Comment êtes-vous entrée dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Quand j’étais à la maternelle, ma classe est allée voir un spectacle de magie. L’assistante portait une belle robe scintillante et j’attendais qu’elle fasse un « grand tour ». L’homme, quant à lui, était juste en costume noir. C’était clair dans mon esprit que la dame allait faire quelque chose de vraiment incroyable, mais elle ne fit rien d’autre que déplacer des accessoires ! Je fus extrêmement déçue. Après cette expérience, j’ai voulu apprendre la magie pour porter la même robe scintillante et réaliser des tours. J’ai commencé avec des livres de magie empruntés à la bibliothèque et j’ai surtout travaillé des tours de cartes automatiques. Quand j’avais dix ans, ma famille est allée à DisneyWorld en vacances et je suis tombée sur un magasin de magie. J’étais au paradis ! Les démonstrateurs étaient géniaux pour trouver des choses qui me convenaient. Mon premier tour que j’ai acheté était Hot Rod.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Quelques années plus tard, ma bibliothèque locale en Ontario, au Canada, proposait un club de magie pour enfants. Je m’y suis inscrite et j’ai été élue présidente à la troisième réunion. Doug Hunt, détenteur du record du monde de marche sur échasses, jongleur et magicien, était l’organisateur du club. Il prodiguait des leçons à chaque réunion et nous montrait des tours de base, puis nous faisait travailler à assembler les éléments pour créer un spectacle digne de ce nom. Il nous a appris à choisir un répertoire et à structurer nos routines avec un début, un milieu et une fin, à être flexible avec le public. Il a également organisé des représentations. Il a travaillé pour une œuvre caritative locale et a fait venir le club pour animer divers événements. Si Doug n’était pas en mesure de prendre une réservation pour un spectacle, il donnait mon nom au client. C’est ainsi que j’ai réalisé mon premier spectacle payant à l’âge de douze ans.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Doug a commencé à m’emmener aux réunions IBM du coin. Je suis devenue membre dès que j’ai eu l’âge requis en 1984. Bien qu’il y ait eu quelques autres femmes dans ce club, elles étaient toutes les épouses de membres ! Je n’avais donc pas vraiment de modèles pour savoir à quoi pouvait ressembler une artiste féminine. C’était un peu difficile pour beaucoup d’hommes plus âgés d’apprécier mon enthousiasme pour cet art. Il y avait quelques jeunes garçons qui étaient invités à jouer avec les membres plus expérimentés, me laissant ainsi toute seule. J’ai reçu plusieurs offres pour devenir une gentille assistante mais ces messieurs ne voulaient pas partager leurs secrets ou m’aider avec mes techniques ! Cette expérience fut très frustrante mais enrichissante. Cela m’a fait travailler très dur pour faire mes preuves et je suis probablement restée dans la magie juste pour prouver aux anciens qu’ils avaient tort !
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros.
J’ai commencé à faire des fêtes pour les enfants. Je portais une jupe et un gilet en velours noir avec une chemise rose assortie à mes cartes de visite. Mon personnage sur scène était très bruyant et je passais beaucoup de temps à encourager les enfants à participer en criant et en agitant leurs bras avec des « trucs magiques qui bougent ». Mon mot magique spécial était « gelée de brocoli » – je ne sais pas pourquoi mais ça les faisait toujours rire. Mon répertoire comprenait the Hippity Hop Rabbits, the Acrobatic Silks (les Tissus Acrobatiques), the Spot Card (la Carte aux Points), et the Square Circle (le Cercle en Carré).

Je sculptais souvent des animaux en ballon pour les bénévoles mais je n’étais pas très douée. Je faisais des chiens, des éléphants (chiens à l’envers) et des girafes (chiens à long cou). Je parvenais à convaincre chaque enfant de faire l’un des trois et à la fin du spectacle, ils comprenaient que c’était tout ce que je pouvais faire, ce qui était également marrant. J’ai ajouté quelques nouvelles choses ici et là, mais j’ai surtout fait le même set plusieurs fois par mois dans les années 1990. Par la suite, mon mariage, mes déménagements et la vie ont ralenti les choses. Même si j’ai gardé un intérêt pour la magie, je n’ai ensuite fait qu’une poignée de spectacles au fil des ans jusqu’à la pandémie.

