Comment êtes-vous entrée dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
J’ai grandi à Humble au Texas et à cinq ans, lors de mon anniversaire, j’ai assisté à la performance d’un magicien nommé Steve Bender alias Ickle Pickle. À l’âge de sept ans, j’ai reçu ma première boîte de magie pour Noël. J’ai commencé mes premières représentations à onze ans sous le nom de « Lisa Lollipop le clown » avec mon premier spectacle rémunéré pour 8$. J’étais la magicienne de la ville qu’on embauchait pour l’anniversaire des enfants. A cette époque, Il était illégal de travailler au Texas avant l’âge de quinze ans, et je pensais que personne ne remarquerait mon âge si je me cachais derrière un maquillage de clown.
Après six ans et mille spectacles, j’ai vu Charles Greene III se produire de près et je me suis alors sérieusement mise à la prestidigitation en prenant des cours avec lui. En 1982, avant d’entrer à l’université, j’ai participé à un concours de close-up au Desert Magic Seminar à Las Vegas et j’ai eu la chance de jouer ma routine Pac-Mania (balles éponge) avec Muhammad Ali comme partenaire improvisé, qui était assis au premier rang. Dans la salle il y avait Marlo, Vernon, Copperfield, Slydini, Blackstone Jr., Siegfried & Roy ! À dix-huit ans, j’avais déjà fait deux-milles spectacles à l’échelle nationale et internationale et la magie m’a aidé à payer mes études universitaires où j’ai obtenu une licence en science et psychologie à la Southern Methodist University en 1986.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Charles Greene III a été mon premier professeur de magie. Avant lui, j’ai appris seule avec des livres de Bill Severin et Henry Hay empruntés à la bibliothèque municipale. Je ne connaissais pas d’autres magiciens lors de mes cinq premières années de représentation.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Tout le monde m’a aidé, Paul Gertner m’a aidé. Il n’y avait pas vraiment de femmes talentueuses en magie dans les années 1980 à part June Horowitz, Diana Zimmerman et Tina Lenert. Ils étaient tous si gentils… jusqu’à ce que je reçoive beaucoup de succès ! Certains se sont un peu énervés, mais jamais devant moi directement. Je me suis alors rendu compte que dans l’ensemble, les magiciens n’étaient pas particulièrement sympas les uns envers les autres. Il y avait une compétitivité et de la mesquinerie. Je n’avais jamais vécu cela.
Lisa Menna et Tony Slydini dans les années 1980.
J’ai essayé de m’inscrire au Tannen’s Magic Camp mais il m’ont dit qu’ils n’accueillaient pas les filles et ma demande a été rejetée. Leur message n’était pas : « pas de filles autorisées », mais plutôt : « nous n’avons jamais eu de fille et nous n’avons pas les infrastructures adéquates. » ! J’ai conscience que beaucoup de mes opportunités sont venues à moi parce qu’il n’y avait pas d’autre femme magicienne dans la corporation magique. Mais dans le monde réel, personne n’en avait idée. Le grand public n’avait vu que deux magiciens dans leur vie, et c’étaient des hommes.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
J’ai fait des spectacles pour enfants pendant sept ans, sept ans en tant que magicienne de close-up1, sept ans de stand up sur des salons professionnels2, sept ans de magie de scène3. J’ai beaucoup travaillé à l’international, dans quarante pays, en présentant mes spectacles en quatre langues différentes ; du Japon à la Colombie, de l’Italie à la Thaïlande, en passant par l’Espagne.
Maintenant, cela fait une décennie que je me suis engagée pour le changement social dans la rue en tant que militante avec l’association Cause to Wonder4 où l’on donne des représentations théâtrales.
