Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Je suis entré dans la magie en regardant Paul Daniels à la télévision. J’ai grandi en Angleterre et durant l’été ma famille, mes oncles et ma grand-mère avaient pour habitude de regarder l’émission de magie de Paul Daniels. J’aimais cet instant et nous regardions également les émissions de David Copperfield. Au départ, je voulais être marionnettiste et travailler avec Jim Henson, parce que mon père travaillait pour lui dans les années 1980. J’ai grandi entouré de marionnettes, des films The Dark Crystal et Labyrinth. Un jour, je suis parvenu à comprendre un des tours de Paul Daniels, après l’avoir regardé à plusieurs reprises sur mon magnétoscope, et d’une certaine manière cela a été le « déclic » qui m’a donné envie de tout savoir sur la magie et faire de la magie.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Ma mère m’a acheté un tour de magie de « Coopers Magic », à Slough. C’était un foulard de soie qui disparaissait et j’ai appris à le faire à partir des instructions. Je ne pensais pas que ce simple tour pouvait tromper les gens, mais c’est ce qui s’est produit. Ensuite, je demandais systématiquement des tours de magie pour mes anniversaires et Noël. J’ai appris des choses dans des livres mais ils n’étaient pas très bons et cela ressemblait plus à des puzzles qu’à des tours. Moi, je voulais faire mes propres tours…
J’ai déménagé ensuite à Marin County, au nord de San Francisco en Californie. J’ai tout de suite trouvé un grand magasin de magie l’House of Magic. J’ai demandé à ma mère de m’emmener là-bas et J’ai acheté beaucoup de tours de magie avant qu’un jour je ne tombe sur Genii Magazine. J’y ai découvert quelques grands trucs, il y avait même des plans d’Illusions de Paul Osborne. J’ai construit ma première illusion à partir de là.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Dans mon école primaire, il y avait un spectacle de « talents » et je m’y inscrivais chaque année. Ce fut une excellente occasion pour un enfant comme moi de jouer sur scène. Je me débrouillais pas mal pour mes 9 ans. Chaque année, je faisais de plus en plus de choses. Je me suis mis aux grandes illusions avec l’aide de mon père et de mes amis. Je suis parvenu à construire plusieurs tours que j’ai ensuite mis en place avec quelques illusions « professionnelles » pour séduire le public.
Une année, on m’a donné « une boîte » pour scier une partenaire en deux, mais elle était un peu trop grande pour moi et ma sœur. C’était assez drôle de voir « ces deux petits enfants » réaliser une illusion pour adulte.
Un événement reste gravé dans mon esprit lors d’un festival de magie en extérieur. J’avais fabriqué une toile de fond et mis en place une zone en arrière scène pour que ma sœur aille chercher des accessoires. Juste derrière l’écran, on voyait un magasin et une fenêtre. Les gens qui se tenaient là regardaient ma sœur préparer les tours… Je n’avais aucune expérience et je n’avais pas de micro. Le public ne m’entendait pas et je n’ai pas pu attirer beaucoup de gens jusqu’à mon dernier tour. Le gars de la sono s’est décidé à venir vers moi et m’a dit de parler dans le micro. Miraculeusement, une foule immense s’est rassemblée. J’ai donc recommencé certains tours et le public en voulait d’autres, mais j’avais dépassé mon temps et un groupe de musique attendait derrière moi….
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je me produis en tant que « Sebastian KRAINE » et je travaille dans des conditions scéniques complexes. Je dois avoir une scène munie de rideaux et de lumières spécifiques pour réaliser ma magie. Cela exige de mettre en place beaucoup de technologie quand je vais dans un nouveau théâtre. J’utilise le Black art pour la plupart de mes illusions ainsi que des lumières très vives et très délicates.
Je me suis produis plusieurs fois au Magic Castle et ils m’ont tout installé et préparé la scène. J’utilise un projecteur pour une tempête de pluie, je dois accrocher un canevas dessus et placer ensuite ce projecteur dans mon dos, face au public, avant de l’accrocher à un rideau de velours noir… A la fin tout doit être reset pour la suite des représentations.
En ce moment, je travaille sur des navires de croisière, dans des centres d’arts, dans des théâtres européens. Je serais ravi de faire une tournée européenne un jour !
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
J’aime les magiciens qui sont uniques et qui ont un très grand sens de ce qu’ils font pour divertir les gens. Je n‘aime pas les magiciens ou les artistes qui maltraitent leur public.
James Dimmare et Joseph Gabriel ont tous deux un numéro de colombes qui me fait dire : « il n’y a pas moyen de faire mieux que ça ! ». Je me souviens avoir vu Kevin James dans une émission de Paul Daniels et j’ai été très inspiré par sa poupée « Chaplin » qui prenait vie. C’est un très grand créatif.
Bien sûr, il y a David Copperfield qui a emmené la magie dans une autre dimension. Tout ce qu’il faisait était si finement réalisé et perfectionné. Moi-même, je prends vraiment le temps de perfectionner ce que je fais. Je ne fais pas juste qu’improviser sur scène. Je travaille attentivement ce qu’il faut faire et comment cela doit être fait.
