Shōkyokusai Tenichi1 est un magicien japonais, né dans une famille de samouraïs, dans la ville fortifiée de Fukui. Son vrai nom est Shōkyoku Hattori et son nom d’enfance Hachinosuke Makino. Il est le plus jeune de huit frères. Il est le « père de la magie japonaise moderne » et le fondateur de l’école Shōkyokusai. Ses disciples et fils adoptifs sont : Tenji Shōkukusai (Tenichi Shōkukusai le deuxième), Tenshu (Reisaburo Yagizuma), Tenyo Shōkukusai (fondateur de la célèbre firme japonaise de magie Tenyo), Tenkatsu Shōkyokusai (1886-1944), également la compagne de Tenichi, appelée plus tard « la Reine de la magie ».
Le père de Tenichi est Kaihei Makino, un vassal de la famille Koma, qui est le principal vassal du clan Fukui et un maître de l’escrime. Après avoir déménagé à Tokushima, la famille de Tenichi est assassinée et, en 1860, le jeune homme est placé sous la garde du temple Saiko-ji, où son oncle, qui vivait à Awa, est le grand prêtre. Après cela, il erre dans plusieurs temples. À l’époque de la restauration Meiji, il commence à donner des conférences lors de la première étape d’Ukibushi à Awaji. Puis, il devint un « tayu » marchant à l’épée à Tosa, mais échoue à marcher sur le feu à Kishu. Il utilise le nom de scène Tachikawa Shogetsu, mais le change ensuite en Otowa Takijusai.
Tenichi accompagné de deux femmes occidentales et de sa femme Tenkatsu (à droite)
En 1876, il retourne à Awa sous le nom de Matsukoku Hattori et obtient un livret de famille. Il est impressionné par les tours de magie occidentaux de Yanagawa Chogyokusai dans une cabane à spectacles d’Osaka et fait la connaissance de Jones, un américain qui dirige un commerce à Osaka et participe également à des performances et des spectacles. Jones lui apprend alors des tours de magie occidentaux.
La troupe de Tenichi
En 1878, Tenichi se rend à Shanghai avec Jones. Après avoir étudié les tours de magie occidentaux et chinois, il retourne au Japon l’année suivante. En 1879, Benjiro Okuda, un showman de Sennichimae, exécute un tour de magie en prétendant être retourné en Angleterre. Inspiré par Kitensai Shoichi, alors au sommet de sa popularité, Tenichi change son nom de scène en Tenichi Shōkyokusai et fonde sa propre troupe, le Tenichi-za (Tenichi Ichiza) en 1880. Il acquit une réputation pour ses performances dans Kirishitan Batteren no Haritsuke et Distinction of Yin-Yang Water and Fire (Mizugei) interprétées en vêtements traditionnels. Après s’être marié la même, il retourne à Awa et interprète Samtai, qui connaît un énorme succès à l’étranger. Depuis lors, il gagne en popularité et, en 1885, il joue à Kadoza, à Dotonbori et Bunrakuza, à Saruwakacho, à Asakusa, à Tokyo (rebaptisé « Bunraku-tei » en raison de la permission). Le prix des billets est alors de 1 yen, ce qui est extrêmement cher pour l’époque. La troupe de Tenichi obtient un grand succès avec de grands tableaux scéniques tels que Three Swords Bakusu Sourikiri. Tenichi est plus adepte des tours à grand spectacle que des tours de manipulation et met en scène La crucifixion de la croix, Les Fontaines d’eau, L’art du canon, Tairan et Tenran. De plus, il établit le terme « magie » comme un terme générique pour « tezuma ». Tenichi, qui se dit docteur en arts orientaux, associe ses mots et ses techniques à ses arts mystérieux, et reçoit de grands applaudissements dans toute les villes où il passe.
Parmi ses numéros, Les Fontaines d’eau sont l’une des illusions les plus fascinantes et les plus magiques jamais produites où l’on voit Tenichi se promener gracieusement sur scène parmi ses assistants avec un bâton au bout duquel jaillit de l’eau. Cette eau sort ensuite de tout ce qu’il touche avec son bâton, des éléments du costume, des décors, des objets, etc., pour finalement jaillir de partout. Ce tour fut joué plus tard par Dante mais surtout transfiguré par Howard Thurston2 qui en fit son grand final pour son spectacle de 1919.
Dans Hashira Nuki (qui signifie « passer à travers un pilier »), aussi appelé Tenichi Thumb Tie (Les Pouces liés), des volontaires attachent les pouces du magicien ensemble, très serrés, puis il demande à une personne de son équipe de couper avec un sabre le lien séparant les deux pouces (ce qui est très dangereux). Le sabre passe entre les pouces et arrive entre les bras du magicien et, en plus, les liens ne sont pas coupés. Tenichi présente ce moment comme une performance qui débouche sur un effet magique. Il joue ce numéro aux États-Unis en 1901 puis à Londres en 1909. Il enseigne The Thumb Tie à Carl Rosini et une version du tour est ensuite publié dans le Tarbell’s Course In Magic, Vol. 4 en 1945. Richard Kaufman, qui s’est rendu cinq fois au Japon, explique dans son ouvrage Tenyoism qu’on lui a montré le véritable secret du Tenichi Thumb Tie et que la solution ne correspond à rien de ce qui est écrit dans les livres Américains.
