Suite à la lecture de l’exposé historique de Frédéric TABET (janvier 2017).
Préliminaire
L’étude historique de Frédéric nous rappelle avec plaisir les rencontres si sympathiques que nous avions eues dès 2008, alors qu’il préparait sa thèse et que nous avions partagé toutes sortes de notions et réflexions historiques autour des innovations artistiques qui ont marqué la fin du XIX° et le début du XX° siècle. Innovations artistiques, ou plus précisément innovations techniques ayant pu conduire à des innovations artistiques, notamment à propos de la magie et du cinématographe pour ne citer que ces deux domaines.
L’article, ou plutôt cette étude très documentée couvre un large champ culturel. Frédéric illustre combien les inventions et innovations sont très souvent un long processus. Cela est valable en de multiples domaines. Et il n’est pas rare que des inventions soient le fait (presque) simultané de plusieurs créateurs, lorsqu’une situation technique ou artistique est « mûre ».
Annotations
En ce qui concerne notre domaine précis du Théâtre Noir magique (ou Black Art), permets-nous, cher Frédéric, quelques annotations :
– La famille allemande Berscheid est le berceau d’une tradition de Théâtre Noir magique qui est en effet toujours vivace aujourd’hui. Omar Pasha est un numéro créé par Willy Berscheid en 1960, à l’instigation d’André Sanlaville qui voulait le garder dans de nouvelles tournées du spectacle Festival Mondial de la Magie, après le succès du numéro Sambalo.
André Sanlaville devant une affiche de son “Festival Mondial de la Magie”, lequel a fait pendant plusieurs années les beaux jours des étés de l’Olympia à Paris – photo années 1970.
Willy Berscheid dans le costume du numéro “Sambalo” – Nous n’avons pas de date précise pour cette photo. Nous l’estimons des années 1950. Comment Willy va t’il pouvoir reprendre son chapeau ?
C’est le père de Willy Berscheid qui « réinventa » le Théâtre Noir en 1895. Il présenta internationalement divers spectacles et numéro(s) jusqu’à son décès en 1920. C’est alors que son fils Willy, à 17 ans, repris le flambeau, jusqu’à son propre décès en 1975. C’est à leur suite que nous avons la fierté – et la responsabilité – de maintenir cette tradition en troisième et quatrième génération, alors que, par ailleurs, nous-mêmes sommes spécialisés en Théâtre Noir depuis 1958.
– « Le Théâtre Noir se développe sous l’impulsion d’une nouvelle technologie – l’éclairage électrique et son émergence peut être considérée comme une réponse à l’électrification des théâtres qui gagne les salles. Le Théâtre Noir s’affirme après la mise en place de cette technique », écrit Frédéric. Il est intéressant de noter que des bougies avec réflecteurs ont été utilisées pour le Théâtre Noir avant que des dispositifs électriques soient disponibles ou du moins largement utilisés. (De plus, on peut ajouter que l’usage de bougies et réflecteurs est beaucoup plus anciens que la notion même de Théâtre Noir, notamment dans la mise en scène de fééries.)
– Au-delà de dispositifs électriques de base, les UltrasViolets (UV) peuvent être ajoutés en complément, mais ne sont pas constitutifs du Théâtre Noir. Ainsi, au fil des années et selon les besoins, nous avons utilisé ou non des éclairages UV. C’est d’ailleurs pourquoi l’expression « numéro de lumière noire » est fausse, bien que trop souvent utilisée, particulièrement en France.
