On a aimé Woody Allen, son univers dépressif et jubilatoire, où les personnages conversent et philosophent sur la vie et l’existence dans une forme éblouissante de comédie aigre-douce. Mais très vite le réalisateur s’est essoufflé et répété. Au rythme d’un film par an, on ne peut pas se renouveler et proposer de nouvelles approches qui font avancer le cinéma. Le pire est une certaine critique qui accueille chaque nouvelle livraison du réalisateur comme un chef-d’œuvre puisqu’il est établi. Il en va de même avec d’autres grands cinéastes reconnus qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes (Wim Wenders, Atom Egoyan, Dario Argento, Takeshi Kitano, Emir Kusturica, Martin Scorsese…).
Il est convenu que Woody Allen nous a livré des films incontournables qui marqueront l’histoire du cinéma comme Manhattan, La Rose Pourpre du Caire, Une autre Femme, Meurtre Mystérieux à Manhattan, ou Tout le monde dit I love you. Il est aussi convenu que regarder un film d’Allen nous fait retomber dans un plaisir coupable car « chaque livraison annuelle » contient sa part d’intérêt même en mode mineur.
Magic in the Moonlight est symptomatique de ce genre de ressentiment. Outre un pitch très accrocheur, le réalisateur « déroule » une mise en scène didactique mais plaisante, à la limite d’un certain ennuie. Fort heureusement, le jeu des illusions sauve ce petit film en apparence. Car apparences il y a dans la fabrication et dans la conception du 44ème film de Woody Allen, une œuvre d’une grande ambiguïté malgré elle, assez passionnante et mystérieuse.
Synopsis
Dans les années 1920, Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le plus célèbre magicien de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford (Colin Firth) : cet Anglais vieux célibataire arrogant et grognon ne supporte pas les soi-disant médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan, Crawford se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur et se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de démasquer la jeune et ravissante Sophie Baker (Emma Stone), une prétendue médium qui dépouille les riches héritiers de leur fortune. Miss Baker a-t-elle de vrais pouvoirs ? Crawford va-t-il tomber sous son charme ?
Toutes ressemblances avec un personnage connu…
Pour les connaisseurs, le magicien Wei Ling Soo est un mixe entre Chung Ling Soo et Harry Houdini (né Ehrich Weisz). Du premier, Allen a repris le grimage d’un américain (ici un britannique) en asiatique. Du deuxième, il a repris sa spécialité d’escapologiste (Howard Burkan, l’ami magicien de Crawford donne des informations sur son passé d’escapologiste), sa personnalité arrogante et sa lutte anti-spirite.
De ce mélange de deux grandes figures de la magie, Woody Allen crée un personnage singulier qui est adepte des faux semblants puisqu’il se fait passer pour un asiatique, alors qu’il adore démasquer les faux médiums. Une double figure que l’on retrouve également en la personne de Sophie Baker dans un face à face troublant.
La vie n’est qu’un leurre
Stanley Crawford est un formidable magicien mais un sale type, pathétique, aigri, cynique et égocentrique. Sa conception du monde en est réduite à un rationalisme froid. Pour lui, tout a une explication. Homme cérébral par excellence, Crawford ne tombe pas dans le piège du sentimentalisme ni de l’émotion. Toute son existence a été calculée, paramétrée afin d’atteindre un objectif : celui d’être devenu un des plus grands magiciens du monde. Il fait partie des pessimistes en opposition aux optimistes qui sont, à ses yeux, des crétins totalement dépourvus de raison, de logique et de bon sens. Crawford est à l’image de son sarcophage, d’où il apparaît au début du film, hermétique ! Il ne se fait plus aucunes illusions sur rien et ne croit même plus en son « pouvoir »…
« Le seul être vraiment surnaturel est celui qui vient vous surprendre, un jour, une faux à la main ! » Propos du personnage de Stanley Crawford interprété par Colin Firth.
Tout est affaire de raison et non de cœur, mais quand Crawford tombe sur la spirite Sophie Baker, son entendement va être mis à rude épreuve. Sa vision du monde va se modifier petit à petit au contact des phénomènes inexplicables réalisés par la jeune médium. Croyance, foi, illusion et amour : la vie semble soudain s’ouvrir à lui. L’invisible existerait ? La vie aurait-elle un sens ? Crawford sera lui-même illusionné et retrouvera un peu d’humanité et de reconnaissance envers l’être humain. Mirage aussitôt balayé, tant l’aveuglement de celui-ci est tenace. Il faut dire qu’il sera lui-même victime d’un jeu de dupe : l’arroseur arrosé en quelque sorte.
