Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Un de mes premiers souvenirs, c’est l’émission Le plus grand cabaret du monde. J’ai été fasciné par un numéro d’apparition de colombes quand j’étais enfant. De souvenirs, c’était celui de Greg Frewin. Je suis entré dans la pratique de la magie lorsque j’avais dix ans. Il y a un moment où j’ai changé d’école primaire et cela n’a pas été très simple car je rencontrais des difficultés à aller vers mes camarades. Un jour, j’ai ressorti ma boîte de magie et elle m’a permis de m’épanouir en dehors de l’école et d’aller vers les autres. Rapidement, j’ai voulu en savoir plus. Avec l’aide de mon père, je me suis procuré en librairie le Manuel de prestidigitation de Patrick Page. Ce livre m’a permis une immersion dans l’univers de la magie, du close-up à la grande illusion. C’est un livre que j’ai très souvent feuilleté. Il me permettait de m’évader, de rêver.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
J’ai véritablement appris avec la collection Au Coeur de la Magie de Sylvain Mirouf qui a été mon encyclopédie d’apprentissage. Je trouve que ce sont des DVD d’une grande qualité pédagogique et qui présentent une diversité de tours. Les fiches qui accompagnent cette collection fournissent beaucoup d’informations sur la culture magique, que ce soit sur les grands magiciens, l’histoire ou encore les illusions d’optique. Je remercie Sylvain car c’est vraiment un beau travail qu’il a fait, à l’époque.
Le premier pas a été franchi le 17 janvier 2007. À l’occasion du Festival Magie et Humour organisé à Thouaré sur Loire (44) où il y a eu un concours de magie. Je me suis alors inscrit, j’avais treize ans. Depuis l’âge de sept ans, je pratiquais le théâtre en amateur et le choix de la scène a été évident. J’ai présenté un numéro de manipulation avec des boules éponges, que je multipliais entre mes doigts. J’exécutais également une boule zombie. J’avais choisi la musique du Grand Blond avec une chaussure noire composée par Vladimir Cosma, en fond sonore. C’était un clin d’oeil à l’introduction du film d’Yves Robert où Gérard Majax exécutait le générique avec des manipulations de cartes. Sur la fiche d’inscription au concours, il était demandé un nom de scène. J’ai alors choisi « Robinson » (en lien avec mon nom de famille). Puis au moment de mon passage, le présentateur a dit « Mister Robinson » ! J’ai donc décidé de conserver ce nom qui représente finalement ma part d’enfance et quelque part le rêve et l’imaginaire.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Ma rencontre avec Gildas Massé, alias Alan Gill a tout changé ! Il m’a fait entrer dans l’Amicale Robert-Houdin et a su me guider et m’épauler dans mon apprentissage, dans les moments forts et les moments difficiles. Je lui dois beaucoup. Je pense que nous partageons une vision similaire sur la magie. Je me souviens aussi d’un dîner improvisé avec Laurent Beretta qui m’a permis d’avoir des échanges profonds sur le métier et un échange enrichissant sur la théorie magique.
Il y a des petits événements qui m’ont freiné, mais il s’agit finalement de marches qui m’ont permis de grandir artistiquement ! À l’adolescence, j’avais des questionnements. Je me concentrais sur les études, parfois la magie passait au second plan. Lorsque j’étais étudiant, la magie était mon job, c’était parfois difficile de mêler les deux. Il y avait des moments difficiles, le mois de décembre à enchaîner les représentations, tout en prenant du temps pour réviser les partiels. Je me souviens que c’était des moments intenses. En janvier, les spectacles étaient passés et les partiels aussi. C’était donc le vide et les nombreux questionnements : « Est-ce que je me lance dans la magie pleinement ? ». C’est le plus difficile je trouve : faire des choix.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros.
Dans la magie, on peut dire que je suis un « touche-à-tout ». J’aime beaucoup de choses, mais mon domaine de compétence, c’est la magie scénique. J’aime écrire des histoires et les mettre en scène. Je travaille dans plusieurs conditions, en EHPAD ou dans un théâtre. Être magicien, c’est s’adapter aux différents lieux et aux différents publics. Ces derniers temps je me suis consacré au mentalisme et à la « magie bizarre ». Je trouve que c’est un mouvement magique qui n’a jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui. Le monde vit des bousculements, des changements profonds. Les gens sont inquiets, ils s’interrogent, ils se tournent de plus en plus vers des croyances alternatives en allant consulter des magnétiseurs ou des voyants. C’est ce contexte qui m’a donné l’idée d’écrire Les Secrets d’An Diaoul. C’est un spectacle dans lequel je mets en scène un personnage qui a reçu un colis posté en 1953 par un magicien nantais portant le nom de scène d’An Diaoul. En réalité, ce personnage historique est le fondateur de l’Amicale Robert-Houdin de Nantes. Dans ce spectacle, avec le public j’entre en contact avec son esprit. Ce qui permet au fantôme de mettre l’ambiance magique. Moi, je ne suis qu’un interlocuteur entre les spectateurs et lui. Cela m’amuse beaucoup. Pour approfondir cet écrit, j’ai effectué un stage à La Casa des Merveilles avec Claude de Piante et Céline Noulin. Ce fut un super stage, je le recommande aux curieux du spectacle spirite.
