Comment rendre un numéro original et singulier ?
Star américaine de la magie des années 1990, Rudy Coby a su redonner un nouveau souffle à l’illusionnisme proposant une alternative entre les mégas illusions et les numéros ringards. Il s’est inventé un personnage singulier au look de super héros (« Labman »)
et s’est vu offrir un show à son nom ainsi qu’une BD. Le personnage est entré dans la légende. Les rêves d’enfants se sont concrétisés, comme quoi rien n’est impossible. « L’inconnu est devenu une star » dixit Rudy Coby.
Le Rudy Coby show, « The Coolest Magician on Earth » (le magicien le plus cool sur terre) met en scène un scientifique « Labman » qui travail dans une compagnie imaginaire « Labco » ayant pour slogan « Smarter than you » (Plus malin que vous).
La conférence est donc basée sur une question essentielle : comment sortir de l’ordinaire et construire un personnage unique et ainsi changer son statut de magicien du dimanche. Le sujet de cette rencontre nous fait vite oublier la faiblesse passagère du conférencier qui n’a pas mis vraiment en valeur le thème, visiblement peu en forme ce jour là, sans parler d’un problème de lumière récalcitrant et des quinze minutes de retard.
Fan de comics depuis enfant, Rudy Coby devient lui même un personnage de BD. Son rêve de gamin se réalise et la réalité rejoint la fiction.
Rudy Coby se propose d’illustrer le sujet avec des extraits vidéo de ses numéros entrecoupés de conseils.
Selon lui, un bon tour original de deux ou trois minutes peut nous permette de faire le tour du monde. Il faut pour cela avoir du matériel qui sorte de l’ordinaire. Il faut savoir aussi rendre le personnage original. Bien sûr l’apprentissage de la magie est important, mais rien ne sert de connaître un millier de trucs. L’originalité n’est pas là. Au contraire, il est primordial de laisser une grande place à nos goûts et nos couleurs en dehors de l’univers de la prestidigitation et de construire quelque chose d’éminemment personnel. Si notre inspiration est différente des autres, alors le personnage et le numéro le seront. En cela, Rudy Coby nous confie qu’il est très inspiré par les comics, les chanteurs Marilyn Manson et David Bowie, ainsi que par l’artiste plasticien Hans Bellmer. Ses inspirations se concrétisent actuellement, il possède sa propre BD et est en train de travailler sur le nouveau spectacle de son idole Marilyn Manson.
Extrait vidéo 1 : le paravent
Le personnage habillé d’une blouse blanche, pantalon vert, lunette noire et crête sur la tête apparaît sur scène en prenant une pose de super héros, une gestuelle reconnaissable qu’il emploiera constamment. Après avoir fermé le store du panneau, il réalise des ombres chinoises avec sa main à distance. Son bras passe derrière et s’allonge anormalement. On voit le membre onduler de bas en haut. C’est ensuite ses deux bras qui s’allongent. Le numéro finit par une lévitation du personnage, les quatre membres dépassants du paravent. Au total, seulement deux minutes d’effets originaux mais en avance pour l’époque et ayant un vrai impact sur le public.
Tour : le clou du numéro
Le magicien propose un choix aux spectateurs : un tour de carte ou un truc dangereux et dégueulasse. Bien sur tout le monde opte pour la deuxième option. Après avoir mélangé une poignée de clous (Mélange français en main !), Rudy Coby en fait choisir un à une spectatrice. Elle en signe la tête et le magicien commence à enfoncer le clou signé dans son nez à l’aide d’un marteau. Le clou est ensuite retiré et planté dans une planche où figure le portrait de l’artiste à l’emplacement du nez (Souvenir dégoulinant, laissé à la spectatrice).
Pour ce tour Rudy Coby s’est inspiré des freaks show, attractions des fêtes foraines. Un truc bizarre, un peu repoussant mais qui fascine toujours les spectateurs. Il joue ainsi sur le dégoût et le spectaculaire. Là encore, le tour ne dure pas plus de deux minutes et a un fort impact.
Extrait vidéo 2 : Whash O Matic super Delux
Rudy Coby habillé de son éternelle blouse blanche se tache volontairement le buste avec de l’encre. Une assistante sortie tout droit des pubs américaines des années 50 prend la pose à côté de lui, l’air de s’ennuyer et lui propose de tester une nouvelle machine révolutionnaire.
Le magicien s’exécute et rentre dans une énorme machine à laver. Après avoir mis un peu de lessive dans celle ci, et appuyé sur le bouton start, le hublot est ouvert et on observe le linge tourner à l’emplacement du buste. Le magicien ainsi enfermé, a la tête qui pivote à 360° au cours du mode essorage. L’intérieur de la machine, nous est montré laissant apparaître un buste torsadé façon serpillière. La machine est refermée pour un dernier essorage à l’envers afin de remettre les choses dans l’ordre. Le magicien ressort intact, tout propre et la tâche a disparu ! Il se retourne pour contempler cette merveille de technologie et on aperçoit dans son dos des chaussettes multicolores restées accrochées !
Là encore, le tour ne dure pas plus de deux minutes.
Rudy Coby nous explique que ce qui est important ici n’est pas le tour Twister détourné mais :
Le gag final qui transforme un truc connu en quelque chose de drôle et différent.
Et bien sûr le fait que tout est justifié contrairement à la plupart des grandes illusions actuelles qui arrivent sur scène sans aucun sens et comme un cheveu sur la soupe.
