Parlez-nous de votre formation et de votre parcours artistique.
Après un parcours scientifique (physique/chimie), je m’oriente dès 1973 vers des études artistiques au sein de l’École Régionale des Beaux-Arts de Rouen, et j’obtiens un DNSEP avec mention en 1978. J’intègre aussitôt cette école en qualité de professeur de Géométrie/Perspective. J’ai enseigné de 1978 à 2017 à ESADHaR (École Supérieure d’Art et de Design Le Havre-Rouen) en Science de l’Art, géométrie/perspective, et représentation de l’espace (espace suggéré/illusion de profondeur et espace littéral/ espace physique du support). Je dispense aussi des workshops, le dernier à Avignon autour du découpage laser et la production d’une œuvre liée à l’espace. Mon temps est partagé entre l’enseignement et mon travail plastique.

Pouvez-vous nous parler de votre mémoire que vous avez rédigé sur « L’histoire des polyèdres » ? Pourquoi ce sujet ?
Mes études en physique/chimie m’ont conduit à m’interroger sur la structure de la matière. Les formes complexes de la matière sont nées de formes simples. Je me suis intéressé à cette combinatoire d’éléments simples, réalisant ainsi dans le champ des possibles, la variété dans l’uniformité. Les cinq volumes platoniciens étudiés par Euclide m’ont amené vers ceux d’Archimède et de Catalan entre autres. Ces polyèdres figurent dans l’art et en architecture. Ces formes se trouvent dans la nature, de l’infiniment petit à l’infiniment grand à l’échelle du cosmos (voir J. Kepler).
Sur quelle thématique et quels sujets travaillez-vous ?
La thématique sur laquelle je me penche actuellement est : « La représentation d’un monde fini aux bornes non déterminées dans un espace euclidien. » Mes sujets sont orientés sur la structuration de l’espace symbolisé par cet hexaèdre au centre duquel nous sommes placés. Ce cube est soumis au concept mathématique d’espace et à l’organisation ordonnée ou non de chacune de ses trois faces à partir de la ligne.


Sur quels médiums travaillez-vous et avec quelles techniques ?
Mes créations en papier prennent naissance suite à un protocole complexe, après quelques études sous forme de croquis préparatoires, suivies d’étapes nécessaires à l’élaboration et la concrétisation de l’œuvre (images numériques et vectorisation de celles-ci). Je crée un patron avant la découpe au cutter du matériau employé. « L’objet découpé » est glissé ensuite entre deux plaques de verre pour le placer à distance du fond afin que son ombre puisse être projetée sur le support. Les objets peuvent être découpés dans des matériaux divers (dibond, métal, bois, plexiglas) où la main de l’artiste n’est pas engagée, en veillant jusqu’à présent, tel un sculpteur, à retirer de la matière. J’utilise la découpe laser pour le plexiglas et le métal, et la découpe à la fraise pour le bois et le dibond.
Comment se définit votre travail ? À quel mouvement le rattacher ?
Nous sommes face à un art mesurable, valable pour tous, avec des formes qui pourront s’adapter à toutes les situations, être comprises de tous les publics, ceci afin de créer un langage universel. Mes productions sont en lien avec l’abstraction géométrique qui s’inscrit dans un courant qu’on appelle l’art concret, un « art non-objectif » pour qualifier tout œuvre qui ne fait pas référence à la réalité. La pensée mathématique peut être un moyen d’atteindre cet objectif.
Comment vous êtes-vous intéressé au trompe-l’œil et pourquoi l’avoir intégré dans vos travaux plastiques ?
Mon intérêt pour le trompe-l’œil est lié à la découverte des « apparences » qui est en réalité la découverte des ambiguïtés de la vision. Le réel n’est-il pas le monde tel qu’il nous apparaît ? À mon avis, ce qui est perçu est indissolublement lié à une interprétation. Mon but est de recréer un semblant de réalité révélant l’artifice, un moment d’illusion de profondeur, pour susciter l’effet de surprise. Le regard fait perdre la réalité et vivre la seule illusion. J’ai également abordé l’image anamorphotique. Une imitation du cube m’entraîne à construire ainsi un monde imaginaire d’illusion. Le plaisir que procurer l’illusion vient précisément de l’effet qu’accomplit l’esprit pour supprimer la différence qui sépare l’art de la réalité ; La découverte des « apparences » est en réalité la découverte des ambiguïtés de la vision ou l’ambiguïté se dissimule derrière le voile de l’illusion. Supra de Diamant disait : « Nous ne percevons pas le monde dans ce qu’il est en réalité. Cette imagination productive, nourrie par la force engendre l’habitude, superpose sur le monde une construction illusoire… » Le trompe-l’œil comme sa réciproque l’anamorphose assigne un point indivisible qui correspond au lieu d’où il revêtira une apparence de réalité, de « vérité », et d’où l’anamorphose se dévoilera dans son opération.


