D’origine anglaise, Robert Heller (1) est un magicien, pianiste chevronné, télépathe et humoriste. Il est formé très jeune à la Royal Academy of Music, son père étant un pianiste renommé. Il commence à être fasciné par la magie à l’âge de quatorze ans. Après avoir assisté à une représentation de son idole Jean-Eugène Robert-Houdin à Londres, il décide d’abandonner la musique pour devenir magicien en 1851 et loue le théâtre Strand à Londres afin de lancer sa carrière. Il prend le prénom de « Robert » en hommage à son illustre ainé et le nom de « Heller » au célèbre pianiste Stephen Heller. Dans son effort pour ressembler à Robert-Houdin, il décide de parler avec un accent français, de porter une perruque noire et de se teindre la moustache. Il part pour les Etats-Unis et New York en 1852. Il ouvre son propre théâtre le « Heller’s Saloon of Wonders » en louant le Minstrel Hall Buckley de Broadway et la première de son spectacle a lieu le 20 décembre 1852. Il donne alors plus de 200 représentations jusqu’en mai 1853. Heller présente un numéro de « seconde vue » appelé Hellerism assisté par son « frère » Ernest Heller, qui n’est autre que M.H. Levett, un newyorkais embauché sur place.
Après cette première expérience mitigée, Heller décide d’abandonner l’accent français, les perruques et le maquillage pour se présenter au naturel et sans artifices. Il joue pendant plusieurs semaines au Walnut Theater à Philadelphie et au Old Chinese Museum. En 1854, il rejoint le groupe « Germania Musical Society » et joue avec eux le rôle d’un pianiste de concert à Boston, Philadelphie, Baltimore et Washington D.C. Il abandonne provisoirement la magie et s’installe à Washington pour devenir professeur de musique et épouse une de ses élèves.
En 1861, au commencement de la Guerre de Sécession, il décide de revenir à la prestidigitation. Il rencontre le manager Edward P. Hingston qui le convainc de simplifier son numéro et l’encourage à y intégrer des passages musicaux. Heller construit alors un spectacle original en trois parties mêlant tours de magie (2), jeux d’automates (il partage la vedette avec l’arlequin automate, un petit clown émergeant d’un coffre), concert de piano (dont des tours de chant par Miss E. A. Marsh) et séance de télépathie ou « visions surnaturelles » avec Ernest Heller puis Miss Heller (emprunté à La double vue de Robert-Houdin).
En 1865, Heller donne des représentations à la Salle Diabolique, un ancien théâtre français de Broadway. Il devient le one man show le plus long de l’histoire du théâtre à l’époque. Heller est une célébrité à l’échelle nationale et part pour de grandes tournées à travers les États-Unis entre 1869 et 1875 ainsi qu’en Grande-Bretagne (1877), en Europe et en Asie (son succès amena son compatriote Harry Kellar à changer l’orthographe de son nom pour éviter l’impression qu’il copiait Heller). Au fil du temps ses tournées, lui valent un succès financier et publicitaire à la hauteur de ces célèbres rivaux de l’époque comme les frères Herrmann (Compars et Alexander) et John Henry Anderson (3).
Après une représentation au Concert Hall à Philadelphie, le 26 novembre 1878, avec sa femme et assistante Miss Haidee Heller (qu’il annonce comme sa belle-sœur), Heller est pris d’une grave crise de vomissements contracté par un mauvais rhume et meurt d’une double pneumonie. La disparition de Heller est un tel choc pour la région de Washington D.C. que son décès apparait en première page de l’édition du National Republican le 30 novembre 1878. Après sa mort, Warren Wright, en collaboration avec sa veuve Haidee, poursuit le programme « Heller’s Wonders » en Angleterre jusqu’en 1880 (4). Charles J. Pecor dans son livre The Magician on the American Stage (1977) écrit : « Robert Heller a laissé une marque indélébile sur la magie américaine. Tout en développant son style d’interprétation unique, il a fait plusieurs contributions à la magie américaine en général. Il a démontré que la présentation théâtrale, le style et la polyvalence sont aussi importants, sinon plus importants que la dextérité manuelle, les compétences magiques, et l’élaboration des effets magiques. Il a en outre prouvé que l’humour et la magie ne sont pas incompatibles et que le magicien n’a pas besoin d’être dépeint comme un personnage grave ou solennel. »
Notes :
(1) Un autre Heller a succédé au grand magicien anglais, sous le nom de George Waldo Heller (1860-1932) de son vrai nom Robert Wezner. Un imitateur australien de son célèbre prédécesseur qui affirmait être son neveu. Il faisait apparaître des drapeaux (numéro très populaire à l’époque) et aussi des animaux avec sa « Merveilleuse coterie » vers 1907. Il était aussi adepte d’autres numéros en vogues comme Bridal Chamber, Gone, Cannon and Boxes, la décapitation, du Black Art avec des squelettes vivants, et une version de seconde vue et d’armoire spirite avec sa femme Maudeena.
(2) Parmi les illusions présentées par Robert Heller : La pendule cabalistique, La colombe obéissante, Les éventails et les boulets de canons, Les plumes, La corbeille de fleurs, L’oranger, Le portefeuille mystérieux, Le bouquet mystique, L’équilibre, L’écrin de sureté, La filtration magique, La bouteille inépuisable (The Inexhaustible Bottle), La corne d’abondance, The Indian Basket Trick, et The Mysterious Hat (une version de The Devil of a Hat de Joseph Hartz).
(3) Robert Heller et aussi l’auteur d’ouvrages spécialisés comme : Robert Heller His Doings (1875), Heller’s Handbook of Magic (1891), Heller’s Book of Magic (1898). Heller a également laissé une contribution durable dans le répertoire magique avec son invention co-développée avec Charles De Vere, connue sous le nom de The Heller and De Vere Table with trapdoor system (Black art table) publiée dans Later magic du Professor Hoffmann (1903).
(4) Au programme des « Heller’s Wonders », la reprise du répertoire de Robert Heller : Production d’œufs à partir d’un mouchoir plié. Les œufs placés dans une casserole se transforment en canaris. Un mouchoir emprunté, coupé et restauré qui est retrouvé dans un citron, est ensuite lavé et enveloppé dans du papier, puis déchiré (le mouchoir est retrouvé sec, plié et parfumé). L’arlequin automate dans sa boîte.
Plusieurs pièces passent une à une d’un petit cercueil à fentes dans un verre recouvert d’un jeu de cartes. Le cône métallique et la production d’une plante dans un pot. Divers objets produits à partir d’un chapeau. Le bol de punch inépuisable. A partir de 1880, Warren Wright et Haidee Heller rejoignent le spectacle de Harry Kellar.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°218 (juillet-août 2019). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : State Library of Victoria / Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.