Extrait vidéo 3 : Dangerous card trick
Habillé cette fois-ci d’un costume bleu électrique ayant des couleurs tranchées comme dans les cartoons, et affublé de battons de dynamite autour du cou façon Tex avery, le magicien fait choisir une carte jumbo. Il la montre au public, la remet avec les autres et le tout est lancé dans un cerceau à terre.
Un compte à rebours commence. Le magicien a dix secondes pour retrouver la carte, sinon il risque d’exploser. Il entre dans le cerceau, demande au spectateur d’appuyer sur le détonateur… au compte de trois !
Le compteur défile, le cerceau de tissus est levé puis jeté en l’air. Il retombe pendant une explosion.
Le magicien apparaît les habits déchiquetés avec la carte choisie en train de brûler entre les mains. Là encore, le tour ne dure pas plus de deux minutes.
Pour ce gag, tout est venu d’une idée inspirée d’une BD.
L’idée du changement de costume est détournée de façon surprenante car généralement il s’agit plutôt d’un change classique et non d’une dégradation vestimentaire.
Extrait vidéo 4 : Puppet boy
Dans un décor en miniature, une marionnette dort sur un lit. Le magicien commence à l’animer. Elle saute du lit. Le petit clown se dirige vers un caniche sculpté en ballon, l’animal le plus représenté dans cet art annexe. Le magicien piétine le caniche. Le clown est ensuite malmené et mit dans une boîte. Celle-ci est retournée et l’on aperçoit la marionnette qui se met à danser derrière des barreaux et est menacée par un sabre. Le magicien tire sur une corde et les panneaux de la boîte s’ouvrent laissant apparaître un clown géant que Rudy Coby fait mine d’animer à distance grâce à un pupitre composé de mannettes.
Le clown géant se saisit alors du sabre et coupe ses fils pour se délivrer des liens qui le retiennent. Le clown semble déchaîné et se dirige vers le magicien du pupitre pour lui couper la tête. Contre toute attente le masque du clown tombe et révèle Rudy Coby lui-même.
Cette mise en scène impressionnante de la marionnette qui prend vie utilise simplement la classique boîte à apparition, style cage à oiseau qui est ici revisitée.
Le magicien s’est visiblement inspiré des créations torturées de Hans Bellmer et de Salvator Dali. Ceux-ci ayant tous deux travaillé avec des mannequins. Il s’est aussi inspiré du clown satanique « Ca » de Stephan King pour nous donner une vision noire et surréaliste de la duplicité.
Quelques pistes pour aller plus loin
Au-delà de cette conférence, il est intéressant de se poser la question de la création en magie. Analyser les magiciens, leur personnage et leur numéro pour voir ce qu’ils ont à raconter. Grâce à ce petit exercice proposé par Rudy Coby nous nous rendons compte que la pure création et la pure originalité sont des denrées rares. C’est encore enfoncer un clou comme le fait Rudy Coby que de dire que les magiciens, trop concentrés sur leurs trucs, s’arrêtent de penser trop tôt. Aujourd’hui, de nombreux numéros scéniques sont une illustration d’un sujet ou d’un personnage connu comme Dracula, Quasimodo, James Bond…
Comme si l’inspiration manquait, comme si l’artiste avait peur de prendre des risques, peur que le public n’aime pas, peur de l’inconnu. C’est vrai, qu’il est plus confortable et rassurant de s’inspirer de quelque chose qui existe déjà : Gain de temps, personnage déjà construit, scénario à suivre à la lettre et succès assuré. Il ne reste plus qu’à caser les effets de sorte qu’ils soient justifiés et le tour est joué !
Lors de la conférence, Rudy Coby évoquait le magicien classique James Dimmare le numéro de colombes présenté en final du gala du samedi soir. L’artiste s’est inspiré fortement de Fred Astaire. Sur scène cet artiste très gracieux et très bon manipulateur ne fait que reproduire les mimiques du comédien et danseur.
Dès le début du numéro, une poursuite lui éclaire le visage comme une silhouette de cinéma. Quand il marche, on à l’impression qu’il danse avec une classe naturelle. Tout ceci au service d’une magie dépassée des années 50, le fond de commerce des spectateurs magiciens ou profanes, nostalgiques. On regarde le numéro avec de la distance, troublé par ce fort mimétisme assez vain et vide de sens. Une coquille vide, une démonstration extrêmement bien mise en valeur notamment par le travail sur l’éclairage, mais sans émotion. Le tout est trop esthétique et caricatural. Mieux vaudrait se replonger dans les comédies musicales incontournables des années 50 qui mettent en scène Astaire comme The Band Wagon (Tous en scène) ou Mariage Royal.
A trop vouloir ressembler à quelqu’un ne risque t-on pas de se perdre nous même ?
Sommes-nous sur la bonne route ?
Ne reproduisons nous pas un schéma commercial ?
Ce syndrome « Star Academy » est en train de plonger notre art dans la médiocrité, et ne parlons pas des magiciens qui clone d’autres magiciens car ici nous touchons le fond.
Pour tirer la magie vers le haut, lui apporter de l’originalité, essayons de trouver des réponses au fond de nous. Mettons-y toutes nos inspirations. N’imitons pas, mais adaptons. En un mot créons quelque chose de personnel ne ressemblant à rien de connu, du moins pas dans l’immédiat. Nous serons plus en phase avec nous même et nous apprendrons certainement à mieux nous connaître en tant qu’artiste et individu.
Avec des numéros formidables comme ceux de Arthur Trace, Jérôme Helfenstein où Timo Marc, on se dit que tout est possible. C’est grâce à ces créatifs inspirés que notre art pourra un jour s’écrire avec un grand A.
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