Mon projet pandémique consistait à lire un arriéré des magazines The Linking Ring d’IBM et à réviser certaines routines de cartes. Je suis alors tombée sur une publicité de la Magic & Mystery School de Jeff McBride et j’ai découvert qu’il donnait des cours en ligne. Je me suis inscrite et mon intérêt pour la magie a trouvé un nouveau souffle. Depuis, j’ai suivi une dizaine de cours en ligne et cinq cours en présentiel à Las Vegas. Grâce à l’enseignement de Jeff, j’ai maintenant un set de stand-up et un spectacle scénique pour les événements d’entreprise, un spectacle Fringe en duo avec un autre magicien, en plus de mes représentations pour enfants que je présente depuis le début.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marquées ?
Quand j’étais jeune, les photos de David Copperfield et Doug Henning étaient accrochées aux murs de ma chambre. J’adorais les histoires qu’ils racontaient et la façon dont ils vous attiraient pour concentrer toute votre attention sur le petit espace entre leurs mains. C’était fascinant. Plus tard, j’ai appris à apprécier des numéros comme ceux de Jeff McBride et Shimada qui étaient capables de raconter des histoires sans paroles. L’action et la musique m’attiraient, mais j’ai réalisé que c’était très difficile à faire. Je n’aimais pas faire un tour exactement comme le proposaient les instructions. J’ai toujours travaillé dur pour inventer des histoires qui donnaient du sens à mes routines et qui attiraient les gens. Je suis également une grande fan de Shin Lim. Dans son spectacle, il raconte des histoires très captivantes mais mêle également de magnifiques morceaux de musique. Ses mains sont si élégantes avec les cartes que je pourrais le regarder toute la journée ! Mon prochain défi magique est de travailler sur un morceau qui utilise la musique au lieu des mots pour raconter une histoire.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’apprécie les différents styles de magie. J’adore regarder les classiques comme les Anneaux chinois, les Gobelets ou les manipulations de boules de billard. La pratique et l’habileté nécessaires pour bien les exécuter sont admirables. Moi-même, je n’ai pas la patience, mais j’aime regarder ceux qui en ont. J’aime aussi certaines performances de « magie bizarre » qui s’inspirent d’histoires vraies de crime ou de folie. Ces performances ont souvent des scénarii terriblement captivants qui éclipsent presque les tours, mais j’aime la façon dont les conteurs entrelacent les mots avec l’effet. Dernièrement, je me suis intéressée aux duos. Je travaille sur un spectacle avec un autre magicien. Nous voulons être des partenaires « égaux » car il existe très peu de modèles, en particulier entre un couple homme-femme.

Quelles sont vos influences artistiques ?
Je suis influencée par les styles des années 1920 à 1950. Mon studio de magie a des photos de Dai Vernon, Cardini et René Lavand sur les murs. J’ai fait dessiner une affiche de moi en demandant à l’artiste Ever Elizalde de s’inspirer des images d’Adelaïde Herrmann et de lui donner une touche Art déco. J’aime les styles classiques et je pense que les artistes devraient être les mieux habillés de la salle. Si vous voulez que les gens vous regardent, vous devez aussi attirer l’attention par votre apparence. Souvent, les gens ont en tête des images très classiques de la magie. J’aime recréer ces images lorsque je me produis. Comme les magiciennes sont encore plus rares, les gens ne savent pas à quoi s’attendre, il est donc important de créer une image mémorable. Mes costumes actuels comprennent une veste à longue queue. J’en ai une en vert émeraude et une autre en violet. Et j’ai un autre costume qui a un look « Mary Poppins » avec une veste rouge brillant et une jupe fluide.

Quels conseils et quels chemins conseiller à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Je vais poser cette question aux femmes débutantes (ou à celles qui s’identifient comme telles). La communauté magique est encore en grande partie un « club de garçons », même si elle s’améliore et est bien meilleure qu’à mes débuts. Les femmes constituent toujours une très petite minorité. Il y a des alliés incroyables qui vous soutiendront et vous encourageront ; cependant, il y en aura beaucoup plus qui continueront à penser que les femmes devraient être des assistantes ou qui n’ont pas le même niveau de compétences ou de dévouement. Mon conseil est de vous améliorer. C’est tout ! Améliorez vos compétences jusqu’à ce que personne ne puisse contester que vous avez une place à la table. Si les « anciens » voient suffisamment ce phénomène au fil du temps, leurs attentes envers les femmes changeront… lentement, mais elles changeront. Ensuite, la route sera plus facile pour les femmes qui viendront après vous. De plus, ce ne sont pas toujours les « anciens » qui ont une mentalité stéréotypée et patriarcale. Dernièrement, j’étais à un cours de magie à Las Vegas et je déjeunais à une table pleine de gars d’une vingtaine d’années. L’un d’eux a fait un commentaire désobligeant sur les filles dans la magie. J’ai alors dégainé mon jeu et je l’ai époustouflé avec ma routine de Cartes ambitieuse qui est techniquement assez avancée. Il s’est excusé et a payé mon déjeuner ! Il faut accepter que ce sera un chemin difficile, mais prenez-le comme un défi et assumez-le !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je suis agacée par les querelles constantes sur les réseaux sociaux concernant le débinage des tours de magie. L’énergie dépensée à se battre les uns contre les autres serait mieux investie dans la pratique magique ou en appliquant cette énergie mentale à la création de nouveaux effets. Les magiciens sans talents vont révéler des secrets parce que c’est ainsi qu’ils attirent l’attention. Inutile de se disputer – ils le feront, point final. Est-ce que cela nuit à l’art magique ? Peut-être. Mais les gens qui regardent ces vidéos ne s’en souviendront pas cinq minutes plus tard, car ils ont une capacité d’attention incroyablement courte et une mémoire à court terme. Si cela ne les intéresse pas ou s’ils n’apprennent pas le tour eux-mêmes, il n’y aura aucune rétention.