Doug Henning m’a montré qu’on pouvait être un personnage dont on se sent proche et qu’on pouvait vraiment se connecter avec son public ; alors que Copperfield était plutôt une personne hautaine, un super-héros. Doug Henning était quelqu’un que vous pouviez réellement approcher et déjeuner avec.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime vraiment la bonne manipulation, parce que je ne peux pas le faire. Des gens comme Anson Lee, David Sousa, et Cyril, font des choses incroyables que je ne serai jamais en mesure de réaliser. J’aime aussi les grandes illusions scéniques. Construire les choses par soi-même. Je sais ce qui se passe dans la création et la mise en scène de certains de ces grands effets et j’apprécie cela. Je pense que Kalin & Jinger sont de grands magiciens de scène. J’aime aussi tout ce qui me trompe, ce qui est difficile à faire. La lecture de pensée en duo : The Evasons sont pour moi le meilleur spectacle de ce genre. Je ne peux même pas comprendre comment ils font !
Quelles sont vos influences artistiques ?
Je suis très inspiré par Jim Henson et les mondes qu’il a créé. Les marionnettes, de leur propre chef, ne font rien, elles viennent à la vie par l’interaction avec un marionnettiste caché. Le marionnettiste crée la vie à travers eux.
J’ai l’habitude de me retrouver avec un ami pour aller voir des films muets, ils sont brillants. Lorsque vous ne parlez pas sur scène, vous devez utiliser votre corps pour raconter une histoire. Je suis très inspiré par Buster Keaton, Charlie Chaplin, et d’autres artistes de cette époque.
Il y a aussi Les aventures du baron de Münchhausen. J’ai récemment vu le numéro d’Aurélia Thierrée, qui est la petite-fille de Charlie Chaplin ; c’est un spectacle étonnant et créatif, il est très magique et théâtral. Je serais ravi de la voir en personne un jour
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Mon conseil pour un débutant est d’apprendre autant que vous pouvez à propos de tout ce qui vous intéresse, et aussi des choses qui ne vous intéresse pas par exemple. Je ne fais pas vraiment de tours de cartes, mais je connais les bases de la manipulation des cartes et quelques tours. J’ai également étudié des tours de cartes plus complexes et j’ai appris d’autres choses à partir de ça.
La magie est un passe-temps et une profession. Vous passez des heures à apprendre quelque chose et vous passez ensuite plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années à devenir vraiment bon dans ce domaine. Mais il est difficile d’apprendre tout par vous-même. Cherchez un magicien expérimenté et demandez-lui de l’aide, si il est prêt à vous apprendre des choses.
A 17 ans, je suis entré dans le programme junior du Magic Castle et j’ai eu la chance d’être exposé au monde de la magie au travers d’un public exigeant. A chaque pause, j’allais voir les autres spectacles de mes confrères et parler avec eux. Finalement, ils m’ont appris à me connaître. Je trainais dans leur loge en regardant leur préparation et en les écoutant me raconter des histoires sur des spectacles et des gens. Au final, j’ai été engagé par un magicien pour être son technicien de scène. J’ai tourné avec lui en étant responsable de la mise en place de ses illusions. J’ai beaucoup appris. J’ai « assisté » plusieurs magiciens depuis…
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Les magiciens où les artistes de rue, pour gagner leur vie, sont habitués à travailler entourés de gens, dans des soirées privées, des festivals, etc. La magie est maintenant considérée comme un art et elle mérite d’avoir sa place dans les théâtres.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de magiciens qui font des « trucs » ou des « gags » pour les émissions de télévision devant des caméras. Ce ne sont pas des tours de magie ou des numéros « réels », mais ils pensent qu’ils sont dans le vrai car ils jouent pour la caméra et le téléspectateur. La plupart de ces « gags » sont réalisés dans la rue, ce qui peut être considéré comme un pas en arrière, mais qui semble être une façon de se « connecter » avec des personnes réelles. Je ne sais pas si ces spectacles de street magic ont contribué à faire du bien ou du mal à la magie. On « lévite dans un coin de rue », on « fait apparaître de l’argent », etc. Il semble que ces spectacles ont eu un impact sur les gens et on fait réfléchir sur la nature même de la magie, sur le réel et le faux, sur ce que nous pouvons vraiment réaliser en tant que magicien.
Las Vegas est devenue une grosse machine commerciale avec notamment le Cirque du Soleil. Je pense qu’il y a un marché pour tous les spectacles comme le succès international de The illusionnists. La magie est partout, dans les soirées privées, les événementiels, les cabarets, les restaurants. Je vois beaucoup de jeunes magiciens qui travaillent sans avoir appris assez et qui ne savent pas comment réaliser un numéro ou comment divertir un public au-delà du simple fait de « faire des tours » ou de réaliser des fioritures de cartes. Il faut développer les subtilités à l’élaboration d’un personnage et affiner l’histoire pour espérer atteindre et toucher son public.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
La culture est ce que les gens font dans une société, la façon dont ils vivent. Différentes sociétés ont des modes de vie différents, une certaine valeur artistique en plus. L’art est un moyen de générer des émotions. En tant qu’artiste, je suis toujours à la recherche de l’émotion, de ce que je peux explorer avec mon art, du voyage que je peux faire avec mon public. Même si je vis en Californie aux Etats-Unis, mon art a une esthétique et une sensibilité très européenne. Ma culture européenne doit être ancrée en moi. C’est ce que ressentent les gens qui m’identifie comme étant européen. Je ne pense pas que vous pouvez échapper à l’importance des cultures, à son influence sur l’art et la magie.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Mes hobbies sont la randonnée pédestre, regarder des films étrangers, aller au musée, fabriquer des crèmes glacées et aller à Disneyland.
– Interview réalisée en septembre 2015.
A visiter :
– Le site de Sebastian Kraine.
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