Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Les origines… Fan dès la maternelle de Batman avec ses gadgets qui lui permettent de voler, d’avoir une force extraordinaire, d’être immortel… Alors quand j’ai découvert à la télé vers 6-7 ans que l’on pouvait être un super-héros en vrai, avec le Flying de David Copperfield, et que l’on pouvait en faire un métier, ma vocation était trouvée !
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Juste après la diffusion de l’émission sur Copperfield, je me souviens être resté un bon moment allongé par terre chez ma grand-mère en battant des bras pour décoller. Echec total. Alors comme beaucoup d’enfants, j’ai dû commencer par dévorer les bouquins de la bibliothèque municipale (dont l’encyclopédique Manuel du Prestidigitateur de Patrick Page). J’ai aussi dû recevoir à noël cette même année quelques tours que Milton Bradley commercialisait en GMS, les « Magic Scene », le meilleur de Tenyo, avec notamment l’épée à travers la bague, et le squelette découpé en trois. Grâce à Milton Bradley, j’ai échappé à la traumatisante « mallette de magicien ».
Puis j’ai découvert qu’on pouvait ruiner ses parents sur des stands de foire, et que transformer un jeu de cartes en 9 de cœur, ou jouer avec des gobelets en plastique multicolores, ça avait un prix ! Enfin, découverte d’un vrai magasin de magie : Agility à Lyon. J’en suis revenu avec la VHS de Billis Vol.1, et son jeu Aviator offert avec. J’étais un enfant qui avait besoin d’attirer l’attention, qu’on le regarde, de faire spectacle. Faire des tours de magie m’apportait tout ça. Puis quelques années après, ouverture de Magic Boutique d’Yves Doumergues, où j’ai pris mes premiers cours auprès de Jean-Phillipe Halm. A 12 ans, j’ai tenté de mettre un pied (accompagné par ma maman !) dans la « communauté magique », en concourant au prix Diavol 2001, organisé par l’ARH de Lyon. Formidable et terrible en même temps.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Je me suis éloigné du milieu de la magie pendant mon adolescence, avançant en autodidacte sur ce plan là, et préférant plutôt me former au théâtre avec la compagnie Premier Acte à Villeurbanne. Je me suis lancé dans la magie événementielle à 16 ans en montant mon association, et à 18 ans en auto-entrepreneur. Le côté entrepreneur du métier de magicien me plaisait beaucoup, et parallèlement à mes études de gestion culturelle, je proposais des contes théâtralisés pour des anniversaires d’enfants à domicile, des close-up pour les entreprises et les mariages, de la magie en grande surface pour faire la promotion de produits… Et vu que ça marchait plutôt très bien, je refaisais la même chose en boucle sans me poser trop de questions…
J’ai alors commencé à m’ennuyer un peu de l’évènementiel. Je suis allé, pour compenser, fouiller du côté de la magie en art-thérapie en passant deux ans à faire des ateliers avec l’association Rêve d’enfants à l’hôpital neuro-cardio de Lyon avec mes camarades de l’IUT GACO Arts de l’Université Lyon 3 pour mon mémoire. La grosse rencontre qui a été décisive dans ma carrière de magicien, c’est Thierry Collet. J’ai suivi un stage avec lui quand j’avais 18 ans, intitulé Magie et Nourriture au Théâtre d’Oullins. Puis je suis allé voir son spectacle Même si c’est faux, c’est vrai. Un spectacle autobiographique où pour la première fois dans mon expérience de spectateur de magie, c’était une vraie équipe qu’il y avait dans le générique. Un collaborateur à la mise en scène, un créateur son, un créateur lumière, une scénographe, un constructeur, des régisseurs, une équipe administrative. « La magie dans un théâtre publique c’est possible ? » « C’est possible de rassembler des savoir-faire et de travailler en équipe sur un projet ? » Wow.
J’ai continué mes études, et en 2009 j’ai répondu à une annonce de poste d’apprenti-magicien en compagnonnage proposé par Thierry au sein de la compagnie le Phalène. Un dispositif de formation exclusif dans lequel il était proposé de traverser pendant deux ans toutes les activités de la compagnie aux côtés du directeur. Embauché, j’ai mis de côté l’évènementiel pour prendre un bol d’oxygène en apprenant, dans une transmission de « maître à disciple » ce « qu’être artiste magicien » pouvait vraiment vouloir dire. Apprendre la liberté du questionnement, apprendre à travailler en équipe, apprendre à réfléchir sur son art, apprendre à créer un spectacle…
On ne bouge plus – Cie Le Phalène/T.Collet – Crédit Photo : Marine Poron, 2015
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Dans le secteur public avec la compagnie Le Phalène, donc dans les réseaux scènes nationales, scènes conventionnées, dans les théâtres municipaux, les prisons, et aussi dans le secteur privé avec ma structure Les illusionnistes.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Les méga illusions de David Copperfield, les interventions de Sylvain Mirouf chez Drucker, David Blaine (pour sa Balducci, et son forçage à l’effeuillage face caméra en street magic), Gary Kurtz, Arturo Brachetti. J’avais la chance d’avoir des parents qui m’emmenaient au théâtre, au Toboggan à Décines, où des comédiens m’ont marqué : Denis Lavand, Christian Hecq, Philippe Torreton… Je ne regardais pas les noms des metteurs en scènes, à l’époque…
Probabilité Zéro – Rémy Berthier et Matthieu Villatelle 2014 © crédit photo : Les illusionnistes.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je ne vais pas prendre « style de magie » comme la distinction communément faite entre les différents supports utilisés (cartes, pièces, mentalisme…). Pour parler d’autres styles :
– La magie narrative, c’est ce que je tentais à mes débuts dans mes spectacles pour enfants, mais on se mord la queue, la magie prend le dessus sur le théâtre.
