Ce jeune officier, quoique très joli, n’était point fait et, au contraire, paraissait homme d’esprit ; ce fut madame Gherardi qui fit cette découverte. Je voyais l’officier devenir amoureux à vue d’oeil de la charmante Italienne qui était folle de plaisir de descendre dans une mine et à l’idée que bientôt nous nous trouverions à cinq cents pieds sous terre. Madame Cherardi, uniquement occupée de la beauté des puits, des grandes galeries et de la difficulté vaincue, était à mille lieues de songer à plaire, et encore plus de songer à être charmée par qui que ce soit.
Bientôt je fus étonné des étranges confidences que me fit, sans s’en douter, l’officier bavarois. Il était tellement occupé de la figure céleste, animée par un esprit d’ange , qui se trouvait à la même table que lui, dans une petite auberge de montagne …, je remarquai que souvent il parlait sans savoir à qui, ni ce qu’il disait. J’avertis madame Cherardi qui, sans moi perdait ce spectacle, auquel une jeune femme n’est peut-être jamais insensible. Ce qui me frappait, c’était la nuance de folie qui, sans cesse, augmentait dans les réflexions de l’officier ; sans cesse il trouvait à cette femme des perfections plus invisibles à mes yeux. A chaque moment, ce qu’il disait peignait d’une manière moins ressemblante la femme qu’il commençait à aimer. Je me disais : La Chita n’est assurément que l’occasion de tous les ravissements de ce pauvre Allemand. Par exemple, il se mit à vanter la main de madame Cherardi, qu’elle avait eue frappée, d’une manière fort étrange, par une petite vérole, étant enfant, et qui en était restée très marquée et assez brune.
Comment expliquer ce que je vois ? me disais-je. Où trouver une comparaison pour rendre ma pensée plus claire ? A ce moment madame Cherardi jouait avec le joli rameau couvert de diamants mobiles que les mineurs venaient de lui donner, il faisait un beau soleil : c’était le 3 août, et les petits prismes salins jetaient autant d’éclat que la plus beaux diamants dans une salle de bal fort éclairée. L’officier bavarois à qui était échu un rameau plus singulier et plus brillant, demanda à madame Cherardi de changer avec lui. Elle y consentit ; en recevant ce rameau, il le pressa sur son coeur avec un mouvement si comique que tous les Italiens se mirent à rire. Dans son trouble, l’officier adressa à madame Cherardi les compliments les plus exagérés et les plus sincères.
Comme je l’avais pris sous ma protection, je cherchais à justifier la folie de ses louanges. Je disais à Chita : L’effet que produit sur ce jeune homme la noblesse de vos traits italiens, de ces yeux tels qu’il n’en a jamais vus, est précisément semblable à celui que la cristallisation a opéré sur la petite branche de charmille que vous tenez et qui vous semble si jolie. Dépouillée de ses feuilles par l’hiver, assurément elle n’était rien moins qu’éblouissante. La cristallisation du sel a recouvert les branches noirâtres de ce rameau avec des diamants si brillants et en si grand nombre, que l’on ne peut plus voir qu’à un petit nombre de places ses branches telles qu’elles sont. Eh bien ! Que voulez-vous conclure de là ? dit Madame Gherardi. Que ce rameau représente fidèlement la Ghita, telle que l’imagination de ce jeune officier la voit. C’est-à-dire, Monsieur, que vous apercevez autant de différence entre ce que je suis en réalité et la manière dont me voit cet aimable jeune homme, qu’entre une petite branche de charmille desséchée et la jolie aigrette de diamants que ces mineurs m’ont offerte.
Madame, le jeune officier découvre en vous des qualités que nous vos anciens amis, nous n’avons jamais vues. Nous ne saurions apercevoir, par exemple, un air de bonté tendre et compatissante. Comme ce jeune homme est Allemand, la première qualité d’une femme, à ses yeux, est la bonté, et, sur le champ, il aperçoit dans vos traits l’expression de la bonté, S’il était Anglais, il verrait en vous l’air aristocratique d’une duchesse ; mais, s’il était moi, il vous verrait telle que vous êtes, parce que depuis longtemps et pour mon malheur je ne puis rien me figurer de plus séduisant. Ah! j’entends, dit Chita : au moment où vous commencez à vous occuper d’une femme, vous ne la voyez plus telle qu’elle est réellement, mais telle qu’il vous convient qu’elle soit. Vous comparez les illusions favorables que produit ce commencement d’intérêt à ces jolis diamants qui cachent la branche de charmille effeuillée par l’hiver, et qui ne sont aperçus, remarquez-le bien, que par l’oeil de ce jeune homme qui commence à aimer. C’est, repris-je, ce qui fait que les propos des amants semblent si ridicules aux gens sages, qui ignorent le phénomène de la cristallisation. Ah ! vous appelez cela cristallisation ! dit Chita, Eh bien ! Monsieur, cristallisez pour moi !
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