BOUCLES ET PASSAGES ENTRE PRÉSENT ET PASSÉ
Le colloque Truquer, créer, innover, les effets spéciaux français, en collaboration avec l’exposition Effets spéciaux : crevez l’écran !, marque la fin du premier cycle de recherches des Arts trompeurs. Machines. Magie. Médias ; en moins de 3 ans (avril 2015-mars 2018) : 10 colloques ; 2 ateliers. Après un premier atelier portant sur les discours et les pratiques de la magie, le colloque Le Panorama, un art trompeur en collaboration avec le MUCEM de Marseille a été conçu dans le cadre de l’exposition J’aime le panorama. Le premier forme une « boucle » avec le dernier, car là aussi une exposition était à l’origine et là aussi l’illusion par un dispositif technique était le sujet. Il s’agissait d’un dispositif spectaculaire du XIXe siècle présentant une peinture spéciale qui rappelle sensiblement celle pour le matte painting que le public a pu découvrir ou re-découvrir tout le long de ce dernier colloque. En effet, comme les décors truqués cinématographiques et théâtraux, le Panorama visait à créer une illusion permettant au spectateur de voyager dans un autre espace-temps. Par ce dispositif, la perception et les sens du spectateur étaient manipulés : il en était conscient d’autant que, bien souvent avant de pénétrer dans l’espace circulaire du Panorama, des textes explicatifs donnaient les secrets du dispositif. Pourtant, une fois que les effets d’immersion commençaient, que la musique ou d’autres éléments sonores complétaient l’effet illusoire, il oubliait l’artifice, il oubliait la tromperie. Or, le fameux « je sais bien, mais quand même » attribué bien souvent à la condition du spectateur cinématographique était – et est – non seulement la condition du spectateur du panorama, du théâtre, de la fantasmagorie, du spectacle lanterniste, et plus tard de la radio du cinéma et de la télévision – en réalité de tous les dispositifs sonores et visuels qui se jouent de nos sens – mais elle est avant tout à la base des spectacles de magie : « je sais qu’il y a un truc, mais quand même ». La magie donne à voir qu’on ne voit pas !
Le concept théorique de « cycle technologique »
C’est à travers notre intérêt pour les techniques d’illusion propres à chacun de nos objets d’études (théâtre, cinéma, musique, radio, télévision, arts numériques) que la rencontre avec l’art magique s’est imposée. D’une part, les spectacles magiques partagent avec les technologies mises au service du théâtre, du cinéma, de la radio, de la télévision, etc., les principes du secret, de la métamorphose, du double, de la participation ; d’autre part, nous avons poursuivi l’hypothèse avancée par Arthur C. Clarke selon laquelle : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie (1962, p. 36) ». Ces principes – secret, métamorphose, double, participation – mis au regard de cette hypothèse de Clarke nous ont amenés au concept de cycle technologique propre à l’art magique, mais pouvant être appliqué au théâtre, au cinéma, à la musique et en général aux arts numériques. Ce cycle se compose de 3 moments : le moment magique (croyance et émerveillement), le mode magique (rhétorique), la sécularisation (banalisation de la dimension magique). N’est-il pas le cas des effets spéciaux, des arts numériques, du cinéma, de la musique, du théâtre qui pour continuer à étonner, à émerveiller, doivent sans cesse renouveler leurs effets ? Lorsqu’un effet perd de sa magie et devient banal, il doit trouver d’autres formes, d’autres « trouvailles » pour retrouver sa dimension magique. Rappelons aussi que si Georges Méliès et bien d’autres magiciens intègrent le cinématographe à leurs tours de magie ce n’est pas en raison de leur grande admiration pour sa machinerie qui par ailleurs commençait tout juste à montrer ses possibilités artistiques. Si le cinématographe attire leur attention, c’est en raison du fait que l’art magique, lui-même, à la fin du XIXe siècle, cherchait les moyens de se renouveler et de se démarquer de la prestidigitation manuelle devenue archaïque, trop banale. Le cinématographe à leurs yeux pouvait potentiellement permettre de redonner, renforcer, la dimension magique de leurs spectacles. (voir : Thèse de doctorat de Frédéric Tabet). La même réflexion peut être appliquée à l’évolution technologique du théâtre et de la musique, tout en tenant compte de leurs spécificités.