En 1889, Tenichi a l’honneur de jouer une représentation devant l’empereur Meiji et l’impératrice. En 1901, alors qu’il a quarante-huit ans, il dissout sa troupe et parcourt, jusqu’en 1905, les États-Unis avec trois têtes d’affiche : Tenichi, Tenkatsu et Tenji. Dans son autobiographie, Nate Leipzig décrit le spectacle de Tenichi comme l’un des plus originaux qu’il n’ait jamais vus. Des magazines américains le présente même comme « le meilleur magicien du monde » aux côtés du célèbre Harry Houdini ! Pendant la grande période du vaudeville américain, les illusionnistes asiatiques et orientaux sont très prisés, ainsi que les indiens (et pseudo-indiens). L’Orient mystérieux a bien sûr toujours intrigué l’Occident et plus d’un magicien caucasien a choisi de se transformer en oriental : Chung-Ling-Soo (William Robinson), Chin Sun Loo / Ching Ling Foo (Jean Hugard), Okito (Théodore Bamberg), Fu Manchu (David Bamberg), pour ne citer que les plus célèbres. Tenichi, est un des rares vrais japonais à être venu en Occident au début du XXe siècle.
L’affiche Professor Tenichi est imprimée pour la première représentation que le magicien donne après son retour au Japon, au Shintomi Theatre, le 1er janvier 1908. En haut de la composition nous voyons dans des médaillons, de gauche à droite, Tenkatsu Shōkyokusai, la femme du maître, Tenichi lui-même, et Tenji Shōkukusai, l’un de ses fils adoptifs.
Rentré au Japon, Tenichi fait des tournées à l’étranger avec plusieurs numéros achetés et ramenés des États-Unis. Avec seulement quelques personnes, il voyage et visite près de dix pays, dont le Canada, l’Angleterre, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, et connait un grand succès. Tenichi meurt en 1912 mais sa troupe continue ses représentations, avec des jongleurs et des équilibristes, sous le nom des Ko Ten Ichi (ou Ychi), Ten Ichi et Ten Ji Troupes, essentiellement en Grande-Bretagne de 1908 à 1928.
Les 3, 4 et 5 août 2012, la convention annuelle de magie « Tenichi Festival » a fêté le 100ème anniversaire de sa mort dans la ville de Fukui. Le 27 mai de la même année, un monument commémorant en pierre est érigé par la Japan Magic Association près de l’intersection de Daimyo-cho, où se trouve le lieu de naissance de Tenichi.
Revue L’illusionniste, n°31 de juillet 1904 (par le Servant de Scène)
A Marigny. — Les Ten-Ichi qui ont eu beaucoup de succès l’hiver dernier au Casino de Paris, viennent de débuter au Music-Hall des Champs-Elysées.
Le numéro est resté sensiblement tel qu’il était quand nous l’avons vu pour la première fois à Paris ; seul le commencement est changé. Ce n’est plus la jeune demoiselle qui exécute les petits tours préliminaires, mais un jeune homme, probablement son frère. Voici ce qu’il nous a été donné de voir : Une feuille de papier est brûlée et transformée en plusieurs rubans de même nature et de différentes couleurs long chacun de 5 à 6 mètres. Ces rubans réunis dans les mains sont transformés en d’autres plus larges. Une fusée se trouve au centre de ces derniers, elle est allumée, il en part une gerbe d’étincelles, après quoi, un coq est sorti du milieu de ces papiers. Après cela, le magicien exécute le tour du papier déchiré et raccommodé, comme de Bière le faisait au Moulin-Rouge. Ensuite apparitions de trois petits foulards un à un et disparition des trois à la fois. D’une bougie qui brûle un petit drapeau français est tiré. Ce petit drapeau devient un grand drapeau américain (Sans hampe). Arrive après cela le chef de la troupe qui exécute le fameux tour des pouces attachés dont il a été parlé ici même et pour terminer le grand truc de l’eau sortant en jets de toutes parts […]
Notes :
1 Le nom de scène de Tenichi s’écrit aussi Ten Ichi ou Ten-Ichi.
2 Dans Les Fontaines d’eau, Thurston commençait par amadouer un petit jet d’eau d’un bol posé sur une table. Ce jet se retrouvait ensuite au bout d’une baguette et était transféré à différents endroits de la scène pour se multiplier et jaillir comme une fontaine des costumes ou des têtes des assistants. Peu à peu, les jets d’eau se multiplièrent jusqu’à remplir la scène d’une douzaine de fontaines mystérieuses. Le numéro se poursuivait avec un grand récipient d’eau, suspendu en coulisse, attaché avec des tubes en caoutchouc, à divers endroits de la scène, à des costumes et des accessoires. Le final était une fontaine élaborée, au centre de la scène, avec une femme allongée horizontalement en lévitation, au-dessus des jets d’eau et tournant dans les airs avant que le rideau tombe sur elle.
À lire :
- Western Handicrafts Revealed de Tenichi.
- Oriental Conjuring and Magic.
Cet article a été publié, dans une forme plus courte, pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°213 (septembre-octobre 2018). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : State Library Victoria, Richard Kaufmann, Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.