Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
J’ai toujours bien aimé, je crois, la magie. Je me rappelle, enfant, que l’on regardait le cirque à la télévision et qu’il y avait deux choses qui m’intéressaient : les clowns et les magiciens. Je les attendais toujours avec une impatience folle. Je me souviens aussi d’une boîte de magie, que j’avais dû recevoir vers six ou sept ans. Et d’un ami de mes parents qui connaissait quelques tours : j’adorais quand, à la fin du repas, il sortait son paquet de cartes pour nous faire de la magie !
Mais pour ce qui est à proprement parler de « déclic », il y en a deux je crois. Le premier remonte à mes dix-huit ans. J’étais en classe prépa et un camarade d’internat, à Caen, s’était acheté un manuel de prestidigitation. Je le lui empruntais une fois, puis deux, puis dix, au point que je dus assez vite m’acheter le même, pour ne pas l’en priver tous les soirs. Là, je travaillais et m’entraînais tous les jours à manipuler les cartes. C’est à ce moment-là que je suis vraiment tombé dans la magie.
Le second déclic a eu lieu en 2010. J’avais plusieurs années de pratique de la magie et je suis parti plusieurs mois en voyage, à vingt-six ans, en Asie et en Amérique du Sud. J’avais pris à tout hasard avec moi quelques tours de magie dans la poche, sans trop savoir si je m’en servirais. Et j’ai passé finalement presque tout mon temps à faire de la magie pour des enfants au Cambodge, au Vietnam, en Inde, en Argentine, au Brésil… dans la rue, ou dans des ONG. Je prenais alors conscience de deux choses. L’aspect universel, tout d’abord, de la magie, qui fonctionnait incroyablement bien sur un public qui n’avait pourtant ni la même culture ni la même langue que moi. La capacité d’émerveillement profond, ensuite, que pouvait susciter la magie. C’est au retour de ce voyage que j’ai décidé, avec quelques amis, de développer ce que j’appelle la « magie sociale » et de fonder l’association M’Agis, qui œuvre en ce sens en France et à l’étranger.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Comme beaucoup de magiciens, j’ai appris essentiellement seul. Avec des livres (notamment La magie des cartes, de Jean Hugard et Frédéric Braue et des DVD (de Bernard Bilis pour les cartes, de Guy Nicolas pour une routine de gobelets, de Jean Faré pour une routine de balles éponges, de David Stone pour les pièces, de Duvivier etc.). Je me suis constitué progressivement un petit bagage et j’ai commencé ensuite à me produire, progressivement : devant les amis tout d’abord, et la famille, puis dans des cafés, des restaurants, pour des mariages, des conventions d’entreprises etc. C’est là, en me confrontant vraiment au public, que j’ai le plus appris, ainsi qu’en échangeant avec d’autres magiciens, aussi, sur leur manière de pratiquer la magie, de présenter leurs tours, etc.
Mission M’Agis au Cambodge (2012).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
Il y a eu des rencontres qui ont compté, bien sûr, et pour des raisons différentes.
Quand j’étais étudiant, je faisais beaucoup de magie événementielle. Je travaillais avec l’agence Joseph, de Damien Bertrand, pour des prestations de « magie communicante ». J’ai appris beaucoup de choses en pratiquant la magie dans des contextes particuliers, comme les supermarchés, où les spectateurs ne sont pas là pour assister à un spectacle, n’ont pas de temps à vous consacrer et sont encombrés de leur caddie. Il s’agissait de réussir à les interpeller, les intriguer, les fasciner et à les faire entrer dans votre univers. Eric Antoine à l’époque faisait partie de la même agence de magiciens. On avait travaillé d’ailleurs ensemble, à ce moment-là, à un projet de série télé axé sur la magie, pour lequel j’écrivais les dialogues tandis que lui jouait, avec un autre comparse. On a dû tourner le pilote ainsi que deux ou trois épisodes, mais c’est un projet qui n’a finalement jamais vu le jour, faute de diffuseur.
Mission M’Agis au Cambodge (2013).
Presque dix ans plus tard, il y a la rencontre avec Raphaël Navarro, qui est importante. J’ai suivi les cours que Raphaël donnait au CNAC, dans le cadre du séminaire « écriture magique » et il a ouvert de nombreux horizons. Outre son travail autour de la magie nouvelle, que je trouve remarquable, il a une parfaite connaissance de la magie dans son ensemble et part du principe que tout est possible, que l’on peut tout faire en magie, qu’il ne faut donc pas l’aborder par la porte de la technique, mais par celle du rêve, du désir et de l’envie. C’est une approche qui me plaît beaucoup.
