Nature, architecture et lévitation
C’est dans le cadre du Collège des Bernardins1 que l’artiste conceptuel Laurent Grasso prends ses quartiers pour sa nouvelle exposition sensorielle Anima. La grande nef gothique et l’ancienne sacristie sont les espaces de prédilection à l’installation multimédia (peintures, sculptures et film) de l’artiste.
Nous découvrons tout d’abord une série de huit peintures à l’huile, accroché aux piliers de la nef, qui joue sur la perspective du lieu, dans et hors la toile. Dans ces Studies into the past (2009-2022), un jeu de perspective est en marche comme une mise en abyme, renforcé par les lignes obliques des pavements et les voûtes en croisée d’ogives, qui se retrouvent aussi bien dans le tableau que dans le lieu de leur exposition. Inspirés des maîtres de la Renaissance, ces intérieurs d’églises convoquent le passé, le futur et le présent dans un va-et-vient temporel troublant. Au milieu de la toile, des phénomènes climatiques surgissent avec ces nuages en suspension, ou des phénomènes surnaturels avec ces flammes en forme de gouttes suspendues. La vision est ainsi troublée par ces rencontres inopinées qui rompent la perspective en obstruant l’espace.
Sur les piliers sont visibles des platines noires supportant des petits rochers sculptés, incrustés d’ampoules Led. Sur les bas-côtés se trouvent des sculptures de néons, ou en bronze, en forme d’arbre avec des yeux à la place des feuilles. Tous ces éléments entrent en résonance avec le film Anima qui va suivre…
Au bout de la perspective de la nef, un enfant portant un renard est le gardien d’un nouvel espace immersif d’où jaillissent des images par l’embouchure d’une porte, comme l’entrée d’un espace-temps différent. Avec ses majestueux piliers, l’ancienne sacristie est le théâtre de la projection du film Anima, tourné au mont Saint-Odile en Alsace, un haut lieu de pèlerinage depuis la fin du XIXe siècle. Nous sommes plongés au cœur d’une forêt où se croisent des hommes, des animaux, des pratiques, des gestes, des outils et des phénomènes surnaturels. Cette plongé, sans paroles, accompagnée de la musique de Warren Ellis est un trip organique où les nuages flottent, les pierres lévitent et les flammes percent l’espace de leur lumière vacillante.
Anima génère des objets de différente nature et anamorphose les perspectives avec ses incroyables renversements d’espaces modélisés où la topographie des lieux est inversée comme pour révéler un autre monde en négatif ; une deuxième couche de réalité où la mémoire, l’esprit et l’énergie des lieux se conjuguent dans certaines forces telluriques et mystiques. Ces forces qui sont captées et enfermées dans des espaces clos, comme pour conserver et étudier les mécanismes mis en œuvre d’un monde onirique fait de superstitions.
Note :
1 C’est un moine anglais, Étienne de Lexington, abbé de Clairvaux, qui initie le projet du Collège Saint-Bernard, bientôt désigné comme Collège des Bernardins, qui va servir de lieu d’étude et de formation aux moines cisterciens. Quelques années après la création de l’Université de Paris, la construction commence en 1248 sur un terrain marécageux en bord de Seine, et sur le modèle architectural des abbayes cisterciennes. Pendant plus de quatre siècles, ce lieu de savoir accueillit des jeunes moines et des professeurs venus de toute l’Europe, et contribua au rayonnement intellectuel de la ville et de l’Université de Paris, jusqu’à la Révolution.
En 2008, après une rénovation complète qui dura six ans menée par Hervé Baptiste, architecte en chef des monuments historiques pour la partie ancienne et Jean-Michel Wilmotte pour les espaces contemporains, le Collège des Bernardins renoue avec sa vocation initiale en devenant un lieu de recherche et de débat pour l’Église et la société, sur la question de l’homme et de son avenir.
– L’exposition Anima s’est tenue du 14 octobre 2022 au 18 février 2023 au Collège des Bernardins à Paris.
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