Théâtre noir
Depuis dix ans, Jérôme Helfenstein peaufine et perfectionne des numéros visuels novateurs comme Infini, Ombres et lumières et Le tableau qui sont devenus des références mondiales. Il fait partie de ces rares créateurs qui font avancer l’Art magique vers la modernité.
Artiste multidisciplinaire, Jérôme Helfenstein fait également partie de la compagnie des enfants terribles avec son compère Claude Brun. Claude Brun qu’il retrouve pour monter Les chapeaux blancs, un tout nouveau numéro de théâtre noir qui renouvèle le genre avec éclat.
Le numéro
Sur scène est placé un guéridon stylisé. Apparaît alors dessus une petite boite d’où sort deux mains et le corps tout entier d’un personnage (des pieds au chapeau) qui se matérialise devant nous, sous couvert d’un drap. Celui ci n’a pas de visage.
Le personnage salut le public et se dédouble. Les deux silhouettes ajustent leur costume symétriquement et saluent à nouveau. Deux portes manteaux apparaissent alors de chaque côté. Les deux individus posent respectivement leur chapeau dessus, quand un des portes manteaux disparaît d’un coup. Le chapeau se met alors à léviter et une des silhouettes vient le rejoindre dans les airs.
Un des personnages sort une balle de son chapeau, imité par son double. La balle se dédouble. La troisième balle est alors ajoutée aux autres pour une séance de jonglage. Les balles disparaissent ensuite une à une dans les airs pour se retrouver dans le chapeau du deuxième personnage, qui fabrique un escalier avec. Celui-ci tombe ensuite dans une fenêtre et disparaît.
La fenêtre réapparait sur un plan vertical avec le reflet du personnage disparu. Son compère fait apparaître un foulard qu’il passe devant la fenêtre et fait disparaître son reflet. Ne reste plus que le chapeau qui flotte. Le foulard disparaît et réapparaît sur le chapeau qui se dématérialise progressivement. La fenêtre disparaît, elle aussi, grâce au foulard qui est jeté par terre pour faire apparaître un paravent rectangulaire.
De ce paravent sort la doublure qui se cache ensuite derrière et lévite dans les airs (chapeau, mains et pieds dépassants). L’autre personnage passe derrière et disparaît, le paravent se transformant en drap.
Le drap est tendu dans les airs et la deuxième silhouette apparaît. Les deux personnages, côte à côte, tendent alors le drap sur eux. Leur deux chapeaux lévitent et se rejoignent pour n’en faire plus qu’un. Le drap tombe sur la silhouette du début qui n’est qu’un costume vide qui s’effondre au sol.
Dispositif scénique et héritage
Le théâtre noir privilégie la vision frontale des choses et exclut la profondeur de champ. Tout se passe en surface par le contraste entre le blanc et le noir, l’ombre et la lumière. Un tel dispositif demande un travail considérable de coordination et de placement.
C’est vers 1885 que le théâtre noir, aussi appelé cabinet noir magique, est apparu avec des artistes comme l’allemand Max Auzinger et le français Buatier de Kolta. Mais c’est le génial Georges Méliès qui va utiliser cet art avec le plus d’imagination dans ses numéros de scène au théâtre Robert-Houdin et dans ses films à trucs. On pense notamment à Un homme de tête (1898) et à la Dislocation mystérieuse (1901).
Méliès dans Un homme de tête (1898).
Plus tard, en 1895, l’allemand Berscheid réinventera le dispositif du Black art et fera connaitre cet art dans le monde entier notamment grâce à son fils Willy qui créera le fameux numéro Omar Pacha que la famille Ostrowsky continue de faire tourner aujourd’hui.
Le Black art a influencé beaucoup d’artistes à travers le monde comme le chorégraphe Moses Pendleton avec son spectacle Momix.
Visions surréalistes
Inconsciemment, la première image picturale qui nous vient à l’esprit est celle de Magritte et de son univers décalé. Le costume et le chapeau melon renvoyant à la figure de mode du début du XIXème siècle symbole de respectabilité. René Magritte reprendra cette figure en n’en faisant un autre symbole inscrit dans l’inconscient collectif. Pour le peintre belge, l’objet est considéré comme une réalité concrète. Il y a tout un jeu entre la réalité et sa représentation que l’on retrouve dans le numéro des chapeaux blancs.
Magritte, Le pèlerin (1966)
Une dualité de l’invisible
Les chapeaux blancs concrétisent de vieux fantasmes : celui de devenir invisible pour échapper « aux contraintes » de la vie et de jouer à cache cache avec soi-même en se dédoublant. Le numéro renvoie à deux classiques de la littérature anglaise de la fin du XIXème siècle, à savoir :
L’Homme invisible de H. G. Wells publié en 1897, et L’étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde de R. L. Stevenson publié en 1886.
Ces deux romans fondateurs portent en eux des thématiques fortes qui ont agrémenté et agrémentent encore les arts et la psychanalyse. Le dédoublement de la personnalité sous les traits d’un homme « fantôme » prit dans le jeu de l’inconscient, tel pourrait-être une des significations possibles des chapeaux blancs.
Synthèse
Avec un incroyable sens esthétique renvoyant à des images inconscientes, la nouvelle création de Jérôme Helfenstein, Claude Brun et Pierre Xamin est une petite merveille visuelle et poétique.
Extrêmement moderne et épuré dans sa forme, le numéro renvoie également à une certaine tradition du spectacle théâtrale adepte d’une mise en scène appuyée. L’emploi de la pantomime est quand à elle empruntée au cinéma muet. La musique, privilégiant le piano, participe à l’impression de voir une saynète jouer pour le public dans un rapport de complicité. Les Chapeaux blancs, un numéro visuel incontournable destiné à devenir une référence !
A lire :
– L’interview de Jérôme Helfenstein.
– Le compte rendu du spectacle « Ombromagie » de Jérôme Helfenstein.
– Le compte rendu du spectacle Les voyageurs égarés.
A visiter :
– Le site de Jérôme Helfenstein.
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