Extrait de la revue L’Illusionniste, seconde année d’avril 1903 et du N° 90 de juin 1909.
Léon Herrmann, plutôt connu sous le titre de « Herrmann The Great » et dont nous publions aujourd’hui le portrait, n’est pas tout à fait un inconnu pour nous, bien que depuis six ans il ait quitté la France pour le Nouveau Monde.
Né à Paris, en 1867, il est le seul élève du célèbre Carl Herrmann, de Vienne, son oncle, avec lequel il a voyagé dès son enfance. Sorti du Collège Springer à dix ans, il a parcouru sous sa protection, les principales villes de notre globe, jusqu’à l’âge de vingt-et-un ans, époque à laquelle il a dû abandonner, pour une durée de trois ans, ses pérégrinations à travers le monde, afin d’accomplir, comme tout enfant de la France, son service militaire. Après quoi, il a entrepris de grandes tournées à l’étranger, avec un succès qui ne l’a jamais quitté. Disons entre parenthèse, qu’il a visité dans sa jeune carrière, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay, la République Argentine, le Pérou, le Chili, l’Equateur, le Guatemala, le Mexique, le Sénégal, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche-Hongrie, la Turquie, la Roumanie, et actuellement il est aux Etats-Unis d’Amérique d’où l’écho de ses succès nous est bien souvent parvenu.
Léon Herrmann n’est pas seulement un prestidigitateur de talent, il est aussi un parfait gentleman, à la tenue très distinguée. Il parle couramment anglais, allemand, espagnol et portugais. Travaillant sans relâche, il est toujours occupé à de nouvelles inventions et son spectacle, aujourd’hui, peut être classé comme étant le plus grand qui existe dans la magie. Il voyage avec une troupe de quinze personnes et trente-deux malles de tours ; avec, aussi, ses propres décors. Disons cependant que c’est dans les tours d’adresse qu’il excelle. Il est le créateur de beaucoup d’expériences, qui sont aujourd’hui très populaires : son fameux « Art of Palming » des billes de billard, lui a valu des ovations partout où il est passé, et est considéré comme étant le plus extraordinaire du genre.
De l’oeil et de l’adresse, voilà son « Moto », et nous pouvons assurer à nos collègues, que notre compatriote porte haut l’art français de la Prestidigitation, chez les Américains, qui l’ont, du reste, eux-mêmes surnommé Herrmann « The Great ». Dans son dernier engagement au Théâtre Crescent, à la Nouvelle-Orléans, le Consul français, M. Ombrazie, et toute la colonie française de la Louisiane, qui assistaient à la représentation d’adieux, lui ont offert une canne, avec poignée en or massif, portant une gracieuse dédicace. Ce soir-là, Herrmann avait fait décorer la loge aux couleurs françaises et fait exécuter par l’orchestre, la Marseillaise, attention de notre ami qui fut jugée des plus délicates.
(Document : Mike Caveney’s Egyptian Hall collection)
Léon Herrmann est maintenant en Californie, et les dernières nouvelles nous apprennent qu’il obtient un remarquable succès au California-Théâtre, à San-Francisco où il donne en ce moment ses représentations pour deux semaines. Il doit ensuite, avec sa compagnie, se diriger dans l’Oregon, et de là à Beattlès, où il doit s’embarquer pour l’Alaska, au Klondike. Léon Herrmann est le fils de Benjamin Herrmann, le frère du célèbre Carl Herrmann, de Vienne. Ses vieux parents habitent Paris, ainsi que plusieurs frères et soeurs. Disons pour finir, qu’il a l’intention de venir donner plusieurs représentations l’été prochain, à Paris, et nous nous réjouissons à l’avance du plaisir d’aller l’applaudir.
Lettre de Léon Herrmann du 21 juillet 1904 adressée à Caroly
Mon cher Caroly, je reçois toujours avec plaisir L’Illusioniste et je vous en remercie bien. Nous n’aurons pas le plaisir de vernir cet été à Paris, car nous sommes en représentations au Manhattan-Beach-Théâtre pour toute la saison d’été, où nous jouons tous les jours jusqu’au 1er septembre. Après cette époque, nous repartons en tournée pour commencer notre saison 1904-1905 dans tous les Etats-Unis, pour une durée de trente cinq semaines ; nous ouvrons notre saison à Washington, le 5 septembre, et irons, comme les années précédentes jusqu’à San Francisco. Nous visiterons également le Mexique et la Havane.