C’est ainsi que les techniques numériques ont été introduites dans les actuels spectacles de magie et cela avant même qu’elles soient expérimentées ailleurs. Notre colloque Magie numérique (novembre 2017) a montré à quel point les magiciens se sont emparés des outils numériques. Les propriétés esthétiques et narratives des techniques numériques leur permettent de faire resurgir le moment magique, banalisé par la sécularisation de techniques analogiques.
Plus que jamais, par l’utilisation des outils et dispositifs numériques, par la quête de l’effet en temps réel, la recherche d’effets de présence, la frontière entre artistes et magiciens est devenue poreuse. D’où l’intérêt de la questionner.
DEUXIÈME CYCLE DES ARTS TROMPEURS
Nous avons donc décidé de donner suite au projet « Les Arts trompeurs. Machines. Magie. Médias », au prix de nous « faire violence » (c’est toujours plus aisé de rester dans ses propres murs) et nous obliger à sortir de nos objets habituels pour donner à l’Art magique la place qu’elle mérite. L’étude d’un important fonds d’archives et la réalisation d’une cartographie des spectacles de magiciens et d’illusionnistes constitueront nos bases pour poursuivre la réflexion sur les pratiques spectaculaires de la magie. Ce deuxième cycle va accentuer les allers-retours entre la France et le Québec et, plus globalement, la collaboration entre l’Europe et l‘Amérique du Nord ; il va aussi permettre d’approfondir les liens avec les magiciens eux-mêmes, rapprochement qui a été au cœur de nos démarches au cours du cycle qui se termine maintenant. Nous réfléchissons à ce 2e cycle des Arts trompeurs qui nous mène donc à 2022-2023 et qui durera 4 ans.
1. Les fonds d’archives magie du musée McCord
Notre réflexion a débuté, comme on vient de le rappeler, en 2015. Le hasard – ou la magie – a fait que cette année-là, qui marque donc aussi le début de nos travaux en tant que groupe international de recherche, le musée McCord, qui est le grand musée d’histoire de Montréal, acquérait une exceptionnelle collection d’archives consacrée au spectacle de magie. Il s’agit de la collection Allan Slaight, « la plus importante du Canada » et sans doute l’une des plus riches collections du genre accessibles au public. L’ensemble comprend 600 affiches de spectacle de magie du XIXe siècle et du début du XXe siècle, de même que 200 livres rares et 200 documents « se rapportant ou ayant appartenu » au célèbre magicien américain Harry Houdini (1874-1926). Harry Houdini avait constitué, de son vivant, ce qui passait pour être la plus grande bibliothèque de magie au monde. Allan Slaight a récupéré une bonne partie de cette collection et l’a enrichie au fil des décennies.
La fondation qui gère les avoirs d’Allan Slaight a fait don de cette collection au Musée McCord parce que le bâtiment où loge le musée abritait autrefois l’association des étudiants de l’Université McGill. Et c’est là, dans ce bâtiment, et dans la salle même qui abrite aujourd’hui la collection Allan Slaight que Houdini a donné sa dernière conférence avant sa mort subite en 1926. Ce qu’il est important de retenir de cela, c’est que le musée McCord de Montréal est ainsi devenu, du jour au lendemain, l’un des plus grands centres mondiaux d’archives liées au spectacle de magie, aux magiciens et aux spirites.
Affiche de l’exposition ILLUSIONS-L’art de la magie au Musée McCord (du 26 mai 2017 au 7 janvier 2018).
Nous avons eu l’occasion, au titre de chercheurs universitaires intéressés aux arts du spectacle et aux technologies, de consulter ces documents à diverses reprises dès le début de leur traitement archivistique en 2015 (qui est toujours en cours). Une première valorisation de ce fonds a fait l’objet d’un chapitre De la prestidigitation au Magic Big Show d’Howard Thurston (Jacques Ayroles et Giusy Pisano Cinémathèque française et ENS Louis-Lumière/IRCAV) à paraître en septembre 2018 dans notre ouvrage Machines. Magie. Médias.
