la même manière. Je ne peux que vous parler de mon expérience avec les pays anglophones par rapport à la mentalité française. J’ai remarqué qu’en France les spectateurs sont plus dans le challenge et le questionnement avant d’être dans le côté « je profite et je me laisse prendre par l’expérience ». Ceci a des avantages, et aussi des inconvénients. Le public anglophone va avoir des réactions plus débordantes, plus euphoriques et je trouve plus émotionnellement fortes. Ils sont plutôt dans un état d’esprit de confiance avec le magicien / mentaliste, jusqu’à preuve du contraire. Alors que le public français va être un peu à l’opposé, c’est-à dire être dans un état d’esprit sceptique, et être dans le challenge, jusqu’à preuve du contraire. Tout ce que je mets ici est bien sur uniquement basé sur ma propre expérience et il est possible que vous ayez eu une expérience drastiquement différente. En revanche, une force que j’ai trouvé à cet état d’esprit plutôt fermé de base, est qu’un spectateur français qui réagit fortement vous pouvez être sûr qu’il est vraiment dans l’émerveillement et dans l’incompréhension, alors que pour un public anglophone c’est entièrement possible qu’ils réagissent fortement par convention sociale, mais qu’après ils ne soient pas impressionnés par ce qui s’est passé. Juste quelques idées sur lesquelles réfléchir !
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Mes hobbies artistiques sont le chant, la comédie musicale et l’improvisation théâtrale. Ça me permet de garder une pratique artistique variée et fraiche. Ensuite, en hobby fun je suis un grand fan d’escape games ! J’en fais régulièrement avec des amis. Et comme beaucoup d’autres personnes j’adore le cinéma et le théâtre !
– Interview réalisée en mai 2023.
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