Quelles sont les prestations de magiciens5 ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Johnny Fox était un mentor et son style m’a influencé. Gaëtan Bloom m’aime 😊. Ricky Jay m’a aussi conseillé lorsque j’ai voulu monter un spectacle théâtral. Il a dit que la chose qui a changé sa vie fut le jour où les gens ont acheté un billet pour venir le voir sur scène. « Si tu te trouves à une fête et qu’il y a de la magie, c’est génial. Mais si tu achètes un billet, prends une douche, te laves les cheveux et te prépares pour aller au théâtre, c’est beaucoup de temps et d’énergie en prévision de passer un bon moment. C’est un public complètement différent. »
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La magie qui utilise du matériel original qui n’objective pas les femmes comme une note d’accompagnement.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Il est difficile de rester ludique à l’âge adulte. La curiosité mène à la découverte qui est à la base de toute créativité. La plupart des adultes oublient comment jouer.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Si vous devez copier le style de performance de quelqu’un d’autre, n’imitez pas un autre magicien. Imitez plutôt une personne en dehors de la magie. Par exemple, faites semblant d’être Lady Gaga lorsque vous trouverez votre style au lieu de m’imiter 😊.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
YouTube rend les choses si facile à apprendre, et les jeunes ont un temps d’avance. Mais c’est si triste quand un magicien affiche une vidéo avec le nom de l’effet et que le public sait comment chercher sur Google ! Un conseil : ne jamais révéler le nom d’origine d’un effet.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Les gens aiment quand vous essayez de parler leur langue. Plus vous vous donnez du mal, plus on vous aime. La vulnérabilité gagne le public à chaque fois. Je fais du théâtre pour le changement social à travers l’ONG Cause To Wonder. J’utilise la magie, entre autre, pour convaincre les garçons des tribus de ne pas battre leurs femmes. Certains magiciens sont en désaccord avec la façon dont je présente mes tours à ce public (qui les interprète comme des miracles). Ils sont offensés parce que j’utilise la magie pour « tromper » les gens. Mais pour moi, je les « trompe » pour leur faire croire que la violence domestique est mauvaise et c’est le principal. Je ne me présente pas comme une chamane, une sorcière ou une guérisseuse. Je les mets simplement en garde et la « superstition » de la magie fait le reste…
Lisa Menna utilise des tours de magie simples pour attirer l’attention des autochtones (ci-dessus avec des balles éponge).
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Le snowboard, la plongée sous-marine, la sculpture, l’activisme, et le recyclage de boîtes.
Cause to Wonder au festival de Sainte Lucie à Syracuse en Sicile (2018).
– Interview réalisée en avril 2021.
A visiter :
– Le site de Lisa Menna.
– Cause to Wonder.
A voir :
– Magical Women Lisa Menna Talk #1
– Magical Women Lisa Menna Talk #2
– The cause needs you.
– Ethiopia – A village intervention.
– « If you want good luck, do not hurt women. »
– Cause to Wonder in Mozambique.
Notes de la rédaction :
1 Le tour de close-up le plus connu de Lisa Menna est son High Heel Card Stab où elle retrouve une carte signée, pliée dans sa chaussure. Une routine suggérée par Peter Studebaker. Menna a créé également une routine de Carte Ambitieuse très personnelle se terminant avec la carte du spectateur plantée sur le talon de sa chaussure.
Lisa Menna a joué au New York Magic Symposium et au F.F.F.F. Elle est apparue dans l’émission Chantatachán de Juan Tamariz en 1992. Elle est la seule femme à avoir joué dans toutes les salles du Magic Castle à Los Angeles. Elle a travaillé avec une troupe de professionnels du cirque russes au Dîner-théâtre cabaret Palazzo à Vienne. En raison de ses contributions originales à l’art de la magie, elle est devenue la première femme à être invitée à donner des conférences et à se produire à la FISM en 1988 à La Haye puis en 1997 à Dresde.
2 Dans les années 1990, Lisa Menna a obtenu une notoriété et un succès mondial en tant que magicienne des salons professionnels, connue sous le nom de « Darling of Dot Com » et travaillant pour des marques comme Apple, American Express ou Intel. Elle a même reçu le prix de « la première magicienne d’entreprise au monde » lors d’un événement commercial international où vingt-six des meilleurs magiciens d’entreprise se sont produits. Lors de ces salons, Lisa Menna arrête la circulation et crée un moyen non invasif pour informer les gens de ce que fait l’entreprise. Toutes les trois minutes, elle donne une présentation complète !