L’examen approfondi de ces archives est l’un des éléments déclencheurs de ce deuxième cycle, et c’est à partir de la figure d’Houdini – dont le nom qui est un pseudonyme est un hommage à Robert-Houdin – que nous avons défini les axes de ce 2e cycle de recherche. Après avoir lui-même frayé avec le spiritisme, Houdini s’en est détaché et a été l’un des plus féroces dénonciateurs des spirites qu’il accusait de fraude et de supercherie. En faisant cela, il a résolument rangé la magie dans le camp de la science, de la technique et de la technologie, opérant une rupture historique et épistémique nette entre spectacle de magie et expérience médiumnique et le surnaturel ou le paranormal. Nous nous servirons de cette figure remarquable pour penser l’espace médiatique/numérique contemporain autour de l’authenticité et de la médiation. Multipliant les allers-retours entre le passé et l’époque actuelle, marquée par les fakenews et les » faits alternatifs « , nous voulons questionner la puissance des espaces liminaires de configuration et de transformations des imaginaires sociaux. L’analyse projetée porte autant sur la nature et la matérialité de la médiation que sur ses hybridités (espace tangible/vs numérique ; représentationnel/vs performatif) dans la configuration de nouveaux dispositifs scéniques et médiatiques contemporains.
L’élaboration d’une base de données à partir de ce corpus inédit nous permettra d’établir une méthode solide pour la gestion des archives dans le contexte des humanités numériques, en préparant ainsi le terrain pour leur exploitation plus large en accès libre. Ce projet-pilote sera l’occasion de tester les méthodes numériques de traitement des données (métadonnées, visualisation et forage des données, gestion des communautés) au moyen d’outils qui modifient en profondeur les méthodes de sciences humaines. Les acquis méthodologiques de ce projet pourront ensuite être étendus à l’ensemble de la collection Allan Slaight pour des recherches subséquentes. Les archives produites par la recherche elle-même seront exploitées sur des supports variés, dont il faudra assurer la lisibilité, l’accessibilité et la pérennisation. Pour les chercheurs et les étudiants participants, le projet offre un rapport privilégié à des archives uniques, qui seront traitées selon des méthodes innovantes. En mettant en valeur le corpus Houdini, l’axe d’expérimentation vise à découvrir de quelles façons les technologies numériques prennent en charge nos sensorialités, en affectant ou en détournant les régimes d’authenticité et les modes de production du sens qui en découlent. Il s’agira d’explorer les technologies de réalité virtuelle ainsi que les artéfacts de la collection, transformés en objets interactifs et augmentés, lesquels seront hybridés à la base de données.
2. Une cartographie des spectacles de magiciens et d’illusionnistes
Si à la fin du XIXe siècle et dans les années 1920 l’utilisation de la technologie se fait particulièrement sentir dans les spectacles illusionnistes, de nos jours l’écran numérique est en soi un procédé « magique », car, avec lui, le monde est à portée de main. On ne compte plus les magiciens qui utilisent leur iPhone ou leur iPad pour réaliser des effets magiques en situation de close-up, comme Simon Pierro, Keelan Leyser, Charlie Caper et Erik Rosales, Yann Roulet ou Benjamin Vianney, Thierry Collet. La motion graphic, le mapping vidéo et l’animation 3D, la réalité augmentée, sont utilisés par les illusionnistes – tels Marco Tempest, Hara, Demian Aditya, Moulla Diabi, Marc Dossetto ou Romain Lalire – pour la mise en place d’un univers parallèle, en trompe-l’œil, dans lequel l’artiste produit des effets magiques mécaniques ou des manipulations. La Cie 14:20 (associée à notre projet) fait revivre la magie des dispositifs du passé – tel le Pepper’s ghost – grâce aux techniques numériques.
Nous, rêveurs définitifs de la compagnie 14:20 (copyright : Clément Debailleul).
La Magie : un objet d’étude scientifique reconnu
Fidèles à notre démarche visant à situer le présent dans une relation dynamique avec le passé, parallèlement à l’étude de ce fonds d’archives important conservé au Musée Mc Cord, nous allons réaliser une cartographie des actuels spectacles de magie en France et Amérique du Nord. Cela nous permettra tout d’abord de les faire exister dans les objets universitaires, d’en analyser le fonctionnement, le rapport à la technologie et au spectateur. Il est essentiel de rappeler que si le spectacle de magie – qui connaît un regain de ferveur notable aujourd’hui (sur scène comme à la télévision) – au cours de son âge d’or (1850-1914) a été un redoutable concurrent du théâtre attirant d’immenses foules dans les plus grandes salles d’Occident, il reste très largement impensé et ignoré par la recherche universitaire. Notre action consiste précisément, depuis le début de nos activités, à en faire un objet d’étude scientifique reconnu.