Nous ne prétendons pas faire de la « vraie magie », donc bien sûr, il y a simulation avec un tour impliqué. L’explication n’a pas d’importance si la présentation de l’interprète est engageante. Par exemple, je sais comment fonctionnent les Anneaux chinois – j’en ai moi-même un jeu – mais regarder une vraie « maîtresse » comme Luna Shimada est fascinant. Si quelqu’un ne regarde pas ce que vous faites… c’est de votre faute. Le spectacle n’est pas près de commencer si les gens regardent leur téléphone. S’ils sont attentifs, peut-être apprécieront-ils le talent mis en œuvre dans la prestation. Mais je parie que s’ils revoyaient le même spectacle un mois plus tard, ils seraient à nouveau impressionnés par une présentation bien faite. C’est comme aller au théâtre. Je sais comment se termine Roméo et Juliette, mais cela ne m’empêche pas d’aller voir le spectacle et d’apprécier la prestation.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
C’est une question difficile. À mon avis, chacun aborde la magie différemment. Nous avons tous des influences et des bagages différents que nous apportons à l’art magique. Prenons l’exemple de la Carte ambiteuse. Chacun la fait un peu différemment. Parfois, il y a une histoire. La mienne est celle de ne pas avoir eu de chien quand j’étais enfant, alors j’ai appris des tours de cartes à mon élève… D’autres artistes le font simplement sans explications. Certaines personnes utilisent des cartes à l’aspect effrayant ou font d’une carte signée la « carte magique ». Certaines personnes la rendent très technique, d’autres non. Le nombre de représentations différentes est aussi grand que le nombre de personnes qui le réalisent. Personnellement, je n’exécute jamais un tour tel quel ou selon les instructions (cela pourrait donner un résultat différent du fait d’être une magicienne, car la plupart du temps, tout ce qui est écrit est difficile à dire pour une femme). J’apprends l’effet et je le garde jusqu’à ce qu’une histoire ou une présentation me vienne à l’esprit. Il doit se conformer à mon style, à mon spectacle et à ma personnalité. Je suppose que c’est là que réside l’art. Ce que vous apportez à l’effet est le résultat de votre culture et de la culture des personnes pour lesquelles vous jouez. C’est ce qui rend les effets uniques et fait passer ce qui était au départ « une production de masse » dans le domaine de l’art.

Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime les travaux manuels variés. Je fais du scrapbooking avec des photos de famille, même si j’applique souvent ces compétences à des accessoires de magie ou à des conceptions d’affiches. Je tricote et je fais du crochet. Lorsqu’on me le demande, je fais des balles en crochet pour des routines de chop cups ou de gobelets à destination des magiciens. Et je couds. Je me suis fabriqué un sac pour un concours de magie et il a attiré l’attention de certains amis qui m’ont encouragé à fabriquer d’autres accessoires en tissu difficiles à trouver ou personnalisés. J’ai une section boutique sur mon site web pour les magiciens où je propose mes produits faits main – le mot de passe est « Vernon ». Je garde quelques objets comme des Sacs à œufs (conçus et utilisés par Jeff McBride) et des Devil’s Hanks prêts à être envoyés par la poste. Mais je fais aussi du travail personnalisé si quelqu’un veut une couleur ou une caractéristique particulière, c’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec Jeff. C’est une activité secondaire amusante qui se développe et j’aime les idées folles que les magiciens ont pour les choses que je fais.
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Interview réalisée en février 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Lisa Krol. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.