Quel est votre rôle au sein de l’Amicale Robert-Houdin de Nantes qui a fêté ses 90 ans d’existence ? Pouvez-vous nous parler de son créateur Fernand Ridel, figure de résistance et disparu il y a un an ?
Au sein de l’Amicale, je suis un simple membre. Je ne suis pas élu au bureau. Cependant, depuis le décès de Fernand Ridel, la vie de cette association m’anime. L’histoire, la longévité, la convivialité de ce cercle magique sont des éléments essentiels, j’ai envie de faire perdurer cela. Depuis un an, j’essaie d’entrer en contact avec des conférenciers, ainsi nous avons pu recevoir en avril 2023 Sylvain Mirouf, en novembre dernier Céline Noulin et en mai 2024, nous recevrons Gabriel Werlen.
Fernand Ridel n’est pas le fondateur ! Je dirais plutôt que c’est le rénovateur. L’amicale a été fondée le 3 décembre 1933 par six personnalités dont Jules Bonduelle (An Diaoul) et Robert Olivaux (Tréborix). Après la Seconde Guerre mondiale, l’association a connu une période trouble. Il y avait de moins en moins de membres actifs. À la fin des années 1950, un groupe de jeunes dont Fernand sont arrivés. Il était d’une grande sensibilité, très souriant, il avait une très grande culture de l’art magique, mais pas que ! Il jouait du piano, il aimait le jazz, le grec ancien… C’était aussi un homme de caractère. En effet, avec son père, c’était une figure de la Résistance à Nantes. D’ailleurs il n’hésitait pas à témoigner auprès des lycéens de son expérience. Il aimait transmettre aux jeunes générations.
Auprès des membres, il a toujours su partager ses connaissances. Il était en relation avec des magiciens du monde entier, il parlait anglais couramment. Nous avons même reçu à Nantes Joan Caesar, ancienne présidente d’IBM. Fernand Ridel a été président de 1960 à 2010 où il a passé le relais en douceur sur ses dernières années à Jean-Marc Vilette, qui est le président actuel. Aussi, Fernand Ridel a fondé notre revue bi-annuelle, intitulée L’ami Rob’Houn, que nous continuons de publier, depuis 1966. Il a donc marqué cette association et nous avons pris le relais collectivement. Je suis très content de voir qu’il y a une très bonne dynamique autour de la célébration de nos 90 ans.
Parlez-nous de votre passion pour l’histoire de la magie
Étrangement, ma passion pour l’histoire de la magie ne date pas. J’ai avant tout été passionné de magie et passionné d’histoire. Je pense que mon mémoire de recherche consacré aux artistes du spectacle en Grèce ancienne a déclenché un intérêt pour l’histoire de notre discipline. Je découvre que l’histoire de la magie est encore plus secrète que le monde de la magie lui-même. En effet, il est très difficile pour un novice qui s’y intéresse vraiment de pouvoir approfondir le sujet et de trouver les références. Alors bien sûr, il y a les écrits de Max Diff et Fanch Guillemin qui sont très bien. Cependant lorsqu’on se lance dans des recherches historiques, je trouve qu’il n’est pas aisé de se pencher vers les sources. Pour cela, je remercie Thibault Ternon qui a fait un travail remarquable tout d’abord avec son site Internet Munito qui permet, à mon sens, une véritable conservation de documents de l’art magique, puis par sa maison d’édition Le Cabinet d’Illusions qui a déclenché une véritable reconstruction de notre histoire avec la publication d’ouvrages spécialisés. D’ailleurs je lui dois toujours un écrit ! Mais je ne trouve pas suffisamment le temps d’écrire. C’est un travail de longue haleine, cela ne s’improvise pas.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
Lorsque je ferme les yeux et que j’imagine un magicien, un personnage illustre apparaît, c’est Lance Burton ! Je trouve qu’il a présenté un numéro à la FISM qui mêle à la fois modernité et tradition magique. Ce n’est peut-être pas le numéro le plus original, mais à mes yeux, il incarne par sa prestance, le magicien au sens universel. Choisir les quatre saisons de Vivaldi, en fond sonore c’est s’inscrire dans l’histoire de la magie de manière intemporelle. Arturo Brachetti fait son cinéma est un spectacle qui m’a marqué. J’ai rarement vu une prouesse technique et scénique aussi minutieuse, je pense que c’est un « magicien » à voir une fois dans sa vie ! L’Ombre Orchestre de Xavier Mortimer a été un moyen pour moi, de comprendre que la magie est aussi un exercice de style. Nous avons la capacité d’emmener le public dans nos univers variés et Xavier Mortimer a su mêler poésie, magie et musique avec brio. Le Syndrôme de Cassandre de Yann Frisch est très certainement un autre exemple ! C’est une prestation qui m’a mis une grosse claque. J’ai apprécié le côté dark et le fait que la magie peut transmettre des idées et ouvrir des champs de réflexion, tout en dégageant des émotions variées.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime beaucoup de choses… En ce moment, j’ai un goût prononcé pour la « magie bizarre ». Je trouve que c’est un mouvement qui n’a pas eu la mise en lumière qu’il méritait dans les années 1960-1970. Cependant, c’est une magie qui parle aux spectateurs aujourd’hui. La crise du Covid, le dérèglement climatique, les conflits militaires en Ukraine et en Palestine, l’inflation… autant de sujets d’actualité qui créent du désespoir et de la peur. Les gens ont besoin de s’évader de leurs quotidiens… La « magie bizarre » a toute sa place dans notre société puisqu’elle permet de revenir à une magie originelle basée sur le mystère. Elle permet de dépasser le champ des possibles. Mais j’aime aussi la magie visuelle (générale, manipulations), des numéros comme ceux d’Hector Mancha qui mettent en abime un personnage avec une magie minimaliste, j’adore !
