Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Sur la plage que nous fréquentions avec ma famille au Liban, mon cousin Jacques me faisait des tours de cartes et m’en avait appris deux : j’avais sept ou huit ans. Pendant une dizaine d’années, j’ai réalisé et peaufiné ces tours, en les personnalisant systématiquement (par exemple avec des cartes Pokémon ou des cartes d’animaux, en les faisant avec autre chose que des cartes classiques), en ajoutant des subtilités pour que la magie s’évapore de l’objet pour toucher plus haut, les cœurs et les âmes, et pas spécifiquement le cerveau, qui est visé davantage lorsque l’on propose une énigme plutôt que de la magie. Je n’avais pas l’étiquette de magicien, mais j’aimais toujours, faire vivre aux gens les rêves que j’avais compris ne jamais pouvoir vivre moi-même. Vivre mes rêves à travers les yeux des autres, s’est insinué dans mon sang très tôt.
Nous avions aussi reçu avec mon frère une cassette VHS de Sylvain Mirouf : le tour pour soulever six cartes avec une allumette m’accompagnait partout où j’allais. J’adorais emboîter plusieurs montages de six cartes pour en construire un pavé géant qui tenait sur une bouteille. Aujourd’hui encore, lorsque j’ai des cartes de mauvaise qualité (ça marche paradoxalement mieux qu’avec de bonnes cartes), je le fais continuellement. Ca n’est pas magique, mais c’est joli.
Me reviennent ces soirées d’un souvenir indélébile, au Liban où les enfants se réunissaient pour voir le mini spectacle à la plage. Je n’étais pas au courant qu’il y avait un mini spectacle et encore moins que j’en étais l’artiste, c’était littéralement « le téléphone arabe » à la mer. Je l’apprenais en même temps que les enfants se réunissaient autour de la table sur laquelle j’allais bientôt opérer. Ils attendaient, avec exigence, ce Marc qui ne comprenait rien à ce qu’il se passait et qui n’avait rien demandé. Ma famille me hâtait de commencer car tous les enfants attendaient. Ainsi, j’étais jeté dans la cage aux lions. Ils étaient là, tout autour de la table, à l’écoute ; des filles et des garçons, et même parfois les parents derrière. Leurs yeux étaient des morceaux de ciel bleu, avec une ombre noire : celle du mystère. Et moi, j’étais là pour leur colorier ce mystère, avec d’autres couleurs que du noir. A ce moment-là, je me sentais bien, et ne me rendais pas compte que mon alter ego (Markobi), était en gestation, je ne le conscientiserai qu’une dizaine d’années plus tard. J’étais à ce moment-là moi aussi, encore un enfant.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Il y a un préambule à ce premier pas. Au lycée, un camarade de classe, Lucas, faisait de la magie avec des cartes. J’étais interloqué parce qu’il me faisait, je voulais en savoir plus, et ça m’énervait, tout comme ça m’émerveillait. Je me souviens aussi de son changement brusque de personnalité, dès qu’il démarrait un tour : il arborait automatiquement un masque de personnage arrogant mais drôle, qui se foutait de moi, et j’adorais ça. C’était un peu comme des chatouilles : c’est chiant, mais il y a une partie de nous qui adore. Il m’avait appris un ou deux trucs. Je ne m’étais pas lancé ni n’avais démarré réellement l’apprentissage de la magie. Mais il m’arrivait d’essayer de faire ses trucs quand j’avais des cartes sous la main, sans finalité, ni entraînement. D’ailleurs, soit dit en passant, je trouve ça beau, dans notre art, quand une chose n’a d’autre finalité que de ne pas en avoir.
Le vrai déclic arrive un beau jour. J’ai dix-huit /dix-neuf ans, encore à la faculté de biologie, que je quitterai quelques années plus tard après obtention de ma licence pour me lancer dans la magie. Cette soirée-là, je tombe sur une vidéo d’un tour expliqué, sur YouTube. C’était sur la chaine « Magie Gratuit ». Je surfais sur le web, comme tout le monde, et je suis tombé dessus, par hasard. Je sais que ça en fera rire certains (sourire).
