Felice Varini débute sa carrière de peintre à la fin des années 70 et s’intéresse dès lors à la relation que la peinture entretient avec son environnement d’exposition. Il met en place une méthode qui aboutit à une lecture qui se fait par le déplacement du corps dans un dispositif d’anamorphose. Ce déplacement révèle la forme peinte et le lieu qui la reçoit. Il provoque la rencontre du spectateur avec un point de vue précis face à une œuvre qui se construit et se déconstruit à l’infini. Ce film documentaire intitulé 7 droites pour 5 triangles réalisé par Antoine de Roux, propose une plongée dans le processus artistique de Varini à travers la réalité de la création contemporaine, loin de la vision romantique et bohème de la notion d’artiste. La réalisation de l’œuvre, qui prend en compte l’espace urbain, est confrontée à divers problèmes d’ordre matériel, logistique, financier… Pour Réaliser son anamorphose géante, l’artiste part d’une situation réelle. Cette réalité n’est jamais altérée, effacée ou modifiée. Il se fait entouré d’une petite équipe composée de 3 personnes. Deux assistants qui tracent le dessin et installent le papier coloré sur les édifices, et une administratrice chargée de régler tous les problèmes de logistiques et d’autorisations. Techniquement, Varini utilise un énorme projecteur qui projette (la nuit tombée) la forme souhaitée directement sur l’espace de travail (sa toile de fond). Ajustant ses tracés, il met au point sa composition qu’il « repasse » à l’aide de crayon et de bandes de papier collées (qui n’altèrent pas les façades).
Réalisée en 2003 place de l’Odéon à Paris, la pièce élaborée par Varini prend pour support de construction les lignes de tension de l’architecture du site alors accidentées par un chantier de rénovation : celui du théâtre. La place entière offre à l’artiste une multiplicité de supports-réceptacles d’une rare densité : bâche, palissade, algécos, échafaudages, colonnade, façades d’immeubles… Une telle installation demande une multitude d’autorisations et d’accords. Après une année de travail, l’œuvre est installée en six jours et cinq nuits. Après 3 mois d’existence elle sera « décrochée » et achetée par la ville pour ricocher ailleurs. Le quartier retrouve ses absences. Le travail de Varini n’est pas simplement une affaire d’intellect, il est aussi générateur de liens, il cristallise la rencontre d’une certaine histoire, celle de l’art avec le monde, une affaire de proximité entre les êtres et les choses. Comprendre la rencontre d’une œuvre avec le quotidien dans lequel elle s’installe, soulever la question des enjeux et conséquences de l’art quand il prend ses quartiers en ville : voilà un des questionnements qui se dégagent du travail de Felice Varini, particulièrement pour cette œuvre. C’est aussi un bon révélateur du regard sur le monde et en particulier sur le lien étroit que chacun entretient avec son quotidien, à l’image de ce SDF qui, habitant le quartier depuis de nombreuses années, ne se rend pas compte de l’installation qu’on lui met pourtant sous le nez. REGARDER, ne veut pas dire VOIR ! Tout se dérobe constamment sous notre regard. Si l’on ne prend pas le temps d’analyser un peu les choses, nous sommes pris au jeu de l’illusion. Varini nous présente cette illusion. Il nous fait prendre conscience que tout est en perpétuel mouvement et que la reconstitution de la réalité est une aventure éminemment subjective.
A voir :
– 7 droites pour 5 triangles de Antoine de Roux (2005). DVD disponible chez Lowave, dans la collection « artists at work ».
A lire :
– La Monographie de Felice Varini.
Crédits photos – Copyrights avec l’aimable autorisation de l’artiste et de l’auteur Felice Varini et Antoine de Roux. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayant droits, et dans ce cas seraient retirés.