Vidéaste français depuis la fin des années 1980, Pierrick Sorin (né en 1960) est une figure incontournable de l’art contemporain. Méconnu du grand public et évitant le star système, en vogue dans le milieu de l’art, il se met en scène comme un personnage clownesque dans des films où il s’impose au quotidien des contraintes ridicules. Il apparaît ensuite sous forme d’hologramme dans des petits théâtres d’images où chaque saynète plonge le spectateur dans un imaginaire fantaisiste et burlesque. Il explore également les installations vidéo, le montage photographique, les dispositifs audiovisuels interactifs et la scénographie théâtrale.
« J’explore deux pistes dans mon travail. La première est guidée par une vision assez pessimiste de la société, exprimée sous une forme humoristique, sans doute pour rendre cette vie absurde plus supportable. La seconde suit une fascination pour la magie visuelle doublée d’une critique ironique pour les artistes qui se prennent trop au sérieux : l’artiste est aussi un amuseur. » P. Sorin
Dans le travail de Pierrick Sorin la dérision et le premier degré sont de mise, et les rires provoqués par ses saynètes vidéo contrastent avec le trop grand sérieux et l’hermétisme, souvent à l’œuvre, dans l’art contemporain. On retrouve dans ses films tous les ingrédients classiques du divertissement : le déguisement, le comique de répétition et le gag de music-hall, ce qui les rend d’autant plus familiers et accessibles pour le spectateur. Au-delà de l’abord cocasse, ludique et plaisant de ses œuvres, Sorin ne trahit pas son point de vue critique et désabusé sur le monde contemporain. Il passe à la moulinette la banalité du quotidien, les nouvelles technologies, le cinéma et la télévision, la psychanalyse et surtout l’art contemporain et la figure de l’artiste.
A première vue, Sorin se donne comme un entertainer de proximité, un bon petit gars près de chez vous, qui ressemble aux autres et qui peut faire rire. On se tromperait lourdement si on croyait à ce point avoir tout dit !
Entre autofictions et narrations schizophréniques, l’artiste collectionne les identités et devient une sorte d’anti-héro comico-tragique, brocardant tour à tour la société, les modes de vie, les médias et les institutions culturelles. Cet amuseur public explore et questionne au final le sens de l’existence utilisant des dispositifs illusoires dignes des plus grands prestidigitateurs. Vidéaste insolent et facétieux, Sorin a conquis non seulement les collectionneurs et les doctes penseurs de la modernité, mais aussi un public plus large de spectateurs.
« Ma démarche artistique interroge sur le sens de l’existence. Mais, parfois, j’imagine un truc qui me fait marrer sans que j’y sente un sens profond. Alors j’hésite, car je ne veux pas tomber dans le simple spectaculaire. Puis, finalement, j’y vais quand même, car j’aime quand c’est drôle. » P. Sorin
L’héritage Méliès
L’exposition Méliès, présentée précédemment au TNT de Toulouse, est un parcours « très animée » en hommage au cinéaste/prestidigitateur. Les œuvres exposées ont été choisies en fonction des connexions qui relient Sorin à Méliès. C’est aussi l’occasion pour Pierrick Sorin de réaliser une rétrospective de ses travaux depuis les années 1990 avec quatre installations vidéo, huit films, dix théâtres optiques, deux créations interactives, quatre clips musicaux et deux performances.
Il y a bien des points communs entre le cinéaste du Voyage dans la Lune et son lointain héritier truqueur. Comme Méliès, Sorin fait tout : scénariste, décorateur, machiniste, truquiste, dessinateur, figurant ou acteur principal. Comme lui enfin, il a construit son propre studio pour mettre en scène ses films.
« J’ai découvert Méliès tardivement, je devais avoir 28 ans. J’avais déjà réalisé un certain nombre de petits films super-8 dans lesquels j’usais parfois de quelques trucages bien connus. J’ai été épaté de voir comment, au tout début du XXème siècle, ce prestidigitateur-cinéaste réussissait à réaliser des effets spéciaux qui n’avaient guère à envier aux techniques modernes du cinéma ! J’admire l’inventivité de Méliès, mais ce qu’il dit m’intéresse moins. J’ai été formé aux Beaux-arts, j’ai besoin que mon travail sous-tende un discours intellectuel. » P. Sorin
LES OEUVRES
La belle peinture est derrière nous (1989)
Cette installation vidéo implique le visiteur qui participe involontairement à l’œuvre en étant filmé par une caméra cachée. Il est pris à parti par l’artiste par jeu d’images interposées : « Poussez-vous ! Je suis en train de regarder la belle peinture qui est derrière vous… »
C’est mignon tout ça (1993)
Grâce à un dispositif vidéo basique, un homme partiellement vêtu en femme, s’excite à la vue de ses propres fesses filmée par une caméra et diffusée devant lui… Une des œuvres majeures de Pierrick Sorin qui met en relief le dispositif vidéo dans un jeu de « point de vue » osés qui interroge le côté voyeuriste du spectateur.
