L’architecte et théoricien humaniste Andrea Palladio (1508-1580) est l’une des figures majeures de la Renaissance italienne. Palladio est imprégné de l’œuvre de Vitruve qu’il étudie en profondeur. Il se rend plusieurs fois à Rome en 1545, 1547 et 1549 pour perfectionner ses relevés qu’il précise et confronte avec les écrits du maître. Palladio fait aussi référence à de nombreux auteurs latins tels que Pline, Jules César, Alberti et Vasari. Andrea Palladio est un pourfendeur de l’art antique et gothique, et se soucie en permanence de la proportion et de la symétrie telle qu’elle se trouve dans la nature.
La production architecturale de Palladio se concentre essentiellement en Vénétie. On retrouve les villas palladiennes dispersées autour de Vicence dont la très célèbre Villa Rotonda (1566-1870). Dans ses constructions, Palladio réutilise des éléments de l’architecture antique qui donnent à ses œuvres une sensation de grâce et d’équilibre. Il choisit de recourir à la maçonnerie en briques revêtues de stuc. Selon lui, la pierre ne devait être utilisée que pour les détails.
A Vicence, sa ville d’adoption, est conservé le grand palais municipal dit Basilique palladienne, la loggia del Capitanio et le célèbre théâtre Olympique. À partir de 1550, la renommée de Palladio s’étend à Venise où il dirige, entre autre, en 1566 la construction de la basilique San Giorgio Maggiore.
Palladio est l’auteur d’un traité d’architecture Les Quatre Livres de l’architecture (I Quattro Libri dell’Architectura) qui est à la fois l’expression de la pensée théorique et la présentation des œuvres réalisées ou projetées de l’architecte.
Le Théâtre Olympique
Le Théâtre Olympique de Vicence, inauguré en 1585, est considéré comme le premier grand théâtre construit depuis l’antiquité et est un des premiers théâtres couvert de l’époque moderne. C’est également le dernier chef d’œuvre de Palladio, classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette construction unique est la synthèse de ses longues études sur le théâtre classique gréco-romain. Une œuvre d’art unique entièrement construite en trompe l’œil suivant les principes de la perspective et du tout nouveau courant artistique baroque.
La conception du théâtre est un projet collectif, élaboré par la société humaniste de l’Académie olympique de Vicence à des fins culturelles et scientifiques, parmi lesquelles la promotion de l’activité théâtrale. Ce théâtre présente et représente la splendeur d’une assemblée de patriciens vicentins férus d’antiquité, qui se met elle-même en scène dans sa soif d’une gloire éternelle. Un théâtre du souvenir, en somme.
l’Odéon, théâtre antique d’Athènes.
Palladio voulait que son monument ressemble aux théâtres en plein air de l’Antiquité gréco-latine, comme les arènes de Vérone. Pour tracer son plan, Palladio s’appuie sur les proportions fournies par Vitruve, en ordonnant le plan à partir d’un cercle périphérique structuré en douze intervalles égaux. Ce qui intéresse Palladio, c’est avant tout le lien entre les gradins et l’avant-scène, la cavea et le proscenium.
La cavea, avec sa forme en demi-ellipse permet un net élargissement de la surface de jeu. Elle place tous les spectateurs à proximité de la scène et crée un point de vue collectif quelque soit la place occupée. Palladio introduit des éléments en trompe l’œil avec les gradins de l’hémicycle qui semblent en marbre mais sont en réalité en bois. De même, le plafond, sensé ne pas exister disparaît derrière une peinture représentant le ciel.
La cavea du théâtre.
L’élément essentiel de la salle est la monumentale frons scenae (le mur de scène) qui rappelle l’architecture des arcs de triomphe antiques que Palladio avait scrupuleusement étudiée. A travers la porte centrale de la scène, la porta regalis, et les portes latérales, visibles sur le côté, partent des rues peintes en perspective sur des périactes. Le système des périactes, prismes triangulaires pivotant sur un axe vertical, permettent de transformer les perspectives de la scène et de modifier les lieux de l’action malgré le caractère immuable du mur monumental. La frons scenae était donc censée servir de cadre à la représentation de pièces différentes dont la spécificité aurait résidé uniquement dans les ouvertures des portes.
La frons scenae du théâtre.
Les travaux du théâtre débutèrent en 1580, l’année même de la mort de Palladio, mais ils ont été repris sous la direction de son fils Sila et ils se sont terminés en 1584, comprenant la cavea, la loggia et le proscenium. La réalisation de la scène en perspective fut confiée au disciple de Palladio, Vincenzo Scamozzi.
Dès la Renaissance, la scène s’ouvre à un vaste champ d’expérimentation, par la mise en pratique des théories architecturales et d’urbanismes. La conception scénique est déterminée par les principes aristotéliciens sur l’unité de temps et de lieu. Cette manière d’envisager la scène est appliquée en 1508 par Pellegrino da Udine, qui imagina pour la comédie de l’Arioste, un décor construit en perspective qui se composait de plusieurs parties en relief inamovibles décorées de stuc. Pour créer un rétrécissement optique de la perspective grâce à de savants calculs, ces éléments s’étageaient les uns derrière les autres.
Théâtre de Dionysos à Athènes.
Les premières sources iconographiques de projets fondés sur le procédé d’agrandissement de l’espace scénique remontent à Baldassare Peruzzi, créateur de décors et ordonnateur de fêtes entre 1515 et 1527. Le décor construit autour d’un axe et vers un point de fuite correspond au souhait d’ancrer l’espace dans un ordre bien particulier voulu par l’artiste. Ce fut une préoccupation constante de la peinture et de l’architecture de la Renaissance. L’idée de Peruzzi, d’une scénographie associant décor réel et décor figuré, influença par la suite Sebastiano Serlio. S’inspirant de l’architecte romain Vitruve, Serlio distingue trois genres de scènes qui correspondent à ceux de la littérature théâtrale antique : la scena tragica ; la scena comica et la scena satirica. Ce sont toujours des vues de rues avec un arrière-plan en partie praticable. Ainsi, Serlio fut le premier à ouvrir complètement l’espace de la perspective centrale en ajoutant à la scène réelle, une architecture en trompe-l’œil ainsi qu’une scène peinte.
Coupe du théâtre Olympique.
La scène du théâtre Olympique dessinée par Scamozzi sur les consignes d’Angelo Ingegneri représente la ville grecque de Thèbes, lieu où se déroule la tragédie d’Oedipe. La perspective des sept rues, réalisées en bois peint, conduisant aux légendaires portes de Thèbes est d’une justesse étonnante. Sur le modèle de la scène semi-praticable conçue par Peruzzi et Serlio, Scamozzi dessine des couloirs sur un sol ascendant, avec des rangées de maisons sur chaque côté qui conduisent le regard vers l’arrière plan. L’angle choisi est très fermé, ce qui donne l’illusion d’une grande profondeur. Les portes de la frons scenae sont élargies pour intensifier l’illusion d’espace.
Le décor des rues de Thèbes en fausse perspective.
Le théâtre Olympique de Vicence fut inauguré le 3 mars 1585 avec la présentation d’Œdipe roi de Sophocle. Une pièce mise en valeur par un système d’illumination artificielle de lampes à huiles créé par Scamozzi, pour éviter le risque d’incendie. Un théâtre construit pour une seule représentation. Le « théâtre » d’une tragédie grecque. Echappant ainsi à toute tentative de mise en scène, ce lieu joue par lui-même depuis plus de quatre siècles.
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