Né en 1974 à Lausanne, Philippe Decrauzat est l’un des représentants de la nouvelle abstraction suisse. Depuis une quinzaine d’années, il mène une quête picturale autour de l’art abstrait et cinétique en travaillant la vidéo, la peinture, le dessin, la sculpture et l’installation. Il revisite l’abstraction autour de l’opticalité et en renouvelle les perspectives. Anisotropy est sa première exposition personnelle à Paris. Anisotropy, du nom de la propriété physique qui rend un objet ou une matière dépendants de la direction, modifiant ainsi sa perception selon le point de vue adopté. Ce principe est adopté pour le parcours de l’exposition qui est construit comme un labyrinthe induisant un aller-retour et utilisant certains principes de réversibilité.
Diverses influences
Decrauzat est captivé par l’Op art des années 1960 ; un art qui se base sur des motifs créant une illusion de mouvement. Son travail est une quête du mouvement et de l’illusion qui se nourrit chez Duchamp, Hitchcock et Saul Bass, Muybridge, Hans Richter, George Landow, Michaël Snow, Le cinéma structurel de Tony Conrad, Gustav Klucis, ou encore Laszlo Moholy-Nagy.
Les œuvres
– Sans titre est une peinture acrylique monochrome sur toile représentant un W. Un signe posé dans l’espace qui joue le générique de l’exposition. Une forme en miroir qui peut contenir un V dédoublé comme pour nous dire d’entré que le parcours a une double lecture et que chaque œuvre contient une dualité formelle et conceptuelle.
– On Cover est une peinture murale in situ représentant un motif grillagé aux croisillons stretchés, issue d’une trame de moirage colorée réalisée par le chercheur américain Gérald Oster, pour la couverture d’une revue scientifique. Decrauzat effectue un zoom dans cette trame et la transpose en noir et blanc. La composition est dédoublée suivant un jeu de miroir entre le haut et le bas du motif. L’espace en deux dimensions (de la couverture) est confronté à l’espace en trois dimensions (de la salle) dans un effet de dilatation troublant.
– Et d’un processus. L’espace s’est dilaté (par en dessus, par en dessous) et le temps aussi est un film 16mm de trois minutes tournant en boucle et reprenant les motifs du générique du film de François Truffaut, Fahrenheit 451. Un sample qui enchaine, de manière frénétique, des zooms sur des antennes hertziennes, en inversant les images ou en les fendant en deux. L’écran, à l’image de certaines peintures, produit à la fois un effet centripète mais aussi centrifuge au moment où la lumière rebondit sur lui et se propage en modifiant notre perception de l’espace. Les jeux de formes de grilles et de mélanges des couleurs dessinent une production ornementale graphique singulière.
« Depuis quelque temps, je travaille sur une série de dessins recto verso composés de tracés répétitifs produisant des motifs ornementaux : un dessin en boucle qui parcourt la feuille sans interruption, accroché perpendiculairement au mur. Ces méandres et construction labyrinthiques se rapproche des recherches de R Smythies et Grey Walter qui, au début des années 1950, ont étudié les images stroboscopiques générées par l’observation d’une pulsation lumineuse. Ces expériences ont permis de réaliser un inventaire des formes consécutives « réelles et abstraites » tels : chevons, constructions cristallines, damiers, méandres, nid d’abeilles, alvéoles hexagonales, spirales, mandalas… » P. Decrauzat
– Slow Motion est un ensemble de treize peintures rectangulaires composées de bandes noires verticales sur fond blanc et travaillées dans un effet de dégradé. Ces peintures sont réparties en deux ensembles accrochés en vis-à vis. La variation créée par le dégradé perturbe la netteté des bandes à la manière d’un effet d’éclairage ou d’un défaut de reproduction, d’une surexposition. Les mêmes motifs se prolongent d’une toile à l’autre, donnant l’illusion d’une continuité. A l’image d’un positif et négatif, les deux murs peuvent se superposer et s’annuler dans un effet cinétique de fondu enchainé. Ce fondu peut renvoyer à deux principes opposés comme le phénomène d’apparition ou de disparition du motif.
Cet ensemble pictural convoque différents procédés purement cinématographiques comme le séquençage, le défilement d’images fixes, les effets de fondu enchainé, le travelling multidirectionnel, le ralenti, ou bien encore le principe d’obturateur permettant de passer du blanc au noir.
– And to end est tiré d’un film expérimental de Hans Richter de 1944-47, intitulé Dreams that money can buy. Un film en 16mm d’une minute et douze seconde répété en boucle montrant un tapis de jeu de cartes couvert de mises comme autant de compositions géométriques. Les jetons colorés se superposent dans une juxtaposition qui rend l’objet abstrait. Ici, la couleur revêt une fonction symbolique de transformation et de dédoublement dans un mode de montage aléatoire et frénétique comme des images subliminales exposées au grand jour.
Synthèse
Artiste pluridisciplinaire, Decrauzat s’emploi à créer des passerelles et des associations entre la peinture et le cinéma, la peinture et la sculpture. En s’intéressant d’abord à la position du spectateur, il réalise des espaces qui ont comme point de départ des questions provenant du champ de la peinture. Il existe des « images sources » qui sont retravaillées par rapport à un média précis, comme un dessin optique retravaillé et déformé pour une transposition dans l’espace (On Cover), ou une partition cinématographique appliquée à l’architecture. Tel l’artiste maniériste, Philippe Decrauzat récupère un patrimoine « pictural » pour le retravailler dans l’optique d’une ultime transformation. Il prend des formes déjà chargées de fiction pour les injecter dans des constructions abstraites qui doivent révéler un espace inconnu de l’ordre de la physiologie. En utilisant, entre autre, le principe de la persistance rétinienne, qui permet de faire d’une succession d’images une animation, l’artiste arrive à produire de nouvelles images qui ne découlent pas directement de l’observation du réel, mais qui sont produites par notre perception.
L’exposition Anisotropy s’est déroulée au Plateau, Frac Ile-de-France à Paris du 17 mars au 15 mai 2011. Crédits photos – Documents – Copyrights avec l’aimable autorisation de l’artiste : Philippe Decrauzat et S.Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.