Pierrick et Jean-Loup (1994)
Quatre courts-métrages : un samedi avec Jean-Loup, Jean-Loup et les jeux vidéo, Pierrick et Jean-Loup font de la musique et Pierrick et Jean-Loup font du foot.
Cette série d’autos filmages a été produite pour l’émission de Bernard Rapp sur FR3 My télé is rich. Pierrick Sorin y met en scène les aventures banales de deux frères jumeaux, joués par lui-même. Les deux garçons, en proie à l’ennui, se livrent à des activités où se mêlent la bêtise, la créativité et l’agressivité dans un style précurseur annonçant vidéo Gag. Cette série interroge à la fois l’image de la télévision et l’art. Hilarant !
« Lorsque j’étais enfant, j’adorais les grosses farces. De plus, je continue à penser que la magie du cinéma existait déjà dans les films muets. Je reste très attaché au cinéma burlesque américain, que j’ai connu enfant. Mais c’est plus le style de ces films qui est important à mes yeux, la caméra fixe, les gags visuels, les images saccadées et fragiles – tout ceci est plus important pour moi que la personnalité des acteurs. » P. Sorin
Une vie bien remplie (1994-2009)
En passant par les coulisses de la maison des arts, le spectateur arrive sur la grande scène du MAC par l’entrée des artistes face aux fauteuils vides. Plongés dans le noir, une dizaine d’écrans géants sont suspendus dans l’air. Ils y projettent en boucle ses autos filmages : Sorin transportant des tonnes de linge sale, versant trop de vin dans son verre, remplissant et vidant sa valise au moment du départ, etc. Cet ensemble d’attitudes et d’automatismes quotidiens et absurdes fait partit de ses premiers travaux narratifs hérités directement du slapstick.
Sorin nous montre l’angoisse de l’artiste, déployée sur grands écrans, face aux actes stupides et répétitifs qui envahissent l’existence.
« Ce qui m’a influencé à mes débuts c’est l’univers de la bande dessinée, le caractère des héros des films américains et aussi l’énigme existentielle du personnage, absolument à côté de la plaque, et du monde, d’un M. Hulot de Jacques Tati… » P. Sorin
Les théâtres optiques
Depuis 1995, dans un dispositif de fabrication artisanal, l’artiste se met en scène sous forme d’hologramme virtuel faisant son apparition au milieu de décors miniatures et d’objets réels. « Le petit Sorin » se donne inlassablement en spectacle dans des saynètes ironiques et graves à la fois, en référence au cinéma muet.
« Je reconnais que la simple magie visuelle dans laquelle je me vautre volontiers en réalisant des théâtres optiques me fascine et me rapproche de l’inventeur d’autrefois. Cela me plaît bien, à l’époque des nouvelles technologie, de travailler selon des méthodes du XIXe siècle en théâtre pour créer l’illusion. C’est un peu comme des hologrammes.» P. Sorin
Ses théâtres optiques sont comparables aux boîtes d’optiques du XVIIIème siècle montrées dans les rues par des bonimenteurs. Des formes brèves basées sur les effets de répétition, les effets comiques, la reconnaissance de formes familières à travers l’imitation et le caricature ou le dédoublement et le travestissement. L’effet doit être instantané sur le regardeur.
Le dispositif de trucage mis en place par Sorin est pris dans une double fonction : produire de l’illusion et montrer ses principes de production. Offrir de l’enchantement et du désenchantement en faisant entrer le procédé mystificateur au cœur de la représentation. Les effets visuels sont obtenus par l’utilisation d’un miroir sans tain qui reflète une image dont la source est hors de vue du spectateur. Le système de miroir, inspiré du professeur John Pepper, permet de voir simultanément le reflet d’une image et le décor réel situé derrière ce miroir.
– 143 positions érotiques (1999)
Un personnage nu prend des poses vaguement érotiques sur un lit avec, pour partenaire, un polochon. Pastichant les films érotiques, le vidéaste se livre à une série de poses très drôles sur un véritable lit miniature recouvert de fourrure.
– Sorino le magicien (1999)
Avec la complicité de son assistante Karine Pain, Sorino effectue divers tours de magie un peu dérisoires, dans lesquels le pain est l’accessoire privilégié. En incarnant un magicien ringard, le vidéaste livre une critique de l’artiste qui fait un peu n’importe quoi pour se rendre intéressant ! Les tours de passe-passe à connotation érotique dispensent une ambiance malsaine, que l’utilisation des accessoires renforce par leurs symbolismes sexuels (baguette, miches et poireau !).
