Cette belle exposition pédagogique nous entraîne à la découverte de plusieurs siècles de monuments rêvés, utopistes et parfois réalisés à l’intérieur de la plus grande salle gothique de France. Depuis le Moyen Age, châteaux, abbayes et églises sont le théâtre de légendes et de contes merveilleux ou de romans d’épouvante peuplés de chevaliers, de princesses, de fées ou de monstres ! Des univers nostalgiques et fantastiques connus de tous, petits et grands où le vrai, le faux, et l’imaginaire se rejoignent. Près de 300 œuvres jalonnent l’exposition Rêve de monuments. On y voit comment les châteaux et les abbayes ont nourri l’imaginaire des artistes à des époques diverses et sur des supports très variés. Des enluminures du Moyen Age aux tableaux romantiques du XIXe siècle, en passant par les romans gothiques, les films, la peinture, les jeux vidéo ou l’art contemporain. Le parcours fait la part belle aux maquettes, dessins, sculptures, dioramas, projections et autres procédés illusionnistes.
Toutes ces œuvres sont misent en scène dans une scénographie spectaculaire créée par Massimo Quendolo et Léa Saito. La mise en place de grands livres devenant des silhouettes de monuments (inspirés des Pop-up) et le parcours d’images géantes imprimées sur des voilages créent une atmosphère onirique et ludique. Le parcours est découpé en deux parties symétriques et complémentaires, coupant la salle des gens d’armes dans sa longueur. Une première partie didactique, documentée et sage surexposant de la peinture, puis une deuxième partie ludique, imaginative regroupant une multitudes de thématiques et de pistes telles que le cinéma, les jardins, le théâtre, les jeux. Deux faces d’un même monde, entre la réalité et l’imaginaire, l’illusion et la surprise.
Les six sections de l’exposition :
– « Mythe, légende et littérature enluminée »
– « Le rêve monumental réalisé »
– « Le monument, paradis perdu »
– « La vision gothique noire »
– « Illusions gothiques réalisées »
– « Monument fictif, château virtuel »
Introduction
La fin du Moyen Age français invente l’imaginaire gothique avec son paysage, son cadre monumental, ses héros et ses mythes. Cette époque décrit et dessine de façon irréaliste et symbolique les monuments qu’elle bâtit. Elle donne une « vision » de ce que peuvent idéalement ces lieux privilégiés de la vie aristocratique, chevaleresque ou contemplative, faste ou secrète. Nourri d’une part de rêve et de mystère, le modèle gothique a conquis l’Europe lorsque l’humanisme, et la modernité venue d’Italie, le démodent. Rejeté par un âge classique fondé sur l’ordre planifié, la régularité et la raison d’Etat ; le rêve monumental gothique, lumineux mais toujours au bord de l’abîme, refait surface au XVIIIème siècle, au seuil de la Révolution.
Il revient par le sentiment, la nostalgie, le désir d’irrégularité, porté par les artistes, les créateurs de jardins privés. On peut y voir un désir de retour aux sources d’une classe de chevaliers devenus courtisans, lecteurs de contes de fées. Redevenu modèle national au XIXème siècle, l’imaginaire gothique a survécu depuis sous diverses formes d’expressions artistiques ou sociétales.
Maquette décor de Didier Massard (2012) vue à travers un Diorama.
Les monuments qui l’ont créé et qu’il a créés sont avant tout, le château et l’abbaye. Des lieux fermés, retranchés du monde extérieur, par leur position géographique, leur défense, ou par leur clôture sacrée inviolable. Les hautes tours du château médiéval hantent pour longtemps encore notre paysage mental et l’inconscient collectif occidental, depuis les jeux de l’enfance jusqu’aux créations parfois tourmentées des cinéastes et des plasticiens.
La vision gothique noire
En Angleterre, les abbayes à l’abandon ont attendu deux siècles le Gothic revival, qui y apparaît plus tôt qu’en France, au milieu du XVIIIème siècle. Cette retrouvaille d’un type monumental désavoué procure les lieux, le décor, le souffle d’un genre littéraire décisif, le « roman gothique ». Née d’un imaginaire anticatholique fasciné par le mal et les « infortunes de la vertu », cette littérature s’ancre sur les anciennes abbayes et sur les châteaux médiévaux, évocateurs d’âges révolus obscurantistes. Les intrigues mettent en scène des archétypes de belles captives de donjons ou de couvents, chambres secrètes, souterrains, tombeaux, moines idéalistes déchus, châtelains menaçants…
Gothique horrifique avec l’adaptation cinématographique de Dracula par Terence Fisher en 1958.
