Lee Grabel est né à Portland en 1919. La magie entre dans sa vie, à l’âge de huit ans, lorsqu’il assiste à un numéro du Professeur Turtle, un artiste prestidigitateur et fantaisiste. Ce jour reste gravé à jamais dans sa mémoire, ainsi que les effets qu’il a vu et qu’il décrit précisément : À l’aide d’un éventail oriental, Turtle produit une tempête de neige (composée de confettis blancs) de sa main vide. Soudain, parmi les confettis, une colombe blanche, comme la neige, fait son apparition. L’oiseau fait alors le tour de la scène et vient se percher sur l’index du magicien. Ce dernier la place ensuite dans une cage. Une « neige de papier » flotte dans les airs et Turtle en attrape une poignée pour en faire une boule en papier qui, une fois rebondie sur l’éventail, se transforme en œuf. L’œuf (un vrai) est ensuite cassé dans un verre. Le magicien prend une feuille de papier journal, l’a plie en deux et verse l’œuf cassé dedans. En regardant le public avec un sourire, Turtle ouvre le papier et tout disparaît.
À douze ans, le jeune Grabel organise ses premiers spectacles de magie en amateur pour des enfants plus âgés que lui. À l’âge de quinze ans, il quitte Portland pour San Francisco et commence dans le métier comme professionnel au pire moment, à la fin des années 1920, lors de la Grande Dépression. Tout le monde a un besoin pressant d’argent et Lee Grabel ne fait pas exception à la règle. Ce besoin le motive à persévérer dans la magie. Pendant ces années, Lee Grabel travaille cinq fois par semaine pour 25 $ (5 $ par jour) . C’est un bon salaire pour cette époque puisque son père travaille dix heures par jour, six jours par semaine pour seulement 18 $. L’argent qu’il gagne laisse au jeune homme l’impression profonde que la magie est le bon chemin vers la « richesse ». En 1931, Lee Grabel présente son premier programme d’une heure, parrainé par The Boy Scouts of America. En 1936, il remporte le prix de manipulation décerné par la Pacific Coast Association of Magicians à la convention de Seattle et sa réputation grandit rapidement.
En 1940, Grabel est engagé comme magicien-conférencier par l’Université de Californie. Il montre aux étudiants des aspects de la psychologie de l’illusion. Ses apparitions sur le campus de Berkeley le conduise à une première tournée avec son « spectacle » dans d’autres universités. Au cours de cette période, il intervient également comme « attraction » à la foire internationale de San Francisco. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Grabel est mobilisé dans l’armée américaine en 1942. Ses talents de magicien lui servent pour divertir de nombreux soldats dans les bases militaires. Lors de l’une de ses représentations, à Palm Springs, il rencontre une bibliothécaire nommée Helene Foster qui va devenir sa femme en 1944, puis sa future partenaire sur scène.
En 1944, Gabrel est envoyé dans le Pacifique Sud et rencontre, en Nouvelle-Guinée, Arnold Furst, un compatriote magicien. Les deux hommes commencent alors une longue histoire d’amitié qui aboutit des années plus tard à la publication de l’ouvrage, The magic and illusions of Lee Grabel (1986). Arnold Furst raconte avoir travaillé avec le célèbre producteur et cinéaste Elia Kazan pour un programme visant à améliorer les spectacles des soldats. Kazan confirme, des années après, avoir découvert et travaillé avec l’un des plus grands magiciens qu’il ait jamais vu du nom de… Lee Grabel. Après les années de guerre, en 1946, Grabel commence à réfléchir sur un spectacle créé pour les institutions théâtrales de son pays. Avec sa femme Helene et une équipe de sept personnes, ils parcourent toute l’Amérique centrale avec un spectacle de grandes illusions appelé Broadway Magical Mystery Extravaganza joué neuf mois par an. C’est le dernier spectacle itinérant de ce genre aux Etats-Unis. En 1952, Lee Grabel et sa femme Helene ont une fille (Cindy). Elle les suit sur les routes d’Amérique pour les dernières représentations du couple jusqu’à l’âge de six ans.
Après la retraite de Harry Blackstone, Grabel est reconnu comme le magicien n°1 des États-Unis. Avec son grand spectacle, il obtient un succès artistique et financier. Variety Magazine le décrit comme l’une des personnalités les plus remarquables du théâtre et un maître illusionniste. En 1954, Grabel est choisi par le grand illusionniste Dante pour lui succéder1. En 1958, Grabel reçoit une médaille d’or de ses pairs magiciens et arrête ses tournées avec sa famille.
En 1959, au plus fort de sa popularité, Grabel annonce, contre toute attente, sa retraite soudaine à l’âge de quarante-deux ans. Il veut se consacrer à une vie tranquille dans son ranch d’Alamo en Californie avec sa femme Helene et leur fille Cindy. Mais Grabel doit retrouver un travail pour nourrir sa famille. C’est alors qu’un voisin lui propose de devenir courtier en immobilier. Quelques mois plus tard, il dispose d’un permis de courtage et d’un bureau sur le boulevard Danville à Alamo. Il ouvre son agence Lee Grabel Realty qui devient vite rentable pendant vingt ans. L’agence est connue pour ses pratiques commerciales équitables et éthiques. La « vie tranquille » de Grabel prend alors rapidement de l’ampleur avec une deuxième carrière dans ses activités commerciales centrées sur la région de San Francisco. Pendant cette période, Lee et Helene ont un deuxième enfant en 1963, une fille nommée Kate.