Les cartes que le petit Grégoire de la chaîne utilisait étaient des Bicycle, et je savais que mes parents en avaient deux paquets, un rouge et un bleu, dans leur bureau. Il s’agissait de deux jeux dédicacés par Larsène (je ne réaliserai ceci qu’une fois dans le milieu, en relisant la dédicace, après avoir appris qui c’était… mais pendant une dizaine d’années : c’étaient seulement « les jeux dédicacés aux parents par un magicien »). Ces jeux leur avaient été laissés lors d’un congrès de médecins à Toulouse, où ils avaient manifestement eu l’occasion de voir Larsène faire du close-up. Ils s’en fichaient un peu de ces cartes, tout le monde dans la famille s’en fichait : mais je savais, que quelque part dans la maison, dans un bureau, elles étaient là. Alors après avoir visionné la vidéo de « Magie Gratuit », je les ai sorties, et j’ai réalisé le tour expliqué : un truc avec deux cartes bleues et deux cartes rouges. Ce moment-là, c’est le véritable point de départ pour moi, à partir duquel je n’ai plus jamais arrêté.
Et si j’ai précisé plus tôt les différents éléments, c’est parce que tout est un assemblage d’éléments liés invisiblement, qui dans le temps convergent pour chacun d’entre nous vers une destinée donnée. Si je ne savais pas que Bicycle était la marque des magiciens, si Lucas ne m’avait pas initié à un semblant infinitésimal de « toucher de cartes » plus tôt, si je n’avais pas longtemps fait mes deux tours de cartes appris par Jacques, etc. La micro impulsion d’aller chercher les paquets Bicycle dans le bureau de mes parents n’aurait peut-être jamais eu lieu, comme ce point de départ.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Avant toute cette aventure, j’étais corps et âme dans le sport : l’athlétisme (demi-fond), pour être précis, et la boxe française. Un problème a fait que j’ai dû complètement arrêter le sport, définitivement ; fatalité sans laquelle je ne serais sans doute jamais devenu magicien. Dans les sports que je pratiquais, j’étais un barbare, un véritable fêlé. Un jour en Syrie, un de mes deux pays d’origine, j’ai couru une montagne (Jabal Seidé, dans le village de Beker Aouni) par le chemin « à vol d’oiseau » pour arriver en haut, plutôt que le sentier tracé tout autour pour monter progressivement : il y avait des ronces et, plutôt que de reprendre le chemin normal, j’ai traversé les ronces pour arriver en sang en haut. Parce qu’au départ , j’avais décidé ce chemin. C’est un grand plaisir d’être têtu, au moins, on sait ce qu’on veut ! Parfois, on meurt, mais ça ne m’est pas encore arrivé (rire).
Ce n’est que le temps disponible après cette triste obligation d’arrêter le sport, qui m’a permis de me consacrer autant à une nouvelle priorité. Soit dit en passant, la mentalité que le sport m’a donné au prix de bien des souffrances, ne m’a jamais plus quittée par la suite. C’est aujourd’hui une de mes plus grandes fiertés. Je pense, tant qu’on y est, que tout magicien gagne à avoir, ou à avoir eu, un pied dans le sport.
Ces éléments replacés, la meilleure idée que j’ai eue, a été de créer ma page Facebook. Je crois que c’est le « Pass », le véhicule, ou le traceur qui m’a permis de me lancer phares allumés dans le chemin que je débute. C’est par ce vecteur qu’a commencé l’itinéraire du partage, des discussions, de la communication, des rencontres, et mine de rien, le switch qui m’a poussé à me lancer. Quand j’étais petit, beaucoup de moments qui ont eu lieu avant que je commence font aujourd’hui intrinsèquement partie de cette histoire, comme évoqué précédemment, lorsque je fais une mise en abîme dans l’ensemble. Mon cousin Jacques et ses tours au Liban…. Mon cousin Jade qui un jour m’a fait disparaître une pièce devant mes yeux (certainement avec une méthode ridicule, mais je n’ai jamais oublié cette seconde où la pièce a disparu)….Mon camarade de lycée Lucas, et sa magie.