La médium Sophie Baker n’est qu’une magicienne utilisant son charme et ses prétendus pouvoirs pour rendre un rien plus plaisante la vie de ceux qui ont la chance de lui plaire. Nul escroquerie au final puisqu’elle-même joue un jeu de rôle.
« Stanley est un homme qui, avec toute son intelligence, s’accroche à son rationalisme mais est plongé malgré lui dans un état de doute. Au fond de lui, ce magicien sait qu’il a besoin de croire à la magie ! » Colin Firth
Woody Allen et la magie
On sait l’attrait que le réalisateur porte à la prestidigitation. Ce n’est pas la première fois qu’il met en scène un magicien. On en retrouve dans Stardust Memories, Alice, New York Stories, Le sortilège du scorpion de Jade, Scoop… La magie a toujours joué un rôle duel dans son cinéma : à la fois une supercherie (une série de trucs un peu ringards) et un révélateur des sentiments profonds des personnages.
Dans Stardust Memories, Allen fait léviter Jessica Harper dans un champ !
Dans New York Stories, Le mage Shandu réalise un petit tour de prestidigitation et hop, il fait disparaître sans laisser de traces la mama juive du héros. Manque de bol, elle réapparaît vite dans le ciel de New York, pour mieux dévoiler à la foule la vie intime de son fils.
Dans Alice, le Dr Wang et ses petites poudres permettent à Mia Farrow de quitter son imbécile de mari et de s’envoler, au sens propre, dans la nuit.
Dans Scoop, L’illusionniste Splendini (interprété par Woody Allen lui-même) fait revenir de l’au-delà, par pure maladresse, la victime d’un meurtre et se révèle incapable de protéger Scarlett Johansson, qui se lance sur la piste de l’assassin.
Dans Magic in the Moonlight, Woody Allen brosse un portrait très noir du monde magique avec des personnages en constante compétition, qui se jalousent à l’image du film Le Prestige de Christopher Nolan. Les magiciens en prennent pour leur grade, présentés comme des autistes incapables de nouer une relation sincère avec les gens, aimant humilier leur petit personnel. Des hommes coupés de la réalité et plongés dans leurs trucs, aveuglés par leur conception égoïste et rationaliste du monde.
« Je partage totalement les positions du personnage joué par Colin. Je ne crois en rien, si ce n’est à ce qu’on voit et à ce qu’on vit. La vie n’a aucun sens, l’univers n’a aucun sens, tout ça n’est qu’un vaste phénomène que nous ne contrôlons pas. Je crois à ce que je vois. En dehors de ça, il n’y a rien. Pas de vie après la mort, pas de dialogue entre les vivants et les morts, pas de télépathie. Les gens sont capables de se mentir à eux-mêmes en implorant un Dieu. La vie est une petite chose fragile qui n’a rien de magique. Nous avons besoin de nos illusions pour vivre, de nous tromper nous-mêmes en croyant à quelque chose. » Woody Allen
Conclusion
Woody Allen construit son film dans une forme feuilletonesque à mi chemin entre Fitzegerald et Agatha Christie saupoudré de music jazzy (son pêché mignon) et de citations à Nietzche. Le tout donne une image rétro et attrayante construite en trompe-l’oeil, puisque cette légèreté apparente cache un enjeu existentialiste sur les pouvoirs de l’illusion.
Magic in the Moonlight est d’un pessimisme profond. Tous les personnages que le réalisateur nous présente sont d’un cynisme rarement vu dans l’œuvre du cinéaste new-yorkais. Ils ont un mal fou à s’identifier aux spectateurs qui regardent ce spectacle de dupe d’un œil extérieur. Comme si Woody Allen s’était détaché de la verve dialectique et de l’émotion qui caractérisaient ses meilleurs films. Une manière de mettre en abyme le sujet même de son film basé sur le mensonge, le simulacre et la tromperie. Un film désenchanté au plus haut point ; à l’image du happy end final, véritable sommet de fausseté, de sentimentalisme fabriqué qui ne trompe personne ! Au final, n’y a-t-il pas d’amour sans mirage ? Mieux vaut vivre heureux dans l’illusion ou malheureux dans la vérité ? Au spectateur de trancher.
A voir :
– DVD Magic in the Moonlight de Woody Allen chez TF1 vidéo et France TV.
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