J’ai vu plus d’une fois des sorciers, chez les nègres comme chez les Peaux-Rouges, accomplir des exploits qui sont de monnaie courante dans nos foires. Par exemple, les mangeurs de feu ! Tous les sorciers d’Haïti savent empoigner à pleine main des charbons ardents ou des pierres brûlantes, et sans employer, comme nos « sauvages » de Saint-Cloud, de la poudre d’amiante.
Quel truc ont-ils à leur disposition ? C’est ce que je ne saurais dire. Mais j’ai vu plus fort chez les Chippewas, l’une des plus puissantes tribus qui existent encore en Amérique du Nord. Une bande de la nation avait pénétré en territoire canadien, et selon la politique traditionnelle du Dommon, les autorités de l’Ontario cherchaient à retenir sur leur territoire ces familles indiennes, qui fournissent d’excellents trappeurs. Des villes voisines, — c’était à la fin de l’été, — on se rendait en assez grand nombre sur le point du rivage du lac Supérieur, où campaient les Chippewas : à l’heure qu’il est, c’est si rare de voir de vrais Indiens dans cette patrie des Peaux-Rouges qu’est le nord ouest canadien ! Et voici l’une des amusantes scènes auxquels j’eus l’occasion d’assister : UNE ÉVANGÉLISATION.
Un Jésuite canadien venu de Sainte-Marie, le Père L…, un des plus intrépides missionnaires qui aient jamais parcouru les solitudes neigeuses du Far-West, avait entrepris l’évangélisation des Chippewas. Ceux-ci, docilement, le laissaient faire, trop heureux d’être choyés par le bon prêtre et persuadés que la religion consiste a se laisser bourrer de victuailles et de cadeaux. Mais, à la fin, le medicine-man de la bande s’inquiéta : tout de même, si ses compagnons allaient abandonner les dieux de la tribu !
Un jour qu’au milieu d’un cercle d’auditeurs blancs, le Père, qui parlait vingt ou trente langues indiennes, catéchisait les Peaux-Rouges, le prêtre sorcier brusquement l’interpella, désignant une marmite qui chantonnait sur un feu de bois, à l’entrée d’une tente. Nous ne comprimes rien aux paroles échangées — on peut avoir fait quelques études sans être fort en chippewa — mais il est évident qu’il dressait un défi aux religieux. Et, réellement, le sorcier s’approcha du foyer, trempa sa main et son poignet dans l’eau bouillante, et les y maintint plus de cinq minutes, sans que son visage de cuivre rouge trahît le moindre signe de souffrance. Puis, d’un de ces gestes majestueux, dont les indiens ont le secret, il invita le Canadien à en faire autant.
Le Père essaya d’argumenter, mais sa mine décelait son embarras, et les visages impassibles des Peaux-Rouges s’éclairèrent d’une gaîté qui nous fit perdre notre sérieux, à nous autres Européens. Et le Père jésuite lui aussi se mit à rire, trouvant l’argument sans réplique, et peut être regrettant qu’au collège des Missions ils ne lui eût pas appris les premiers éléments de la Prestidigitation.
TALLOIRES
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.