Un ami d’enfance, Samuel, le garçon qui a toujours une histoire singulière à raconter, qui me parlait d’un certain David Copperfield et de ses exploits, j’étais fasciné sans poser de visage sur l’homme. Ca n’est qu’au début de mon apprentissage que je me suis renseigné sur ce géant, avec documents et vidéos. Avant cela, c’était encore un mythe, et finalement, c’est plaisant, de rêver à un mythe. C’est un peu ça aussi l’enfance, rêver sans savoir. Mon frère et moi, qui jouions avec les coquetiers magiques bleus de basse qualité des boîtes de magie, et bien d’autres choses…
A environ huit/neuf ans, je rencontre Eric Roumestan, qui est engagé comme magicien lors d’une fête où j’étais avec mon père et mes frères et sœurs. Les années d’après, lorsque je racontais et étendais la mémoire du tour, notion si chère à notre ministre de la théorie Tamariz, j’en parlais comme du « vrai magicien que j’ai vu, où il n’y avait pas de truc… ». Ces pièces qui voyageaient, malgré une main fermée, je ne les oublierai pas, ça m’avait rendu fou, et j’en parlais souvent avec mon frère. J’avais gardé à cet âge-là sa carte de visite. Dix ans plus tard, je le recontacte, pour lui annoncer que je démarre mon itinéraire magique !
Tous ces éléments ne sont pas des déclics, mais des choses qui ont alimenté quelque chose sans lequel le déclic n’aurait sans doute pas eu lieu. J’ai toujours évité/refusé d’intégrer un club. Je ne le souhaitais pas. Mais j’ai par la suite rencontré, dans d’autres cadres, beaucoup de monde et anecdotiquement tous les adhérents du cercle magique d’Alsace, qui était géographiquement le club qu’il m’aurait été donné de fréquenter logiquement (étant Strasbourgeois).
Quand j’étais encore à la fac, dans mes premières années de magie (relativement à aujourd’hui, je sais que je suis bien jeune), il y avait dans l’amphi un pote, Damien, qui touchait aussi les cartes. C’est une période où je ne connaissais le monde que par les réseaux ou vidéos. J’avais donc un collègue dans ma fac, et on regardait des vidéos de Lennart Green pendant les cours d’anglais, ou s’amusait à imiter Daniel Madison… Une fois dans le bain, j’ai commencé une route solitaire, où je n’ai pas eu grande aide, et où je me suis plu à ne pas en avoir. J’aurais tendance à dire, à tort ou à raison, que je me suis beaucoup aidé moi-même, en continuant sans guide. Un temps du moins. Je partais en roue libre seul faire de la magie de rue, des nuits entières dans des villes au hasard, avec comme seul fil conducteur le bonheur partagé avec le monde. Mon seul véritable guide, c’était mon public. J’associais ensuite mon expérience de terrain avec les connaissances que je récoltais lors de mes recherches, dans lesquelles je gardais toujours un pied.
Par la suite, j’ai cherché à faire des rencontres, beaucoup sur les réseaux dans un premier temps. De fil en aiguille j’ai été amené à discuter avec des magiciens qui m’ont inspiré, ou conseillé parfois. Puis j’ai bougé, embarqué dans des trains, suis allé à des journées de rencontres, à des JAM, à l’Illégal, au Paëlla chez Serge Agullo… J’ai cherché à rencontrer tel ou tel magicien pour un café, de jour comme de nuit… j’ai participé à quelques concours, suis allé à des conférences, à des congrès… La fine couche métallique qui sépare collègue de passion et ami s’est fondue pour certains. D’ailleurs, ça n’a rien à voir, mais la meilleure sauce bolognaise que j’ai pu goûter a été préparée par Olivier Mistral chez Serge Agullo… Je recommande, cinq étoiles.