Le désintérêt des chercheurs, jusqu’à présent, n’est pas lié à l’absence d’archives ou de publications sur le sujet comme c’était le cas pour d’autres chantiers de recherche auxquels de nombreux membres des Arts trompeurs ont participé dans le passé, comme le son au théâtre ou l’utilisation des technologies de reproduction du son ou de l’image sur scène. Les chercheurs en magie ont, en effet, accès à une riche bibliographie ou, dans le cas montréalais, à des archives riches et variées. Nous pensons que le manque d’intérêt historique des chercheurs tient à la fois au caractère populaire des spectacles de magie et à sa nature multiforme mêlant éléments cinématographiques, théâtraux, chorographiques, musicaux, etc. Pour beaucoup de chercheurs et d’observateurs, le spectacle de magie se distingue peu des autres spectacles vivants. Il partage en effet beaucoup d’éléments avec le théâtre traditionnel – en anglais on le désigne souvent par l’expression theatrical magic -, à commencer par les lieux où il est présenté, le format et la durée des spectacles, la coprésence (vivante) du magicien/acteur et du public, son mode de diffusion et de mise en marché, son fonctionnement général, etc. À cela s’ajoute le fait que des numéros de magie étaient régulièrement intégrés à des spectacles de vaudeville américain ou des spectacles de variétés. La perspective que nous adoptons est radicalement différente. Nous défendons l’idée que ce qui se passe dans un spectacle de magie et ce qu’y vivent les spectateurs en font une pratique non seulement unique, mais atypique ; unique parce qu’elle est la seule de ce genre, atypique parce qu’elle ne correspond à aucun schème réflexif existant.
Vers un tournant de la recherche et de la formation universitaire ?
Notre objectif principal pour ce 2e cycle est donc de démontrer, d’abord, que le spectacle de magie se distingue des autres spectacles vivants par la nature de sa médiation, tout à fait unique, et par le rapport singulier qu’il instaure avec le public, i-e l’agentivité spectatorielle, et ensuite que cette médiation particulière nous permet de comprendre autrement les autres types de spectacles vivants et d’autres pratiques médiatiques et artistiques. L’hypothèse théorique qui nous guide porte donc sur les phénomènes de médiation et la dynamique communicationnelle. Pour dire les choses simplement, le spectacle de magie est le cas paradoxal d’un non-spectacle, dont l’objet est de donner à voir qu’on ne voit pas. En termes de communication, on pourrait affirmer que c’est le message d’un non-message. Si d’un point de vue phénoménologique, la médiation consiste à rendre perceptible ce qui sans la médiation ne le serait pas ; nous avons affaire, ici, à une action qui consiste à rendre imperceptible ce qui sans cette action serait perceptible ? Est-ce une démédiation, une contre-médiation ?
Ces questions ont des résonances très larges qui dépassent le cadre du spectacle de magie et nous amènent à reconsidérer le modèle de la communication tel qu’il s’est déployé depuis Shannon et Weaver, et à en souligner et redéfinir les limites. Nous émettons donc l’hypothèse que ce spectacle d’un non-spectacle transcende les modalités habituelles de transparence et d’opacité – au point de les rendre caduques – et nous propulse hors de la dynamique communicationnelle dans ce que Alexander Galloway appelle l’excommunication.
L’analyse des spectacles vivants, mais cela s’applique aussi à d’autres pratiques médiatiques et artistiques, s’est principalement inscrite dans une logique communicationnelle, du « récit », « du message », de la logique du spectacle qui se doit de faire sens. Nous pensons dans ce deuxième cycle sortir de cette logique. Il s’agira alors d’étudier en quoi l’art magique rend accessible l’inaccessibilité – dans son inaccessibilité. La perspective heuristique globale s’en trouve inversée : la médiation ne serait plus une modalité de la logique communicationnelle, mais cette dernière serait une manifestation, parmi de nombreuses autres, de phénomènes de médiation. Située au croisement de l’intermédialité, de la théorie de la remédiation, de l’archéologie des médias et des théories de la communication, notre démarche dans ce deuxième cycle devrait donc, en plus de poursuivre le développement de l’histoire et de la théorie du spectacle de magie, enrichir notablement la pensée générale de la médiation qui devient centrale dans le champ des sciences humaines.