Il y a ensuite les membres et les magiciens de l’association M’Agis, bien sûr, qui ont beaucoup compté et avec qui nous avons vécu ensemble des moments très forts, que ce soit Arnaud Piketty, Marc Weber, Julien Balleyguier ou Yamina Adouhane par exemple. Nous avons construit ensemble le projet M’Agis, qui est une aventure magique collective, solidaire et sans frontières, qui a donné lieu à des moments vraiment magiques, aux quatre coins du monde.
Mission M’Agis aux Philippines (2014)
Enfin, il y a également la rencontre avec le philosophe Michel Onfray, qui m’a demandé en 2014 d’écrire un livre sur la magie, d’essayer de comprendre pourquoi, depuis des millénaires, la magie nous fascine. J’ai dévoré des centaines et des centaines de pages pour essayer de lui répondre, visionné des heures de vidéos de magie, dans une optique non plus pratique mais analytique. Le livre désormais est sorti, il est publié aux éditions Autrement.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Aujourd’hui, je pratique la magie presque exclusivement dans le cadre de l’association M’Agis, que j’ai donc fondée en 2012 avec quelques amis. M’AGIS, un mot qui est à la fois une invitation à agir et un clin d’œil à l’univers de la magie. Avec l’association, nous intervenons exclusivement dans une optique de « magie sociale », c’est-à-dire une magie proposée auprès de populations en situation de très grande fragilité, que ce soit en France ou à l’étranger : enfants des rues, habitants des bidonvilles, migrants, mineurs isolés, SDF, enfants souffrant de handicap physique ou psychologique… Nous travaillons toujours en partenariat avec des structures du secteur humanitaire et social, l’idée étant, pour chaque mission, de faire aller la magie, l’émerveillement que peut susciter la magie, là où il en est le plus besoin. Nous veillons aussi à faire suivre les spectacles de magie par des ateliers d’initiation à la prestidigitation, pour les magiciens en herbe. Nous sommes aujourd’hui une dizaine de membres au sein de M’Agis, tous bénévoles, et serons très heureux d’accueillir avec nous, pour de nouveaux projets, tous les magiciens ou magiciennes qu’une approche sociale de la prestidigitation peut faire vibrer.
Mission M’Agis au Mali (2014)
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y a une magicienne tout d’abord, Elisabeth Amato, que j’avais vue en spectacle dans un tout petit village de Normandie, à dix-sept ou dix-huit ans, et qui est celle, je crois, qui m’a donné envie, vraiment, de pratiquer moi aussi la magie. Je voulais être à sa place et savoir moi aussi transformer un morceau de papier en billet, ou pouvoir faire disparaître un foulard pour le retrouver dans la poche d’un spectateur !
Il y a un magicien de Cherbourg également, d’où je suis originaire, Serge Dovann, que j’ai vu assez jeune faire du close-up et qui m’a fasciné quand j’étais adolescent. Il a une incroyable maîtrise technique, maîtrise qui est d’autant plus impressionnante que, dans un accident, il a perdu l’usage de son pouce droit et a dû inventer lui-même ses propres techniques pour présenter ses tours.
Mission M’Agis au Burkina Faso (2014)
Et puis il y a aussi, bien sûr, les maîtres, comme Slydini, que je ne me lasse pas de regarder. Je reste toujours fasciné par son immense précision dans le geste et son absolue maîtrise du spectateur et de son champ de vision, que ce soit dans son célèbre tour des boulettes ou dans toutes les techniques de lapping qu’il a développées. Il fait très clairement partie des magiciens qui m’ont marqué.
Mais il n’est pas le seul. Je suis très sensible aussi au génie de Tamariz qui, sous ses airs de magicien farfelu voire un peu fou, est à mes yeux un des plus grands prestidigitateurs, un incroyable inventeur. J’aime les magiciens qui ont un vrai personnage, qui ont un style et qui ne ressemblent ainsi pas aux autres prestidigitateurs.
Mission M’Agis en Birmanie (2015)
C’est le cas de Yann Frisch, aussi, qui m’a vraiment fasciné avec son numéro Baltass, où il propose des effets de magie sidérants et campe dans le même temps ce personnage étrange, qui semble à la limite de la schizophrénie et s’étonne lui-même de ce qui lui arrive.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je ne crois pas avoir de « style » de magie qui m’attire tout particulièrement. J’aime différents types de magie, la magie moderne comme la magie nouvelle. J’aime qu’un magicien ait son style, le sien propre, qu’il crée un univers singulier. Mais je peux me laisser embarquer, et j’aime me laisser embarquer dans différents types d’univers, qu’ils soient poétiques, oniriques, loufoques ou burlesques par exemple.