Manhattan-Beach est Ie Trouville des Etats-Unis, c’est une des plages les plus recherchée et fréquentée par les grands millionnaires américains ; bien qu’étant seulement à une heure de New-York, on y jouit d’une toute autre température que dans la Grande City, car il fait très chaud à New-York. Nous prenons nos bains tous les jours et nous en ressentons tous les bienfaits. Après une tournée de dix mois, que nous venons de terminer, dans le Texas et le Colorado, nous avons besoin de repos, tout en joignant le plaisir au travail.
L’article de M. Raynaly m’a beaucoup intéressé en ce qui concerne les Livres de Magie et les Amateurs. Dans mes nombreux voyages, j’ai relevé une statistique de plus de dix mille amateurs-magiciens aux Etats-Unis d’Amérique. Je suis criblé de demandes d’autographes et portraits dans toutes les grandes villes, c’est assez dire combien le professionnel est apprécié. Il existe plus de cinquante différents ouvrages américains traitant de magie, spiritisme, etc. Lors de notre dernier engagement à Washington, il y a dix semaines, nous avons eu l’honneur de posséder dans l’audience, au Columbia-Théâtre, le Président Roosewelt et sa famille, ainsi que plusieurs légations étrangères. Mlle Alice Roosewelt est très amateur de prestidigitation et exécute même très bien quelques tours de cartes. Elle possède une bibliothèque assez complète de notre art.
Nécrologie
Le 19 mai dernier, nous avons eu la douleur d’accompagner à sa dernière demeure, au cimetière de Pantin, notre cher ami et confrère Léon Herrmann, décédé le 17 mai, à l’âge de 42 ans, après une carrière brillante, quoique trop courte, entièrement consacrée à la magie. C’est vers sa dix-huitième année que Léon Herrmann débuta, comme la plupart d’entre nous, dans les cafés de Paris, et, durant la saison d’été, dans les casinos des bains de mer et villes d’eaux. Puis vint la conscription ; après trois années passées sous la capote bleue du fantassin, il fut appelé en Amérique par sa tante Adélaïde dont le mari, Alexander Herrmann, venait de mourir après avoir imposé son nom a l’admiration du peuple yankee, Léon sut porter allègrement cette lourde succession, il sut faire applaudir les trucs que lui avait légués son oncle en les présentant avec le chic et le bon goût d’un artiste parisien; son élégance en scène était d’ailleurs proverbiale.
Le contrat avec sa tante étant terminé, il en signa un autre avec l’imprésario Turner, lequel fut également des plus fructueux. Rentré en Europe l’année dernière, Herrmann commença une grande tournée, dont la première étape fut Moscou. Il obtint là son succès habituel, mais la rigueur du climat ayant altéré sa santé, il fut obligé de rentrer en France. Ce qu’il croyait n’être qu’un gros rhume était malheureusement le germe de la maladie qui vient de l’arracher à l’affection des siens. Avec lui s’éteint la dynastie des prestidigitateurs du nom d’Herrmann, si connu et si glorieux dans les annales de la magie. Notre corporation perd en lui un artiste remarquable qui s’était placé dès l’abord dans les premiers rangs, et de qui nous pouvions encore attendre de grandes et belles choses.
Jean Caroly
Note de Didier Morax :
Léon remplaça Alexandre à la mort de ce dernier. Il travailla avec sa tante Adélaïde. Les Herrmann avaient encore de la famille à Paris il y a quelques années. Quelques mois m’ont manqué pour les retrouver quand Christian Fechner m’a désigné cette éminente cible qu’est la dynastie Herrmann. Dans ma tête restera gravé à jamais l’immensité de la réussite d’un magicien, quand je revois cette image (que je n’ai pas pu conservée) d’un magicien se déplaçant avec un cabriolet tiré par un équipage de trois chevaux en ligne. Quand je suis arrivé ils nous avaient quitter… Une valise remplie de documents a disparu avec eux. Collectionneurs soyez vigilants !
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