Si ces questionnements théoriques demeurent encore à l’écart de la recherche universitaire académique européenne, car l’objet d’étude – l’art magique – n’est pas toujours pas assez considéré, ; en Amérique du Nord ils commencent à intégrer les réflexions théoriques sur l’intermédialité et les phénomènes de médiation et même, la formation universitaire puisqu’en décembre 2017 une chaire consacrée au Study of conjuring arts a été créée à la Carleton University, grâce à une donation de 2 millions de dollars par la Slaight Family Foundation, à l’origine également du fonds de magie du Musée McCord de Montréal.
En France, le 30 octobre 2017, l’association Magie, Histoire, Collections est créée sous l’impulsion de magiciens, praticiens, collectionneurs, mais aussi universitaires dont François Bost, Professeur des Universités qui en assure la présidence.
Entre avril 2015 et mars 2018, les activités multiples du projet du Labex Arts-H2H/CRILCQ – « Les Arts trompeurs » – ont contribué à ce tournant grâce, également, aux nombreux partenariats, notamment avec la Maison de la Magie et ArteFake qui ont permis la rencontre constructive et pérenne avec le monde des magiciens, monde, comme on le sait, très réservé, voire anti-universitaire, et pour cause…
Réflexion théorique, archives, installations, expositions, créations
Le colloque Magie. Machines. Médias (Cerisy, 2016) a été une étape importante à la fois pour recentrer nos recherches collectives et pour fonder les bases d’un dialogue avec les magiciens et des artistes comme Michel Jaffrennou, présents tout le long de cette manifestation scientifique et artistique : huit jours de communications accompagnées de performances, spectacles de magie ainsi que d’une projection des films Méliès bonimentée par Anne-Marie Quevrain, accompagnée par une création musicale originale de Martin Laliberté et exécutée par les musiciens Geneviève Mathon, Sylvain Samson, Florent Di Barolo et Azadeh Nilchiani. Tous chercheurs, membres de notre projet.
A cette articulation théorie/pratique a contribué la recherche en archives notamment grâce au contrat IGR consacré au fonds Michel Jaffrennou, conservé à la Bibliothèque nationale de France, partenaire de notre projet. Le dépouillement du fonds et son analyse ont donné lieu à un chapitre de l’ouvrage Machines. Magie. Médias (Alain Carou et Sylwia Frach, PUS, 2018) et à une exposition qui aura lieu à la BnF à partir du 25 juin 2018, suivi d’un spectacle de Michel Jaffrennou (29 juin).
L’installation l’Éveil de Azadeh Nilchiani, membre des Arts trompeurs, présentée au colloque de Cerisy a été ensuite exposée lors des « Vitrines du Labex Arts-H2H » (5 et 6 octobre 2017 à ENS Louis-Lumière – Cité du cinéma). La réflexion sur la spatialisation du son que cette création propose est en articulation avec l’exploration du fonds d’archives IMEB que le contrat IGR a rendue possible.
Toutes nos activités ont favorisé la rencontre entre chercheurs, conservateurs, artistes, entre pratiques et théories, car chacune a donné une place au spectacle, voire à la performance improvisée par les magiciens et les artistes invités : du premier atelier Magie. Discours et pratiques de la magie (ENSLL, 14 avril 2015) où les pratiques ont fait l’objet de démonstrations en direct, au colloque Genèse et performativité de la médiation (Maison de la Magie de Blois, 28-29 novembre 2015) accompagné du spectacle Cloc, pièce pour deux magiciens et de performances « live » ; en passant par le colloque L’Outre-Humain qui a eu lieu à l’Université de Lausanne (novembre 2017) avec l’automatier François Junod dont la création de l’androïde Alexandre Pouchkine (2003-2010) est notoire, le spectacle des magiciens Blake Eduardo et Pierric, ou encore Les Mécanomates d’un amateur de Daniel Bilous, professeur des Universités, automatier et membre des AT, jusqu’au dernier colloque avec « Films à truc de Georges Méliès », présentés par Anne-Marie Quevrain et accompagnés au piano par Florent Garcimore, membres des AT et « passeurs » de la mémoire de Georges Méliès et de José Garcimore.
