Comment êtes-vous entrée dans la magie ? Quel a été le premier déclic ?
Je suis née à Lima au Pérou. À seize ans, j’ai rencontré un magicien par hasard. J’accompagnais une amie à sa répétition qui jouait la partenaire et je me souviens qu’elle devait entrer dans une boîte pour effectuer le tour Métamorphosis. Comme ce n’était pas concluant, le magicien m’a invité à essayer. Je n’ai eu aucune difficulté à entrer dans cette boîte grâce à ma souplesse due à des années de gymnastique étant enfant. C’est ainsi que ce jour-là je suis devenue « assistante de magicien », car quelques mois plus tard, mon amie a dû arrêter à cause de ses études. Parallèlement, j’étais étudiante en théâtre à l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique, car mon rêve était de devenir comédienne et actrice. La magie est arrivée par hasard, puisque je n’ai reçu aucune boîte de magie, je ne voulais pas non plus être magicienne, cette discipline ne m’intéressait pas car au Pérou il n’y avait pas beaucoup de culture magique. Je n’avais aucune références !
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
J’ai travaillé comme assistante de magicien jusqu’à l’âge de vingt et un ans et en même temps je préparais un diplôme en Arts du spectacle. Mon intérêt pour la magie grandissait mais d’une manière différente, j’avais envie de me lancer dans la réalisation de routines magiques et pas seulement passer les accessoires pour l’apparition de colombes… Je voulais faire de la magie ! Peut-être que cet intérêt venait aussi de mon intention d’agir ? C’est à ce moment-là que le magicien avec qui je travaillais a commencé à m’apprendre quelques techniques et quelques tours, puis presque tout son répertoire, tout son spectacle que nous faisions ensemble et que je connaissais par cœur (rires).
Je me souviens d’un jour où il ne pouvait pas faire la représentation, et il m’a demandé de le remplacer… mon dieu ! Toute excitée et avec la confiance d’une étudiante en théâtre, j’ai dit oui ! Je me souviens avoir beaucoup répété pour cette présentation. Je me souviens aussi très bien du moment où une fille m’a dit d’une voix étonnée : « Tu es magicienne ? ». C’est à ce moment que quelque chose en moi s’est transformé…
Par la suite, le temps a passé et nous avons arrêté de travailler ensemble. Le magicien a poursuivi une autre carrière et de mon côté je suivais une formation d’actrice. J’ai commencé à étudier de mon côté, puis j’ai rencontré l’artiste magicien Bruno Tarnecci. Je lui ai demandé à quoi ressemblait l’art magique, quels étaient les secrets ? les effets ? Il a toujours été très généreux et a partagé beaucoup de son expérience avec moi. Quelque temps plus tard, nous sommes devenus amis et avons commencé à travailler ensemble. C’est comme un frère magique pour moi.
Quand j’ai terminé ma formation d’actrice et que j’ai dû m’éloigner un peu de la magie, je me suis sentie divisée ! J’ai commencé une carrière dans des pièces de théâtre professionnelles, des courts-métrages, puis des castings sont arrivés. Le temps me manquait pour l’art magique, et le moment était venu de travailler sur ce que j’avais étudié auparavant. Au bout de quelques mois, j’ai commencé à me produire de manière autodidacte, toujours avec l’intention de fusionner magie et théâtre ou au moins d’apporter à la magie mon côté scénique.
Quels ont-été vos rapports avec la communauté magique ?
Jusqu’en 2011, je n’ai pas eu l’occasion d’assister à des conférences sur la magie. Mon premier congrès magique Atacamagica a eu lieu au Chili, où j’ai rencontré de nombreux artistes qui m’ont inspiré comme Tina Lenert qui nous a donné une merveilleuse conférence intitulée Connecting the dots, mais aussi Ricardo Harada avec Magie, réalité et théâtralité, et Roberto Mansilla avec Platos en la Alcantarilla.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Trois personnes très importantes m’ont aidé dans mon parcours professionnel. Mon frère magique Bruno Tarnecci (déjà évoqué), et mes deux professeurs : Daba et Gabi Pareras. En 2013, j’ai voyagé en Argentine, un autre pays avec une culture assez magique, où j’ai beaucoup apprécié la magie de close-up et de salon. J’ai rencontré le « professeur Daba », à qui j’ai fait part de mes réflexions concernant le théâtre, la magie et de quelques idées que j’avais en tête. Quelques mois plus tard, Daba s’est rendu au Pérou pour dispenser des ateliers personnalisés aux magiciens. Je me suis donc inscrite avec lui et ensemble nous avons travaillé pendant longtemps sur une routine de « magie augmentée » que j’ai présenté un an plus tard au concours Flasoma en 2015.
