Parlez-nous de votre formation et de votre parcours artistique
J’ai découvert la photographie durant mes études d’arts plastiques à l’université Paris 8 – Saint-Denis (au début des années 1990). Après avoir réalisé un cd-rom (18h39) en hommage à ce « vieux » medium (la photographie), puis j’ai réalisé un livre (Sauvegarde) présentant une grande collection d’images. À cette période, je tirais beaucoup de photographies en labo que je découpais, collais sur des supports épais (pour chercher à en faire des objets plus que des images), que je mettais en scène et que je photographiais à nouveau pour les mettre en abîme. En 2008, je commence à coller des images dans la rue. J’ai depuis réalisé cinq grandes « campagnes » de collage sur des sujets différents, chacune déjà avec l’idée de trompe-l’œil et d’intégration de l’image dans son environnement. Parallèlement, je suis graphiste depuis trente ans. Je me concentre aujourd’hui sur ma pratique personnelle.
Pendant vos études vous avez créé le fanzine l’Avrôssmanne. Quel en était l’objectif ?
Ce fanzine date du lycée ! Ma première expérience éditoriale collective de D.I.Y. (Do It Yourself). L’objectif était la propagande poétique. Entièrement réalisé à la photocopieuse, il contenait des textes et des dessins, pas encore de photographies…
Vous avez travaillé au journal Libération. Pouvez-vous nous raconter cette période ?
Durant mes études (1990-1994), j’ai travaillé quatre ans à différents postes admiratifs au journal Libération. Dont deux ans au service photo. J’ai vécu à ce moment-là, la transition du journal vers l’informatique. Avant, tout se faisait « à la main » y compris la maquette des textes et la photogravure des images. Les films obtenus étaient numérisés sur un gros rouleau et envoyés par téléphone chez l’imprimeur. Puis l’ordinateur est arrivé, et mes études terminées je suis allé travailler à Sketch, un studio de graphisme.
Racontez-nous votre expérience de photographe et les travaux qui en découlent. Sur quelles thématiques et quels sujets travaillez-vous ?
Ma maîtrise mettait en parallèle les discours utopiques sur la photographie au « moment » de son apparition (1839) avec les discours sur les technologies informatiques qui se développaient en 1990. Et ces discours étaient les mêmes ! Comme si l’informatique était une étape supplémentaire du développement d’une même technologie : la photographie. La photographie a connu une lente évolution depuis le daguerréotype, elle est devenue reproductible, instantanée, colorisée, animée avec le cinéma, transmise en direct avec la vidéo… Dès lors, ma pratique a consisté à interroger les nouvelles technologies de l’image à partir de la photographie (argentique à l’époque : je faisais alors mes développements de films et mes tirages à la maison…). Je voulais faire des « images de synthèse » avec de la « photographie ». Entre autres thématique, je m’intéresse à la guerre. La photographie joue un rôle important dans la guerre. Les armées la développent technologiquement pour l’observation et le renseignement, et elle sert également à la propagande. Une même photographie, légendée, recadrée différemment par les deux camps peut dire tout et son contraire… un genre de trompe-l’œil.
Comment vous êtes-vous intéressé au trompe-l’œil et pourquoi l’avoir intégré dans vos travaux photographiques ?
De par son obtention mécanique, pour beaucoup, ce que représente la photographie est « vrai ». J’intègre donc des trompe-l’œil dans mes photographies afin que le spectateur s’interroge sur la nature de ce qu’il regarde : qu’est-ce qui est « vrai » ? Qu’est-ce qui est « faux » ? Personnellement, je pense que tout est image… y compris la réalité ! Pour « Extra-muros », la photographie, en jouant sur le cadrage, me permet de brouiller les notions d’échelles des décors afin de déstabiliser un peu plus le regard du spectateur.
De plus, la prise de vue photographique offre l’avantage d’avoir un seul point de vue unique, qui, pour rendre l’illusion, ne pose pas le problème lié à la vision stéréoscopique humaine qui voit le volume du collage. Je crée mes trompe-l’œil photographiques à partir de maquettes en carton. Les maquettes sont des volumes qui entretiennent également un rapport intéressant avec la réalité. À l’instar de la photographie, elles sont un autre double du réel.