– « Le Théâtre Noir (… peut) aussi bien être rangé du côté des arts de la marionnette (…) » écrit Frédéric. Il est intéressant de voir comment les marionnettistes ont croisé le Théâtre Noir, qui a été d’abord utilisé, sinon créé, en magie ou pour réaliser des effets magiques au théâtre. Dans les années de l’après seconde guerre mondiale, Georges Lafaye, marionnettiste français, eu l’idée, en utilisant la technique du Théâtre Noir, de casser l’image du « castelet », le cadre bien plus étroit du théâtre de marionnettes, celui du Guignol par exemple. Ainsi, Lafaye a pu utiliser tout l’espace scénique pour des créations que l’on appellerait aujourd’hui « théâtre d’objets ». Sa plus célèbre création fut John et Macha, ou l’idylle d’un chapeau haut de forme et d’un boa de plumes. (On pourrait d’ailleurs penser que cela inspira Philippe Genty pour une part de son ancien numéro de marionnettes des oiseaux.)
Compagnie Georges Lafaye – John and Marsha. Il faut voir l’enregistrement du numéro ! L’animation des objets est d’une telle finesse qu’on ne peut qu’être captivé par la rencontre des deux protagonistes !
(document : marionetarium.com).
À la même époque et d’une façon différente, les créations des « Mains Joly » ont aussi utilisé la technique du Théâtre Noir. Georges Lafaye inspira le Théâtre Spejbl et Hurvinek de Prague dont les idées furent ensuite développées par Jiri Srnec, lequel donna naissance au Théâtre Noir de Prague, 1960. (cf. Marionnettes du Monde entier – page 13 – Jan Malik – 1967 – Éditions Leipzig)
En guise de prolongement à l’étude de Frédéric Tabet
Au terme d’une conférence magique, d’une étude comme celle de Frédéric, de la lecture d’un ouvrage de magie ou encore après un spectacle ou un numéro donné par un magicien, nombreux sont ceux qui brûlent d’envie de tâter de tel ou tel domaine de l’illusion.
Frédéric traite essentiellement de l’histoire du Théâtre Noir et naturellement quelques aspects de la technique sont illustrés.
Le principe même du Théâtre Noir est d’une grande simplicité. Pourtant, nombre d’erreurs magiques basiques apparaissent trop souvent. On en voit même dans les illustrations de Séquence de la Danse macabre dans le film la Règle du jeu de Jean Renoir (1939). Et c’est souvent que nous en avons vu dans certains numéros de scène.
La simplicité du trucage de base peut induire en erreur nombre de candidats à l’exercice du Théâtre Noir. Nombre d’entre eux nous ont demandé sur Internet : quels éclairages faut-il utiliser ? Et diverses autres questions simples. Il n’y a pas de réponse simple et unique. Selon le but recherché, selon le sujet envisagé, il y a diverses réponses.
Quels éléments noirs utiliser ? Même réponse. Même l’environnement de tel ou tel spectacle ou lieu peut demander des réponses adaptées. Par ailleurs, et selon l’expression de Michelle Ostrowsky : « une chose est de savoir ce qu’il faut faire. Une toute autre est de savoir (et appliquer !) ce qu’il ne faut pas faire. »
Un superbe exemple de questions que nous avons reçues est la demande par e-mail d’un Américain : « Comment faut-il éclairer le Black Art ? Je veux en faire parce que c’est si facile, cela demande un si petit investissement financier et on peut gagner tellement d’argent avec. » Certains se font des illusions avant d’être illusionnistes … Même lorsque l’idée de départ paraît simple, il est bon de se souvenir que « l’art est difficile ».
Comme nous ne cessons de l’affirmer, notre conception est :
– posséder la technique, impérativement, sans failles, absolument, se surveiller toujours, bref travailler et travailler;
– et puis en assurant la technique, la dépasser, raconter quelque chose, faire en sorte d’aller au-delà de la prouesse pour la prouesse, au-delà du seul effet magique. C’est du moins notre façon de penser et de faire. Que le public puisse ressentir une certaine émotion, c’est notre vœu. Les amis et collègues (du monde entier et quelle que soit leur spécialité magique) qui réussissent cela sont nos artistes magiciens préférés. Et nous sommes comblés lorsque des spectateurs (d’où que ce soit à travers les continents) viennent nous le dire.
A lire :
– L’interview d’Omar Pasha.
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