Atelier de magie en Birmanie, avec de jeunes bonzes (2015)
Quelles sont vos influences artistiques ?
Il y a les magiciens qui m’ont marqué et que je citais précédemment, mais il y a aussi, beaucoup, l’approche qui est celle du nouveau cirque, qui n’hésite pas à dresser des passerelles entre les arts et à mettre l’aspect technique des disciplines au service d’un propos, d’une narration ou d’un univers qu’on crée. Nous travaillons ainsi régulièrement, dans le cadre de M’Agis, à l’écriture de duos qui mettent en scène un magicien et un musicien, ou un magicien et un clown par exemple, en réfléchissant à la notion de « personnage » en magie. Enfin, il y a l’influence, aussi, de la littérature et un texte comme Le Petit Prince, par exemple, a porté l’écriture d’un de nos spectacles.
Mission M’Agis au Sri Lanka (2016)
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Pas facile de vous répondre, car c’est à chacun, je crois, de trouver son propre chemin. Il faudra qu’il s’entraîne, bien sûr, pour maîtriser les techniques de base de la prestidigitation, mais aussi, très vite, qu’il puisse comprendre que « le secret du magicien est le magicien lui-même », pour reprendre la très belle formule de Jacques Delord. Ce n’est pas le truc qui fait la magie, mais le fait de trouver son propre style, de créer un univers personnel, de faire entrer le spectateur dans son propre monde. S’il faut bien sûr maîtriser la technique, il faut réussir, très vite, aussi, à s’en détacher pour privilégier la façon d’incarner la magie, de la faire vivre. Et ne pas tomber dans l’écueil d’une magie pour magiciens, où l’on oublie parfois le public pour ne se concentrer plus que sur la seule technique. Mais si j’avais un seul conseil à donner à un magicien débutant, pour vous répondre, ce serait celui-ci : de s’ouvrir, de voyager, de faire des rencontres, d’écouter des histoires, de découvrir des vies, de voir des films, d’aller aux expositions, au théâtre, au cirque, dans les entreprises, dans les écoles, les associations, les maisons de retraite, les prisons, partout où il peut, partout où il veut, pour découvrir le plus de choses possibles car c’est là, à mon avis, qu’il trouvera l’inspiration pour créer une magie qui lui soit personnelle et, aussi, qu’il pourra la confronter à des publics très différents les uns des autres, remettre ainsi ses certitudes en cause, et avancer.
Mission M’Agis dans la jungle de Calais (2016)
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie est aujourd’hui, à un moment très intéressant de son histoire, où elle est en train de se repenser, de se redéfinir, de s’envisager d’une manière nouvelle. Elle s’est enfermée longtemps, je trouve, dans l’économie de la variété et du divertissement et elle est en train, depuis une dizaine d’années, en tous les cas en France, de s’en émanciper et d’explorer des territoires nouveaux. Les limites sont en train de bouger, les certitudes que l’on avait d’être mises à bas : ce sont toujours des moments intéressants, quand les choses bougent et que les cartes sont redistribuées.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
A mes yeux, elle est importante pour comprendre mieux la magie, se situer dans son histoire et ses courants, et comprendre finalement mieux ce qu’on fait, pourquoi on le fait, et comment on va le faire.
Spectacle de magie aux Philippines, dans une zone rurale de l’île de Luçon.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Je ne la qualifierais pas de « hobby », mais en tous cas, l’écriture occupe une place très importante dans ma vie. J’écris à la fois pour les adultes et pour la jeunesse, suivant les projets, et travaille régulièrement avec d’autres artistes (comédiens, plasticiens, funambules, marionnettistes, magiciens, aussi, parfois). Le dernier livre que je viens de publier est justement consacré à la magie. Il s’intitule Philosophie de la magie, aux éditions Autrement. C’est un essai sur la prestidigitation qui est composé de deux parties. La première est une réflexion sur ce qu’est la magie de spectacle, la manière dont on peut essayer de la définir, de la penser, de la conceptualiser. La seconde est une analyse du monde contemporain avec l’œil du magicien, qui entend montrer à quel point, dans le monde politique, médiatique, ou dans le monde des affaires, on utilise des techniques de prestidigitation pour réaliser partout des tours de magie qui ne disent pas leur nom…
– Interview réalisée en février 2017.
A lire :
– Philosophie de la magie de Rémi David aux éditions Autrement (février 2017).
A visiter :
– l’association M’Agis.
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