Ce magicien, c’est une certaine critique de l’artiste qui fait un peu n’importe quoi pour se rendre intéressant. P. Sorin
– Chorégraphie d’aujourd’hui (2001)
« Je me mets toujours dans la peau de quelqu’un d’autre qui regarde et je me dis : est-ce qu’il va bien comprendre ? Je ne vois jamais mes films que du point de vue d’autrui. » P. Sorin
Trois « petits Sorins » holographiques répètent un spectacle de danse. Ils sont en immersion dans un véritable aquarium, entourés de poissons rouges. Le dispositif est constitué de trois moniteurs, un aquarium et des poissons vivants.
– Quelques inventions remarquables (2004)
Démonstrations d’inventions du futur, tirées par les cheveux, dont le visualiseur personnel d’images mentales, le téléporteur d’objets vivants et l’opérateur personnel de chirurgie faciale.
« Je suis l’artiste qui permet de donner des points de repères à un grand public en jouant sur l’humour et les effets magiques. Aussi, peut-être, parce que j’ai crée un personnage attachant. » P. Sorin
– Titres variables (1999)
Titres variables est un terme générique pour désigner un ensemble d’œuvres indépendantes conçues sur un principe identique. Chaque œuvre, sous la forme d’un théâtre optique, montre un personnage (image virtuelle dans l’espace) qui court sur un véritable disque vinyle qui lui même tourne sur un vrai pick-up. L’ensemble des œuvres constitue une sorte de famille de personnages. Une bribe de chanson provient du disque, mais celui-ci est rayé et tourne à l’envers. Le fragment de chanson se répète sans être compréhensible. Pourtant, au bout d’un moment, le spectateur peut avoir l’impression de comprendre quelque chose. C’est toutefois une interprétation subjective qui varie d’un spectateur à l’autre. La phrase que chacun croit entendre devient le titre possible de l’œuvre.
L’homme qui a perdu ses clefs (1999)
Dans cette installation vidéo, un homme cherche frénétiquement ses clefs. La mise en espace des images fait de lui un lilliputien stressé qui s’agite devant une image en grand format : des gros plans de ses propres mains fouillant ses vêtements et son visage inquiet…
Prototype de cheminée virtuelle
Le visiteur pénètre dans l’espace assombri de la salle d’exposition. Il voit une cheminée dans laquelle brûle un amas de composants électroniques : les restes d’un ordinateur dont le clavier, dévoré de chaleur, se change en un coulis de lettres molles. Les flammes ne sont que des images qui s’échappent des entrailles réelles de l’engin.
Nantes projets d’artistes (2000)
Encore une fois, Pierrick Sorin se met lui-même en scène pour incarner sept artistes européens aux projets tous plus loufoques les uns que les autres. Il y questionne la légitimité des artistes, dénonce leur posture et d’une façon plus générale il déconstruit leur travail au cours des quarante dernières années : photo, peinture, danse, sculpture, musique, cinéma, vidéo …
« Pour moi le rire est un déclencheur d’émotions pour le spectateur. Il permet de l’accrocher, de l’emmener ailleurs, de lui mettre sous les yeux une réalité humaine à partir de laquelle il y a matière à s’interroger. Le rire c’est finalement très pédagogique ! » P. Sorin
Nantes : projets d’artistes est un vrai-faux documentaire sur la commande publique. Renouant avec le goût de la fiction, Pierrick Sorin endosse tous les rôles – du présentateur télé aux sept artistes invités –, et livre avec beaucoup d’humour une réflexion sur la figure de l’artiste et l’acte de création. Sorin revient sur son itinéraire artistique : son irruption dans le champ de l’art, sa pratique très personnelle de la vidéo et la création d’un univers banal et singulier animé par des personnages fictifs mais bien réels. Dans un second temps, différentes lectures possibles de « Nantes : projets d’artistes » sont abordées afin de montrer que ce film est une œuvre de rupture dans la filmographie de l’artiste.
C’était bien du coulis de tomate (2005)
Ce court-métrage muet et en couleur de vingt-quatre minutes, réalisé pour accompagner un grand spectacle de rue de la compagnie Royal de Luxe, raconte un drôle de voyage dans le temps. Une histoire d’éléphant au pays des mille et une nuits, ou comment la supercherie et l’illusion peuvent intéresser le pouvoir politique.