Quelles sont vos influences artistiques ?
Ce n’est pas une question simple. Mes influences artistiques vont certainement au-delà de la magie, mais je vais me restreindre à cela. C’est très vaste, je peux tout de même citer : Orson Welles, Eugene Burger, Max Maven, Derren Brown, Lance Burton, Jay Sankey, Darwin Ortiz, Juan Tamariz, Xavier Mortimer, Yann Frisch, Dion, Alain Simonov…
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Avec Internet, débuter la magie aujourd’hui n’a jamais été aussi simple. Seulement, il y a une quantité d’informations. Or, la magie est un art vivant. Le magicien débutant se doit d’essayer de se rendre dans une boutique de magie (bien qu’il n’y en ait plus beaucoup) ou dans une association. À mon sens les relations humaines sont ce qu’il y a de mieux pour apprendre et approfondir la magie. Les vidéos sur les réseaux sociaux permettent d’apprendre des tours et briller en société, mais tout comme les vidéos d’apprentissage de la musique, on vous donne les cordes à pincer ou les touches à appuyer, sans donner d’informations sur les notes et les gammes. En magie, c’est la même chose. Je pense qu’il est nécessaire d’apprendre les techniques pas à pas. Il y a tellement de spécialités, il est important de s’y retrouver. Ensuite, je lui conseille aussi de pratiquer en parallèle les arts du cirque, la danse ou le théâtre. Des arts scéniques qui lui permettront d’être à l’aise avec le milieu du spectacle. Je pense qu’un bon tour ou un bon numéro c’est aussi et surtout : le personnage, le costume, la mise en scène et le texte !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
À mon sens, la magie actuelle doit toucher à l’émotion. Robert-Houdin disait que « le magicien est un acteur qui joue le rôle d’un magicien ». N’oublions pas que nous sommes des acteurs et que nous devons raconter des histoires, transmettre des émotions aux spectateurs par le biais de la magie. La magie de Raphaël Navarro est intéressante, elle est novatrice. La magie évolue très vite, nous devons vivre dans notre époque et s’adapter à elle. Il y a une grande diversité de styles, d’ambiances, de personnages. Aujourd’hui, je pense que la magie doit créer un lien fort avec le spectateur. Je ne crois pas à la transmission d’une ambiance magique à travers une vidéo sur un téléphone. Pour faire rêver les gens, je pense que ressortir des vieux objets et les rendre magiques peut avoir un impact très fort car on véhicule le souvenir, la nostalgie, mais aussi l’idée qu’on fasse vivre un moment aux gens qui permette de mettre le monde en pause, le temps d’un instant magique.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
L’histoire, la littérature, la musique, le cinéma… sont autant de sources d’inspiration pour les spectacles. Un magicien qui va voir des expositions, qui lit des romans, des livres d’histoire, qui voit des films ou des opéras sera évidemment inspiré. La curiosité m’a toujours animé. Il est important de ne pas rester fixé sur ce qu’on aime et ce qu’on connaît, il faut se confronter à des cultures différentes pour évoluer et apprendre.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Ce n’est pas très original pour un magicien, mais je suis passionné de cinéma ! Je vais régulièrement en salle et je regarde des films chez moi. J’aime apprendre des anecdotes sur des acteurs, actrices et cinéastes. La culture cinématographique au sens large, ses évolutions techniques et bien sûr son histoire, qui est très liée à notre art.
À visiter :
– Le Facebook de Mister Robinson.
Interview réalisée en février 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Jean Schmitt, Virgile Le Bigot, Suzy Perrin, Guillaume Robin, Photo Bossu, Brice Faure et Florian Robin. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.