Parlez-nous de vos collages photographiques dans l’espace public. Comment intervenez-vous dans la rue et comment choisissez-vous vos lieux ?
Pour mes premières interventions urbaines, je travaillais sur le support : je le prenais en photo, je retravaillais l’image, avant de la coller sur le mur d’origine à la taille 1:1. Les collages, dont je faisais des photos pour documenter l’intervention, s’adressaient aux passants dans la rue.
Pour « Extra-muros », la finalité est la photo que je fais du collage. J’observe le mobilier urbain et je repère une composition et des matières intéressantes. Je prends en photo le sujet en cadrant de sorte à minimiser toutes références d’échelle. Je prends les mesures des éléments photographiés. Je conçois une maquette en carton en fonction du support final. Je la prends en photo puis l’anamorphose sur ordinateur. Cette opération peut être obtenue à la prise de vue en redressant les perspectives comme le fait une chambre photographique. Je colle l’image obtenue sur le support et la prends en photo selon un point de vue précis afin de créer une illusion d’optique. C’est cette dernière image qui est l’aboutissement du processus.
Votre boutique Grosse Lubie propose d’acheter des collages imprimés « Intra-muros ». Votre travail « in situ » se retrouve alors décontextualisé, est-ce un choix ?
La série « Intra-muros » est une série « indoor » qui propose des collages d’images sur des images, et non plus sur des volumes en extérieur. Je prends les maquettes en photos selon la perspective de l’image support. Dans ce cas-là, je n’ai pas besoin d’anamorphoser les images que je colle. Cette série est complémentaire de la série « Extra-muros ».
Quelle place tient l’illusion dans votre travail ?
La photographie est par essence une illusion ! Elle se mécanise à partir de la Camera Obscura de la Renaissance, elle utilise les mêmes codes de la perspective. Avec elle, la représentation se « cogne » au réel.
Vous êtes également graphiste et illustrateur. Pour quels auteurs et éditeurs travaillez-vous ?
Je travaille sur le graphisme de livres mêlant du texte et une iconographie assez riche dans le domaine de la « pop culture » pour Flammarion, Gründ, Liralest… Par ailleurs, je fais des illustrations pour des couvertures de livres ou pour la presse. Pour ces dernières, ma démarche est de prendre des photos de mises en scènes de photographies, elles-mêmes découpées, collées sur des supports en trois dimensions…
Quelles sont vos influences artistiques ?
Les tableaux de Parrhasios et de Zeuxis (Grèce, Ve siècle avant J-C). Parce qu’ils ont tous été détruits. Un duel opposa les deux peintres, à celui qui créerait l’illusion la plus réaliste. Des oiseaux vinrent manger les fruits du tableau de Zeuxis qui demanda à Parrhasios de dévoiler sa toile. Impossible, le peintre avait représenté un drapé qui simulait l’emballage du tableau.
Giotto (Florence, Assise, env. 1300), parce que c’est l’inventeur archaïque de la perspective. Ces décors urbains sont uniques. Giotto était le premier illusionniste moderne, ses images devaient être révolutionnaires à l’époque. Tout le XIXe siècle parce qu’il a vu naître la photographie. Sol Lewitt (XXe siècle) parce que son esthétique est rationnelle et minimale. Noémie Goudal (XXIe siècle) parce qu’elle photographie des photographies. Thomas Demand parce qu’il photographie des maquettes. Gerhard Richter parce qu’il peint des photographies. Jeff Wall parce qu’il créé des fictions photographiques. J.R. parce qu’il colle des photos dans la rue. Enfin, l’architecture en générale.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ?
Pendant trente ans, mon activité de graphiste me laissait peu de temps pour promouvoir mon travail personnel que j’ai poursuivi régulièrement toutes ces années. Aujourd’hui, je veux y consacrer plus de temps, je commence à montrer mes images et je cherche des opportunités d’expositions, d’éditions… Je remercie la municipalité de Pantin (93), ville dans laquelle j’opère, qui m’a acheté des tirages pour l’artothèque de la ville et m’a fait participer aux Journées du Patrimoine. Je réponds à des appels d’offre et un projet d’expo est en cours…
À visiter :
– Le site de Serge Bilous
– Bilousbox
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Interview réalisée en janvier 2022. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Serge Bilous. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.