– La magie qui questionne, c’est ce que j’ai découvert avec Thierry Collet. J’ai partagé avec lui, en étant son assistant-apprenti puis son collaborateur, une phase de son travail. C’est le style « magie citoyenne ». Oui voilà, la magie politique, citoyenne et philosophique (dans les spectacles Influences, Qui-Vive, Vrai/Faux rayez la mention inutile, Je clique donc je suis…), ça m’a plus branché de travailler sur ce style qui fait la pâte du travail de Thierry Collet que sur la magie « des cartes » ou « des pièces »…
– La magie qui se tricote, c’est le style de magie que j’ai exploré avec Jade Duviquet qui a mis en scène mon premier spectacle On ne bouge plus « spectacle de magie taxidermique », produit par la compagnie Le Phalène. On a essayé de faire en sorte que les expériences arrivent « l’air de rien », on les voit, on les voit pas, tant pis, on atténue aussi parfois les climax. C’est un terrain glissant, surtout en l’additionnant aux thématiques de ce spectacle qui peuvent paraitre étranges au premier abord (faire du lien entre le métier du magicien et celui du taxidermiste). Mais c’est ça qui m’intéressait à ce moment-là.
– La magie odorante, une autre tentative dans On ne bouge plus, où j’ai travaillé avec un ingénieur olfactif, Philippe Bordier, qui m’a permis de mêler une partition olfactive à la partition magique. Parce que c’est quand même royal de s’offrir la possibilité de ressusciter un lapin pendant qu’une odeur d’urine de fauve est diffusée sous les gradins. Ah oui, dans le spectacle on tente aussi la « Magie animale », non pas avec des animaux mais en faisant l’animal.
Une partie de l’équipe d’On ne bouge plus – de gauche à droite : Yann Struillou, Rémy Berthier, Roger, Orane Duclos – 2014 – Crédit photo : Marine Poron.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Thierry Collet sur ma formation en compagnonnage, mais aussi des formateurs satellites : Michel Cerda, Yves-Noël Genod, Michel Laubu… Après les influences artistiques, je crois qu’on les cherche en fonction des projets. Je pense que c’est le travail qui s’influence et se nourrit du présent et d’un boulot de veille. Je ne crois pas avoir « d’influences fondatrices » sur lesquelles je me cramponnerais quoi que je fasse. On est aussi dépendant des influences de son équipe. Sur On ne bouge plus par exemple, je me suis fait influencé par d’autres artistes qui avaient déjà bossé sur la taxidermie (Maurizio Cattelan, Damien Hirst…), par l’imaginaire de la metteure en scène, mais mes principales influences artistiques sur ce projet ont peut-être été les « vrais » taxidermistes que je suis allé rencontrer lors d’entretiens métiers.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Faire des entretiens métiers. On a toujours peur que les gens ne veuillent pas nous consacrer du temps. Mais il ne faut pas avoir peur. Magicien ou autre métier, prenez le temps de prendre rendez-vous avec les gens qui font un métier qui vous fait envie, ou qui vous rend curieux. Cela développe votre réseau, on pensera à vous au cas où, les gens sont flattés qu’on s’intéresse à ce qu’ils font, et d’une manière générale ces entretiens sont très enrichissants. Ah et puis ne pas vouloir bien faire. Faire du mieux qu’on peut, mais ne pas chercher à bien faire, c’est tétanisant. Et surtout ne pas absolument toujours suivre le chemin conseillé, prendre des chemins de traverse. J’ai failli ne pas me présenter au premier entretien d’embauche de la compagnie où je travaille actuellement de peur de ne pas pouvoir « bien faire ».
Labo L’eau est une flamme mouillée, 2010.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Les portes s’ouvrent de plus en plus. A force de partager et de mettre à disposition des outils à des personnes qui n’ont pas leur-père-et-leur-grand-père-magicien, on arrivera peut-être à faire avancer encore plus vite notre art. Je me rappelle la surprise que j’avais eu en recevant des mots d’insultes de magiciens très ancrés dans la tradition du secret suite à la diffusion d’un sujet sur Canal + où l’on me voyait dans le cadre des activités de la compagnie Le Phalène apprendre à des stagiaires novices dans un théâtre public, un multi-out basique pour qu’ils en testent les effets le soir même. On n’en n’est plus aux vieilles familles de cirque qui saccagent l’académie Fratellini dans les années 80, mais ça fait quand même drôle. En spectacle, pour ne pas passer mon temps à citer Thierry, j’aime aussi beaucoup le travail de Kurt Demey, qui a aussi une formation de plasticien, d’Etienne Saglio et de Yann Frisch, qui ont commencés par le jonglage. Après en découvrant Vortex de Phia Ménard il y a 3 ans, je me rappel à l’époque m’être dit qu’on avait des décennies de retard sur elle, et qu’on avait encore du boulot !
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Aucune importance, continuons à faire apparaître des colombes sur des musiques de Jean-Michel Jarre ! Non, c’est vrai que la question peut paraître étrange, et « la culture » a tellement de sens différents, ça mériterait quelques précision !
Tournée au Gabon – 2008 – Avec l’association AbracaD.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
L’hypnose Ericksonienne, Le cinéma, le théâtre, le lock-picking, et depuis une semaine le cup-stacking mais ça va vite me passer.
À visiter :
– Le site des Illusionnistes
Interview réalisée en octobre 2016. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Marine Poron, Les illusionnistes, Rémy Berthier. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant droits, et dans ce cas seraient retirés.