Tout particulièrement le colloque Magie numérique a vu la participation des magiciens français parmi les plus connus utilisant les nouvelles technologies. Le dialogue avec les artistes, les universitaires et les doctorants (bon nombre de l’Université Paris 8/INREV/ATI) a été très fructueux et s’est poursuivi hors colloque, en vue d’installations communes. Le colloque Truquer, crée et innover. Les effets spéciaux français a donné lieu à une rencontre entre chercheurs de l’histoire des techniques, superviseurs d’effets spéciaux (très nombreux) et magiciens (table ronde) : les uns et les autres ont pu constater les passerelles qui unissent ces trois mondes. Là également, au terme de la rencontre scientifique, professionnels et magiciens ont prévu des activités communes, à venir. Les partenaires – le CNC, la Fondation Pathé-Seydoux, la Cité des sciences et de l’industrie, MUCeM, etc. – ont d’une part permis de renforcer les relations des AT avec des acteurs importants des arts et de la culture, mais aussi d’ouvrir d’autres possibilités de collaboration : co-édition des livres, co-direction de colloques (Segundo de Chomon, Les effets spéciaux …), master class, commissariat d’expositions, etc.
Toutes ces mises en relation, ces échanges de savoir-faire, pourraient permettre de déboucher dans un futur – que nous espérons proche – sur un Atelier réunissant magiciens/artistes/universitaires. Cette formation pratique et théorique pourrait-elle trouver place parmi les propositions du projet de l’Université Paris Lumière ArTeC « Art, Technologies, numérique, médiations humaines & Créations »? Nous le souhaiterions, car l’offre modulable et interdisciplinaire d’enseignement théorique et pratique que ce projet comporte nous semble convenir parfaitement à un module « Magie et Créations » dans le cadre de la formation master. Par et avec les « anciennes » et les « nouvelles » technologies que les pratiques contemporaines de l’Art magique offrent (voir à la Comédie Française, Théâtre du Vieux-Colombier : Faust, adaptation, magie et mise en scène de Valentine Losseau et Raphaël Navarro, membres des AT), les étudiants pourront découvrir des nouveaux modèles de création et par là même des nouveaux métiers. Cette formation aurait une articulation avec les recherches en vue de la réalisation d’une cartographie des actuels spectacles de magiciens et d’illusionnistes, la réflexion théorique sur les phénomènes de médiation et l’exploration de fonds d’archives sur la magie.
L’équipe des Arts trompeurs de Montréal, Jean-Marc Larrue, Renée Bourassa, Joe Culpepper, a déposé une demande de subvention auprès du CRSH (Conseil de recherche en sciences humaines) qui porte l’intitulé : Du spectacle magique au numérique : espaces liminaires de l’authenticité ; l’équipe française souhaiterait que le deuxième cycle de notre projet soit soutenu par le Labex Arts-H2H qui en a permis l’existence ainsi que son évolution.
Après presque trois années de recherches, nous avons réalisé à la fois l’importance de la relation entre nos objets d’étude (cinéma, théâtre, musique, arts numériques) et l’art magique et la portée des recherches qui restent à effectuer, car la magie spectacle populaire par excellence, à l’affût de toute nouveauté technologique jouant un rôle de médiation avec le spectateur, n’est toujours pas considérée par la recherche universitaire. D’autres formes populaires, tel le cirque, d’autres techniques spectaculaires, tels les effets spéciaux, font depuis une dizaine d’années l’objet de recherches universitaires. La Magie – malgré une thèse de doctorat (Frédéric Tabet en 2011, depuis MCF à l’Université de Toulouse), d’autres en cours (Leslie Villiaume et Thibaut Rioult, membres des AT) – demeure toujours à l’écart. Pourtant, elle nous aide à mieux comprendre les phénomènes de communication, de médiation, d’évolution des techniques mises au service des pratiques théâtrales, du cinéma, des performances musicales, des arts numériques.
A visiter :
– le site des Arts Trompeurs.
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