Le roman gothique ouvre le versant noir du romantisme, puis au genre fantastique occidental, littéraire et iconographique, avec ses histoires de fantômes et de vampires. La France préromantique adopte le roman noir, écho acceptable des transgressions d’un marquis de Sade et de l’effroi des évènements de la Terreur. Alors les vieux châteaux, symboles de tyrannie, renforcent leur dimension mystérieuse et fascinante, déjà présente dans l’imaginaire collectif surtout lorsque de sombres pages d’histoires s’y sont inscrites. La Bastille forteresse-prison, devient monument national fantôme, objet d’une fétichisation par les modèles réduits façonnés en série. Ailleurs, c’est le château de Gilles de Rais surnommé de Barbe-Bleue, ou les lieux attachés au souvenir sulfureux des templiers.
Illusions gothiques réalisées
Le rêve monumental néogothique n’a pas été bâti que par des architectes restaurateurs pragmatiques, au service d’une société ouverte sur l’avenir. Dès l’apparition de jardins anglais « irrégulier » imitant la nature, certains bâtisseurs lettrés et fortunés imitent les ruines chères aux peintres, créant des « fabriques ». Une partie prend un caractère gothique, vieux château, arcades ogivales. Souvent nostalgiques, ou évocatrices des lieux dans lesquels se déroulent les romans noirs, les ruines factices sont d’abord un décor. Elles aboutissent à un paradoxe architectural : la fausse ruine habitable, parfois très monumentale.
Petit théâtre avec décor de château fort (Epinal, 1870).
Deux auteurs de romans gothiques anglais, Walpole et Beckford, se font bâtir des demeures conformes à leurs fantasmes, dédale de salons gothiques pour l’un, gigantesque abbaye de même style pour l’autre. En France, lorsque s’essouffle la mode des fabriques, le décor gothique se transfère un temps sur la scène parisienne des théâtres romantiques et ses fameux dioramas géants au dispositif illusionniste de Louis Daguerre et Charles-Marie Bouton. Autre illusion gothique réalisée à Paris : le musée des Monuments français de Lenoir bâti avec des épaves lapidaires sauvées de la Terreur.
L’expérience verticale. Installation vidéo de katia Bourdarel (2006).
Le grand Château-décor habitable, fantasme « troubadour » ou fantastique restitution non archéologique connaît quelques réalisations dans l’Allemagne romantique, jusqu’à Louis II de Bavière. En France, l’invention du ciment armé favorise, vers 1900, la création méconnue des derniers avatars de cette tendance.
Cinéma gothique
Plusieurs extraits de films utilisant comme cadre une ambiance gothique sont proposés. De la demeure ancestrale au château fort, du film à trucs au film d’épouvante ; en passant par l’animation avec Jan Svankmajer et son Château d’Otrante (1977).
Le Château d’Otrante de Jan Svankmajer (1977).
La première série met en évidence la féerie et l’adaptation de certains contes par des truquistes célèbre des débuts du cinématographe :
– La belle au bois dormant de Albert Capellani et Segundo de Chomon (1908)
– Peau d’âne de Albert Capellani (1908)
– Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse de Albert Capellani (1907)
– Le pêcheur de perles de Ferdinand Zecca et Segundo de Chomon (1904)
– Le scarabée d’or de Segundo de Chomon (1907)
– La légende du Fantôme de Segundo de Chomon (1908)
– La fée Carabosse ou le Poignard fatal de Georges Méliès (1906)
– Le royaume des fées de Georges Méliès (1903)
– Les sept châteaux du Diable de Ferdinand Zecca (1901)
La légende du Fantôme de Segundo de Chomon (1908).
La deuxième série met en évidence des films d’ambiances et de genre fantastique et horrifique :
– The Cat and the Canary (La volonté du mort) de Paul Leni (1927)
– Le baron fantôme de Serge de Poligny (1943)
– Le masque du démon de Mario Bava (1960)
– The Terror (Le château de la terreur) de Roger Corman (1963)
– The House That Dripped Blood (La maison qui tue) de Peter Duffell (1971)
– Le Capitaine Fracasse de Abel Gance (1943)
– La chute de la maison Usher de Jean Epstein (1928)
– Citizen Kane de Orson Welles (1941)
– Rebecca de Alfred Hitchcock (1940)
L’ exposition Rêve de Monuments a eu lieu à la Conciergerie, 2 boulevard du Palais, 75001 Paris du 22 novembre 2012 au 24 février 2013. Crédits photos – Copyrights : S.Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.