Les personnes qui m’ont aidé, ont au départ beaucoup été les magiciens que je voyais en vidéo : vivants ou morts, trop pour les citer, qui ont tous eu leur part dans ce début d’histoire. Je suis tout particulièrement reconnaissant à l’existence de l’école de magie espagnole, qui m’a ouvert les yeux sur l’infini potentiel qu’ouvre la maîtrise psychologique du public.
Plusieurs années plus tard : une phase qui a fait évoluer ma magie de manière fulgurante (la meilleure décision que j’aie prise en terme de formation) a été l’idée de me payer une master class avec Dani Daortiz en Espagne, de trois jours, ou plutôt trois nuits. J’y ai approfondi et amplifié des clefs qui me serviront toute ma vie.
La première fois que j’ai rejoint et intégré un groupe, ce fut l’équipe de France de close-up. J’étais très réticent durant un long moment, mais après maintes discussions, Stéphane Gomez et Robin Deville ont réussi à me convaincre. Je vais à tous les stages, uniquement pour les pauses repas, dans lesquelles on déguste tous en cœur les meilleures chips industrielles de Paris à la maison de la FFAP. En outre, je remercie l’adorable Didier Laurini qui a organisé à Angoulême ma première conférence, et qui est un confrère pour qui j’ai une grande affection.
Markobi reçoit le 3ème prix en « cartomagie » lors des Championnats de magie FFAP 2021 au Congrès de Troyes.
Pour conclure cette réponse sans doute trop longue, je dirais que la meilleure opportunité que je me suis donné en pratique a été de commencer très rapidement à aller faire de la magie dans la rue, à la rencontre des inconnus ; c’est ce qui a été mon école de la magie.
Dans quelles conditions travaillez-vous ? Quels sont vos domaines de compétence ?
Je travaille professionnellement dans l’événementiel, pour les professionnels et les particuliers, debout et dans les conditions de close-up : tables à tables, cocktail etc. Plus rarement, il m’arrive d’avoir un stand avec une table lors de certains événements. Et plus rarement encore je présente un numéro (silencieux par exemple), lors d’événements à thème. Mais ça reste anecdotique, en terme de fréquence. Hors travail, j’adore faire de la magie dans les bars, boîtes de nuits, festivals, soirées, ou dans la rue, par laquelle j’ai commencé. Je dois reconnaître une affection grandiose pour la fête et la magie nocturne. Au final, j’aime faire de la magie dans tous types de conditions tant que c’est de près, et de préférence dans les contextes les plus improbables (à la caisse d’un supermarché, dans l’eau à la mer, en forêt, à l’aéroport, etc.)
Pour mes compétences, j’ai depuis le départ une certaine affinité avec l’improvisation : utiliser les opportunités que m’offre un moment, avec toutes ses composantes. J’opère majoritairement en magie impromptue, celle qui me séduit depuis toujours. Les cartes sont mon outil principal, c’est une certitude, mais je touche toutefois aux bagues, aux pièces, aux balles, aux objets… j’utilise tout ce qui m’entoure pour faire ce que j’ai envie de faire l’espace du moment qui m’est donné (bouteilles, couverts, clefs, journaux, briquet, nature, cailloux, coquillages…). J’attache une grande importance à ce que l’objet ne soit qu’un moyen, et non la finalité. A ce titre, des mots comme « cartomagie », ou « cartomane » me déplaisent, puisqu’ils associent la magie à l’objet, alors que l’objet n’est que l’outil qui permet d’arriver à la magie, qui elle est une émotion, infiniment loin de l’objet.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y en a beaucoup, alors je vais partir sur le terrain annexe, qui est celui des artistes autre que la magie. Mais là aussi, il y en a beaucoup, alors je vais n’en citer qu’une seule : Le petit Prince de St Exupéry.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je suis un grand fan de cardistry. Si je ne pouvais avoir plus qu’une seule chose sur une île déserte, ce serait une compilation de toutes les vidéos du web de cardistry. Et une statue d’un mec en train de faire des trucs superbes avec ses cartes. J’aimerais aussi, dans ce cas-là, avoir des fichiers sonores sur mon téléphone, du bruit que font les cartes manipulées par un « cardiste ». Et aussi un poster du plus grand « cardiste » de tous les temps, je l’attacherais sur un palmier. D’ailleurs, derrière chacune de mes fins de relations amoureuses se cache un « cardiste » que j’ai plus aimé regarder faire voler ses cartes que j’ai aimé une fille.