En 1977, Grabel, change de costume pour revenir sur le devant de la scène magique. Les illusions qui ont fait sa renommée sont remises en état de marche lors d’une ultime tournée d’adieu, qui dure une vingtaine de semaines dans les villes du Far West, dans le nord-ouest du Pacifique, en Idaho et en Californie. À la recherche d’un successeur légitime depuis des années pour perpétuer la Royal Dynasty, Grabel nomme Lance Burton en 1994, près de trente-quatre ans après s’être retiré de la profession.
Son répertoire
Lee Grabel possède un répertoire classique de magie de salon exécutant des manipulations et tours de cartes (One-hand card production, Card discovery, Telepathic card mystery, Four ace routine, Two Grabel Mysteries), des routines de pièces (dont La chasse aux pièces), Le mouchoir dansant, Le journal déchiré, Les foulards du 20ème siècle, Le ruban brûlé et restauré, La disparition de la cage à oiseau « à la Die Box », La boule flottante, des apparitions de tourterelles, Le sifflet spirite… Lee Grabel est également connu pour sa routine d’apparitions de pipes (Pipe production act) et son numéro des horloges (Clocks), où il fait apparaître une multitude de réveils de plus en plus gros. C’est ensuite au tour de cadrans d’horloge, puis d’une montre géante (sans bracelet) de remplir la scène accompagnés de sonneries incessantes.
C’est sur scène que Lee Grabel aime travailler avec une armada de grandes illusions comme l’Asrah Levitation, Backstage, Black and white, Double chest girl production, Creating a woman by chemistry, Tintype, Teeter-Totter, TV set to life, Circular production cabinet, Disappearance. Ses illusions les plus emblématiques sont le Floating Piano2, le Human Cannon Ball 3 et le Vanishing Horse qui voyait un cheval disparaitre sous le nez des spectateurs venus sur scène entourer l’animal.
Notes :
1 The Royal Dynasty of Magic est une tradition dans laquelle un grand magicien en retraite choisit un jeune magicien pour perpétuer son héritage. La dynastie commence en 1896 avec la mort prématurée d’Alexander Herrmann. Harry Kellar remplace alors Herrmann et est considéré comme le premier de la Dynasty. Lorsque Kellar prend sa retraite en 1908, il nomme officiellement le jeune Howard Thurston pour lui succéder. Howard Thurston, considéré comme le plus grand magicien de son époque, connaît un succès retentissant et joue dans les meilleurs théâtres des États-Unis avec son spectacle Wonder Show of the Universe, mais sa carrière décline lorsque les théâtres commencent à se transformer en salle de cinéma. Dans les années 1930, Thurston nomme Dante (Harry Jansen) comme son successeur avant sa mort en 1936. Dante joue beaucoup à l’étranger et effectue plusieurs tournées mondiales. À l’approche de la retraite, il s’installe à San Bernandino, en Californie, et cherche un successeur. Il assiste alors au spectacle de Lee Grabel en 1954 et les deux hommes se mettent d’accord pour une future passation. Dante veut que Lee Grabel fasse une tournée en Europe et change son nom pour Danton (une combinaison de Dante et Thurston). Mais Dante meurt en 1955 sans faire d’annonce publique. Ce n’est que lors de la publication du livre The magic and illusions of Lee Grabel que Grabel annonce qu’il a été choisi par Dante. Au début des années 1990, Grabel commence à rechercher de nouveaux illusionnistes pour lui succéder sous la dynastie. Le 12 mai 1994, il choisit Lance Burton, la vedette de Las Vegas. Lors d’une cérémonie sous le patronage des quatre autres illusionnistes de la Dynasty, il place un manteau sur les épaules de Burton pour symboliser le passage comme l’avait fait Kellar pour Thurston.
2 Dans ce numéro saisissant, un piano se met à flotter dans les airs avec sa pianiste, tournant en cercle et à travers un grand cerceau. L’effet du piano volant est mentionné dans la revue Imagik n°27 de 2000. Cette idée date de la fin du XIXe siècle avec l’apparition des lévitations spirites. Les grands magiciens américains ont repris à leur compte cet effet de manière détournée comme Howard Thurston avec The phantom piano (1911), Horace Goldin avec La jeune fille et le piano volatilisés ; ou de manière directe comme Lee Grabel ou le trio Leroy, Talma et Bosco avec Floating Piano. En France, le piano volant est popularisé par Yogano (Pierre Moré), Dominique Webb puis Dani Lary.
3 Dans cette illusion La femme de Lee Grabel est propulsée d’un canon pour réapparaitre dans une boîte suspendue en haut du public. Ce tour est inspiré par le numéro de cirque de Zazel, la première jeune fille (de quatorze ans) propulsée dans les airs par un canon en 1877 au Royal Aquarium de Londres. Un canon inventé pour l’occasion par le canadien William Leonard Hunt connu sous le nom de « The Great Farini ».
Le tour d’origine est Invisible Flight (l’illusion du canon). Après que l’assistante disparait du canon, la boîte est descendue sur la scène et ouverte. Une autre boîte est retirée de la première et est également ouverte, révélant l’assistante à l’intérieur (une variation du Substitution Trunk). Cet effet est présenté pour la première fois par Horace Goldin et Gustave Fasola au début du XXème siècle. Arnold De Bière, Howard Thurston et Alois Kassner le reprendront à leur compte par la suite.
Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°223 (mai-juin 2020). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : The Lee Grabel Collection / Collection S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.