« Pour moi, la technique est une forme de poésie, donc elle doit être visible. Une création qui fait appel à peu de moyens et à un esprit malin est plus belle à mes yeux que les meilleurs effets spéciaux des films à gros budget. Pour cette raison également, je préfère le muet. »
P. Sorin
Switch on the Light
Dans une boîte surmontée d’un luminaire sphérique, on voit un « petit Sorin » holographique juché sur un vélo d’appartement qui déclenche son mouvement de pédalage à l’injonction du visiteur qui doit lui crier : « Switch on the Light » (« allume la lumière »). Au rythme des coups de pédales, l’intensité lumineuse du luminaire varie. Une œuvre/gadget Magique et poétique pour salon ou chambre à coucher.
With Michel (vacances 2008)
Cette série de photos montage met en scène Pierrick Sorin et son ami Michel(lle) le moustachu (figuré par le vidéaste), à la plage, au safari africain ou taquinant la saucisse du barbecue. Les clichés renvoient aux vacances du Monsieur Hulot de Jacques Tati et à nos propres souvenirs de vacances dans les endroits les plus « beaufs » de France comme le montre une photo d’un trio musical au camping de Saint Jean de Mont !
Dégoulinures n°1 (2009)
Dans cet hommage à Méliès et à la peinture, Pierrick Sorin reprend le motif de l’affiche du Voyage sur la lune, véritable icône du cinéma. L’installation, inspirée des travaux de Tony Oursler, mélange de technique « pointue » et de simple effet d’optique : traitée à la palette graphique, la tête de l’artiste déformée en lune baveuse de morve psychédélique est projetée sur la rambarde en verre surplombant le bar, tandis qu’un incrustateur de couleurs produit le même résultat sur une autre tronche de lune sculptée par l’artiste.
« Les jeunes d’aujourd’hui auraient utilisé des images en 3D, moi je reste attaché à ce genre d’effets. C’est beau et c’est un peu dégueulasse en même temps. J’aime jouer sur ce genre d’ambiguïté. L’installation me permet de balader des films dans le décor en direct et de montrer le procédé qui permet de montrer une image. Ce qui se passe dans les coulisses est aussi intéressant que le résultat final. » P. Sorin
Warming seat (2009)
A l’entrée d’une grande boîte un cartel précise : « Avec des moyens modernes, l’artiste prolonge les expériences fantasmagoriques de Robertson».
Le spectateur entre dans un espace où se trouve un siège et des moniteurs. Il suit alors un mode d’emploi :
– Asseyez-vous sur le tabouret
– Positionnez-vous de manière à bien voir l’écran de la borne
– Appuyez sur le bouton rouge tout en regardant l’écran. Une photo de votre visage va être prise.
A l’extérieur, sur un écran géant, la prise de vue, en différé, s’affiche sur un grand écran. Il ne s’agit pas de « photo » comme l’indique le cartel mais bien de vidéo. Un montage automatique et aléatoire montre des séquences prises plus ou moins récemment, qui alternent avec des prises de vue du visage du spectateur.
Ce dispositif participatif est un petit piège diabolique car au moment de la prise de vue, lorsque le spectateur appuie sur le bouton rouge, un feu s’allume sous ses fesses et les yeux de Satan brillent dans une vision fantasmagorique.
BILAN
Après avoir parcouru tous les recoins de la maison des arts de Créteil, nous ressortons enchanté de cette exposition/parcours, le sourire au bord des lèvres. Heureux d’avoir (re)découvert le travail d’un artiste qui ne se prend pas au sérieux, qui démystifie l’idée même de l’exposition d’art et des institutions qui l’accueil.
Rares sont les œuvres d’art accessibles qui nous renvoient, en plus, à notre propre intelligence. Par la cohérence et la diversité de son travail plastique, le magicien Sorin à réussit le même tour de force que son illustre prédécesseur Méliès : nous envoûter tout entier pour notre plus grand plaisir.
A voir :
– L’exposition Pierrick Sorin, Méliès s’est déroulée du 13 au 24 mai 2009 à la maison des arts de Créteil.
– A travers mon petit trou. VHS (1999). 27 petits films ou constats d’installation des premiers autofilmages aux installations réalisées en 1999. Avec les commentaires de l’artiste.
– Nantes, projets d’artistes. DVD (2001).Court-métrage de fiction.
– Pierrick Sorin 261 Bd Raspail. DVD (2001)
Un auto-documentaire sous forme de fausse émission TV, sur l’ exposition à la Fondation Cartier.
A lire :
– Pierrick Sorin de Pierre Giquel (2000). Editions Hazan.
– Pierrick Sorin, Petits théâtres optiques et vidéos comédies (2005). Edité par le Musée départemental d’art ancien et contemporain à Epinal.
– Dossier « Magie et cinéma« .
– Dossier Méliès.
A écouter :
– L’interview de Pierrick Sorin sur son exposition-parcours Méliès.
A visiter :
– Le site de l’artiste.
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