Quelle place tient la perception et l’illusion dans votre travail ?
La géométrie /perspective se donne des objectifs de pure illusion, d’artifice, cherchant à tromper le spectateur, à partir de points de vue immobiles. De façon expérimentale, je mets le tableau en relation avec un spectateur extérieur et à lui donner l’impression qu’il voit le volume tout comme la réalité elle-même. La perspective permet de représenter le monde tel qu’il n’existe qu’en idée. Je pense en fonction de la représentation sur un plan et non en fonction de l’objet naturel. Filarète écrit que la perspective pourrait bien être mensongère dès lors qu’elle montre des choses qui n’existe pas. Et cependant la perspective apparaît moins comme un principe d’illusion que comme une règle d’unité, d’évidence (de lisibilité). L’effet perspective est destiné à renforcer l’illusion.
Dans votre enseignement de la géométrie et de la perspective, comment abordez-vous la pédagogie de ces disciplines exigeantes avec vos élèves ?
L’enseignement de la perspective couvre l’ensemble des domaines artistiques où se constituent et se mettent en question les formes et l’espace. Cet enseignement se fonde sur la pratique dans une relation de création (œuvres et démarches, connaissances et références).
Quelles sont vos méthodes ?
Stimuler et favoriser un intérêt pour la pratique. Développer chez l’étudiant une dynamique de questionnement. Amener l’étudiant à prendre en compte son environnement artistique et culturel. L’objectif étant d’amener l’étudiant à appréhender la pluralité des modes de représentation spatiales sur deux axes : Espace à deux dimensions et espace à trois dimensions.
En 2023, vous avez fondé le Collectif Art Concret. De quoi s’agit-il ?
C’est un Collectif qui regroupe six artistes « concret » répartis en Normandie. Jean-Luc Manguin, Ruper Mair, Michel Debully, Lino de Giuli, Mireille Martin et moi-même. Jean-Luc Manguin est le créateur de ce Collectif et j’ai poursuivi en mettant sur pied cette association que je préside.
Quelles sont vos influences artistiques ?
L’art concret, l’abstraction géométrique et l’art minimal. Pour les artistes contemporains : Theo van Doesburg, Gottfried Honegger, Joseph Albers, Aurélie Nemours, François Morellet, Julio Le Parc, Vera Molnar, et bien d’autres…

Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ?
Le directeur de l’école des Beaux-Arts de Rouen Bernard Venot qui m’a fait confiance dès l’obtention de mon diplôme. Beaucoup plus récemment, l’exposition à l’Institut Henri Poincaré, et la rencontre avec David Apikian de la Galerie Abstract Project (Paris), dans le cadre des Réalités Nouvelles.
Collaborez-vous avec d’autres artistes ou confrères de l’enseignement ?
Je travaille avec Milija Belic pour une exposition non loin de Naples. Mais aussi avec Zsuzsa Dardai Saxon Art Gallery à Budapest et Mark Starel pour Discursive Geometry Art Association.
Quels sont vos hobbies ?
Le dessin, la lecture et le jardin.
À visiter :
Interview réalisée en janvier 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Michel Delaunay / Bruno Maurey. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.