Sinon, je connais un magicien qui s’appelle Jimmy Loock, qui perd une carte dans le jeu et la retrouve. C’est l’expérience la plus forte que j’ai vécue de ma vie.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Honnêtement, ce qui me fait le plus ressentir la magie n’est généralement pas la magie, mais d’autres arts, ou d’autres domaines, même s’ils ne sont pas définis comme de l’art. La littérature, le sport, la cuisine, la musique, les films… J’aime beaucoup regarder du stand-up aussi. Voir un athlète réussir son rêve aux jeux olympiques me fera ressentir bien plus de magie qu’une jolie assemblée d’as, aussi honorable soit elle.
Souvent, les différents domaines de la vie peuvent être un stimulant qui peut nous emmener bien loin dans notre espace interne. A mon sens, c’est simple : si quelque chose va chercher loin dans notre cœur des émotions extraordinaires, alors c’est une influence extraordinaire.
Sur le terrain de la magie, l’école espagnole m’a beaucoup aidé à me développer. Dans ma magie, comme dans celle de nous tous, c’est un agglomérat de magiciens qui se réunit dans nos mains et nos esprits… je ne saurai évidemment tous les citer. En termes de grandeur, même s’il y en a eu d’autres, Copperfield a eu son rôle de tête de file dans mon envie géante de faire rêver. Il faisait rêver le monde et j’aimais aussi le romantisme et l’amour qui étaient présents dans sa magie, étant de nature sensible à ce qui touche à l’amour. On regarde, et on se dit « waouh » en musique, avec contemplation ; d’une contemplation qu’on a envie de recréer.
Comme beaucoup, j’ai démarré avec du Bilis, du Duvivier, du Stone, du Vallarino…. Mais il y en a évidemment beaucoup d’autres… Green, Derek Dingle, Etienne Pradier, Williamson, Ricky Jay… pour en citer quelques-uns. Une énorme pensée à Jennings, qui m’a beaucoup inspiré. J’ai par ailleurs visionné, lu ou parcouru, de tout et n’importe quoi, et j’en suis heureux : ça m’a permis de voir un peu large dans ce que j’aimais, et ce que je n’aimais pas.
Deux mecs qui m’ont notamment poussé (de façon interne) à vouloir aller plus loin sont Alan Borg et Meven Dumontier. Ils font partie des premiers jeunes de mon âge que j’ai commencé à suivre avec intérêt. Je complexais d’ailleurs pas mal au début, à chaque fois que je voyais des gens vraiment doués. Par la suite, je me suis détaché de certaines sangsues de l’âme. Je crois que tout magicien qui veut rester en bonne santé finit par apprendre à modérer son égo avec le temps. Toutefois, ça n’est pas une mauvaise chose qu’il reste en vie, s’il est tenu en laisse.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Je pense qu’un débutant doit savoir que chaque parcours est différent, et qu’il n’y a pas de recette toute faite, ni de manière universelle d’aborder le chemin magique. Ce dernier est par définition unique à chacun. Je ne l’ai pas compris tout de suite pour ma part, comme sans doute beaucoup d’autres choses que je comprendrai plus tard. Les conseils, c’est à prendre ou à laisser, mais le mieux est de faire son bout de chemin, en choyant ce qu’on aime en priorité, et en osant être soi-même. Un des meilleurs conseils que j’ai pu entendre (de Bébel) est celui de ne pas trop écouter les conseils. Évidemment, on peut aussi écouter ce conseil, en ne l’écoutant pas… (rire). C’est à chacun de faire le tri entre ce qu’il veut recevoir ou non, tout en restant humble et lucide tout de même. Si on fait quelque chose de complètement débile et que quelqu’un nous le fait savoir, ça reste sage de savoir le reconnaître et d’aviser en conséquence.