À la fin de cette année, j’ai voyagé en Espagne et j’ai commencé à découvrir ma véritable passion : la magie rapprochée ! J’ai toujours aimé la magie des cartes, mais j’ai eu une mauvaise expérience avec elle car cela me semblait très difficile et très technique. Au fil du temps j’ai rencontré des magiciens péruviens qui m’ont tous appris une technique mais de mille manières, et quand j’essayais de la pratiquer, tout le monde me corrigeait, ne sachant pas qui écouter. Ma réconciliation avec la cartomagie a eu lieu lorsque j’ai découvert l’école espagnole. En 2014, j’ai commencé à assister à presque tous les congrès d’Amérique du Sud, des ateliers et des conférences organisés au Pérou. En 2015, je me suis rendue à Barcelone pour étudier la cartomagie et la magie de close-up avec Gabi Pareras. Peu à peu, j’ai assimilé ses enseignements sur « la magie fictive » et je me suis formée à la conception et à l’expérience magique avec le spectateur. Grace à sa méthode, je ne vois pas d’autre façon plus fascinante de partager la magie. Aujourd’hui, en 2024, après neuf ans passé en Espagne, entourée de grands professeurs, je vois mon évolution dans ma carrière de magicienne, et dans mes connaissances en matière de culture magique. Comme dirait mon professeur Gabi : « Chacun choisit ses professeurs… » et j’ai eu beaucoup de chance de l’avoir comme maître mais aussi comme ami.
Pourquoi et quand êtes-vous partie vivre en Espagne ?
La première fois que j’ai traversé l’océan Atlantique, c’était en décembre 2013, lors d’une première visite pour découvrir la magie espagnole. Beaucoup de rencontres ont eu lieu lors de ce voyage avec des artistes de magie rapprochée, des professeurs, des magiciens que j’avais lus dans les livres… Ce fut une grande source d’inspirations. Je ne savais pas où cette aventure me mènerait ? Merci à Dani DaOrtiz qui a fait l’intermédiaire pour que je puisse découvrir le Cartomagia Club de Barcelone, une des rares écoles de magie des cartes et de magie de close-up dirigée par le professeur Gabi Pareras.
Cette nuit-là, « j’ai senti la magie dans mes mains ». Gabi a créé une atmosphère que seuls ceux d’entre nous qui étaient là connaissent. Je ne pourrais pas décrire ce sentiment… Cette visite a été transcendantale pour moi, et a éveillé mon désir de rencontrer Gabi et de savoir pourquoi sa magie m’avait captivé. Cette nuit-là, je suis repartie avec tellement d’émotions qu’il serait difficile de les décrire. J’ai de nouveau été motivée pour étudier la magie des cartes ! Parce que cette magie était très éloignée de mes préoccupations, peut-être parce que je n’avais pas trouvé de référence aussi évidente jusque-là.
En février 2014 j’ai revu Gabi mais cette fois au Mexique. Je suis allée à sa conférence et c’est là que j’ai décidé de lui demander s’il envisageait de voyager au Pérou ? « Je veux échanger avec toi, m’a-t-il répondu très gentiment mais je ne bouge pas de Barcelone. Quand tu veux, je t’attendrai là-bas ». Cette rencontre fut fondamentale pour la décision que je prendrai un an plus tard… Retournez à Barcelone pour étudier au Cartomagia Club.
L’année de préparation du voyage, je me suis consacrée à m’entraîner à temps plein pour participer au concours Flasoma. En mars 2015, j’ai eu le feu vert pour voyager et le visa pour aller en Espagne. Depuis, j’étudie la magie en étroite collaboration avec Gabi et je dirige également ses éditoriaux, ses publications et ses cours pour enfants.
Quelles sont vos compétences ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je pratique la magie théâtrale, poétique et argumentative, la magie de scène, la manipulation et actuellement je me suis spécialisée en magie de close-up et la « micromagie ». J’aime créer à partir d’une image, d’une sensation ou d’un poème.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
Gabi Pareras, Tina Lenert, Roberto Mansilla, Hernán Marcano.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime toutes les catégories de magie !
Quels conseils et quels chemins conseiller à un magicien débutant ?
Avoir des références, lire des livres, commencer par des connaissances de base et des fondamentaux. Étudier également les arts et les outils de la scène.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Il me semble qu’il existe une bonne génération d’illusionnistes. Il y a beaucoup de visibilité et de matière visuelle exposée sur Internet (ce qui est très bien), mais je pense qu’il ne faut pas faire l’impasse sur l’étude des classiques.
Quel regard portez-vous sur les femmes magiciennes ?
Je pense que les magiciennes d’aujourd’hui sont de plus en plus exposées et cela me réjouit ! Beaucoup de mes collègues sont présentes dans différents pays : Maga Abril et Silvanagordiola (Argentine), Dania Díaz (Venezuela), Alana (Allemagne), Nikola Arkane (Irlande), Sara Rodriguez (Espagne)… De par ma condition et mon sexe, j’essaie de faire en sorte que la magie ne parle pas de la « beauté du magicien », mais plutôt qu’elle parle de la « bonne magie » et qu’elle soit appréciée par le public. Il existe de nombreux stéréotypes et nous faisons partie de ce prototype, depuis l’Antiquité (comme « assistante » dans les grandes illusions). Aujourd’hui, je suis fière de faire partie d’une nouvelle génération responsable, volontaire qui doit maintenir sa présence et sa contribution à l’art magique.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime regarder des spectacles de mime, du cinéma, du cirque, de la danse… Je fais de la méditation et j’entraîne mon corps trois fois par semaine. Je crois qu’un(e) artiste doit prendre soin de son esprit, de son cœur et de ses mains.
À voir :
À visiter :
Interview réalisée en mars 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Josep Tobella, Marti Mayans, Josep Garcia et Magia BCN / Gisell Estrada. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.