Selon Lisa Menna : « La raison pour laquelle la magie fonctionne si bien pour les entreprises, c’est qu’elle est différente de la chanson, de la danse ou de la comédie. La magie est intrinsèquement intéressante parce que son mystère fait ressortir le meilleur des gens. Elle a aussi le pouvoir de fédérer tout le monde dans le groupe. En raison de sa curiosité, la magie attire l’attention. Je me sers de cette attention pour alimenter ma démonstration avec des informations ou un message sur l’entreprise pour laquelle je travaille. »
3 Dans le spectacle théâtral Mama Menna, Lisa Menna joue la veuve italienne du grand magicien viennois J. N. Hofzinser. Son histoire est tissée de curiosités, de fascinations et de démonstrations qui déroutent le public. Au cours d’une séance mystique autour d’un thé, elle tente de recréer un tour de cartes de son mari décédé, un secret convoité dont on pensait qu’il avait été enterré avec lui. Mama Menna commence à raconter son histoire à Mère Thérèse, puis à Dame Nature. Elle possède la capacité étrange de lire dans les pensées. Mais sa démence s’est installée en elle et le fantôme de son mari n’est pas loin…
4 En 1983, lors d’un voyage avec son université, Lisa Menna à dix-neuf ans et se retrouve à exécuter un spectacle de magie improvisé dans un village de pêcheurs du Sri Lanka. La foule aux yeux écarquillés était enchantée. Satisfaite de les avoir conquis, Lisa regarda à travers la mer de visages et vit une jeune femme se frayer un chemin à travers la foule. Sans avertissement, la femme déposa un paquet de chiffons sales dans les bras de Lisa et tomba au sol. Elle commença à embrasser ses chevilles alors que Lisa ouvrait le paquet de chiffons et découvrit un bébé difforme. Les yeux des deux femmes se rencontrèrent. Lisa quitta la scène désespérée et honteuse, se promettant de trouver un jour un moyen d’utiliser la magie pour alléger la souffrance des autres. Vingt-sept ans plus tard, en 2011, elle fonde une organisation à but non lucratif dans le but de diffuser des informations et des messages à des publics traditionnellement difficiles à atteindre. L’ONG Cause to Wonder utilise la magie et la curiosité pour présenter de nouvelles idées qui aident les organisations de la santé et défendent les droits humains. Les programmes les plus notables ont eu lieu au Mozambique, à Antigua, en Sicile, en Éthiopie, à Tortola, dans les îles Vierges américaines et en Inde. « Des performances interculturelles qui réduisent la souffrance humaine »
L’année 2021 marque le 10ème anniversaire de Cause to Wonder qui se dirige vers la Grenade, dans les Antilles, où notre population cible est constituée d’hommes qui vivent dans des maisons où battre leurs épouses fait partie de la normalité. La mission prévoie d’y aller dès que les fonds seront levés et que les dangers de la pandémie seront passés à l’automne… « Nous avons créé une représentation itinérante avec un spectacle de magie comique pour capter l’attention des jeunes hommes. Les tours sont des énigmes pour divertir ; pas de magie noire ici. En remplaçant simplement la formule magique « Abracadabra » par « Aider les femmes apporte de bonnes choses », ou « Si vous voulez avoir de la chance, ne frappez pas les femmes ». Nous introduisons des notions de droits des femmes et ça marche. Les jeunes hommes adorent ça. Ils parlent de l’événement à tout le monde. Ils répètent les mots. Et comme ils racontent leur histoire de leur expérience, cela engendre des discussions et des débats sur les droits des femmes dans les cuisines et sur les terrains de jeux. »
Si vous voulez participer à cette levée de fonds contre les violences faites aux femmes à Grenade, cliquez sur le lien ci-contre : https://gofund.me/841e3597
5 Dans les années 1990, Lisa Menna a l’idée de mouler les visages de ses collègues magiciens comme un « casting de visages ». Elle commence son projet avec David Williamson et s’en suit une centaine d’autres parmi lesquels : David Roth, David Kaye, Richard Kaufman, Channing Pollock, Billy McComb, Karrell Fox, Charlie Reynolds, Jerry Andrus, Jay Marshall, Johnny Thompson, Darwin Ortiz… Au fil des ans, ce « casting de légendes » est devenu pour Lisa Menna un moyen de rencontrer de nouvelles personnes et de se faire des amis dans la communauté magique.
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