La plupart des gens donnent des conseils en fonction de leur vécu : ça sera donc vrai pour eux, mais pas nécessairement de manière absolue. Toutefois, Michaël Stutzinger m’avait partagé un conseil pertinent à mon sens, qui est celui de développer sa magie, en faisant autre chose que de la magie. Sortir, faire d’autres activités, se nourrir d’autres choses, d’autres philosophies, d’autres matières, d’autres arts…
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Il y a tout un tas de magiciens extrêmement talentueux, qui défendent honorablement notre art. Je constate aussi que nos pères ne sont pas oubliés par les magiciens actuels, qui leur rendent fièrement hommage en faisant évoluer les bases établies. Le niveau technique, les méthodes, et la théorie, sont poussés vers le haut. D’une manière générale, la communauté magique est en plein essor, qualitatif et quantitatif.
Comme à chaque époque : il y a à boire et à manger. Je dois admettre que certaines manières d’aborder la magie aujourd’hui peuvent me faire peur, mais par souci d’optimisme, je laisserai cette peur de côté aujourd’hui.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
La culture magique et la théorie sont essentielles, mais à elles seules ne valent rien sur le terrain, qui est finalement le lieu où la magie doit avoir lieu. C’est la pratique qui amène à comprendre la théorie, à la jauger, à l’estimer, à la nuancer et mieux encore, à se l’approprier. Mieux vaut une majorité de pratique, sur un fond de théorie, que l’inverse. De la même façon, être imparfait sur le terrain rend parfait à la maison, et non l’inverse.
Attendre d’être systématiquement « prêt » pour aller présenter quelque chose, c’est attendre de maigrir pour commencer à courir. Évidemment, tout est relatif, on peut nuancer chaque propos en étant puriste et en jouant sur les mots, mais je pense que l’idée exposée est assez nette.
Une fois cela établi, je dirai qu’il est essentiel d’avoir une idée consistante de comment fonctionne la magie et par quels moyens. Par-là, avoir vu, intégré, analysé, rencontré, visionné, lu et compris divers documents et diverses prestations et différentes manières de penser est essentiel. Je pense qu’il est aussi important de ne pas se centrer uniquement sur notre époque et de voir ce qui a pu être fait antérieurement, pour élargir l’horizon de vision que l’on a sur notre art, et en avoir un tableau élargi dans le temps. Ne serait-ce que se dire, quand on trouve un ancien truc ringard, que ce qu’on fait est peut être ringard pour ceux qui nous suivront dans des décennies. L’humain a tendance à critiquer le passé, en oubliant qu’il est le passé des arrivants futurs.
En revanche, le savoir historique et culturel stricto sensu ne me paraît pas aussi essentiel. Évidemment que c’est un plus et que c’est sans doute diablement fascinant de connaître l’histoire de la séquence ATFUS et l’intégrale de toutes ses variantes du XVIIIe siècle à nos jours. Mais le public n’en a pas grand-chose à carrer, alors il faut tout de même voir les choses par priorité, et reconnaître que pour faire rêver quelqu’un, cette information n’est pas absolument indispensable. Mieux vaut en savoir un peu moins et savoir-faire, qu’en savoir trop et ne rien savoir faire du tout. Le mieux étant évidemment d’avoir un dosage entre les deux, accordé à nos goûts, nos envies, notre passion, notre personnalité et nos aspirations.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
La plus grande de mes passions, toutes confondues et de loin, est celle que j’ai pour les animaux et qui est de l’ordre du viscéral. J’ai développé lors de mon enfance un sixième sens pour les repérer dans la nature, et une infinité de sens pour les aimer.
Du reste, il y a parmi mes hobbies la cuisine, la littérature, l’écriture. Poser ma patte dans le monde littéraire est un de mes rêves actuels pour mon futur. Sinon, voyager et rencontrer des inconnus, faire la fête avec eux, sentir de nouveaux airs, avoir de nouveaux yeux, de nouvelles pensées, de nouvelles émotions… Vivre, quand on est vivant, c’est si bon.
– Interview réalisée en octobre 2021.
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