Le PAC (Pionneer Art Center) est un petit amphithéâtre de 200 places qu’on ne voit pas si on ne le cherche pas. Il est en sous-sol, au 100 Virginia Street qui est le Strip de Reno. Arrangez-vous pour arriver là en fin d’après midi car Reno n’est pas Las Vegas, et à part jouer, y’a pas grand-chose à voir et pas grand chose à faire. Cela dit, le show est un des plus délicieux spectacles de magie que l’on puisse voir actuellement : c’est un bonbon, « a sweet chocolate bar », comme aurait dit Sinatra.
Les protagonistes sont beaux, Jinger est une vraie danseuse et en plus elle a « this little special something » ce petit « supplément d’âme », qui fait qu’on ne regarde qu’elle tant qu’elle est là ! J’avais loué mes places par Internet et nous étions au premier rang au centre. Au départ le prix est de +/- 23 $, mais on y ajoute trois taxes : convenience tax, + ticket tax, + une Internet tax, plus une surtaxe sur la taxe, bref on se croirait en France ! En fait on paie 30 $ et ça les vaut largement. Quand on a payé l’avion, un hôtel à 100 $, le prix de la place est un peu « peanuts »1.
On descend dans une cave, et mis à part le théâtre, il y a deux petites salles remplies de matériel magique de collection et un grand bar dans lequel j’ai eu la surprise (et le plaisir) de rencontrer Jacques Simar, le canadien qui assure un pré show de close-up. Après une routine de billet, il termine par les gobelets dont il sortira en plus des grosses balles des bouteilles de bière plus hautes que les gobelets. Bien joué, monsieur Jacques.
Il y a encore trois autres personnes : une barmaid, un barman et somebody else ! Avant d’entrer dans le théâtre, on a droit à une illusion très originale avec deux mains recouvertes de gants qui sont rangées dans une armoire et s’animent pour faire deux petits tours de magie. On m’annoncerait un jour que l’idée est de Jim Steinmeyer que je n’en serais pas plus étonné que ça, car disons-le, la quasi-totalité du show porte la « touche Steinmeyer » et c’est tant mieux !
En 1995 Kalin & Jinger2 étaient à Vegas, au Harra’s avec un show beaucoup moins complet et moins bien mis en scène, qui comportait deux attractions : Human design et surtout Jeff Hobson, le gay magicien, grand monsieur du spectacle qui volait un peu la vedette car il apportait ce qui manquait terriblement dans le show : la comédie.
Depuis Kalin & Jinger ont composé avec l’aide de Joannie Spina, la chorégraphe du bon David Copperfield, un nouveau show qui dure depuis quatre ans et va se finir dans moins de six mois. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision de le décrire avant qu’il ne disparaisse, pour laisser une trace en Europe. Les illusions auxquelles nous allons assister sont quasiment faites en close-up ce qui est un concept assez nouveau pour moi. Les textes sont appris par chœur et récités mot pour mot, ce qui est la bonne façon de faire. Le choix des musiques est excellent et une séquence de comédie a été introduite dans le show. Donc, on passe une très bonne soirée, certes plus intimiste que lorsqu’on va voir Love au Mirage, mais tellement plus humaine !
Donc, calez-vous dans vos fauteuils car le spectacle commence.
Bo Staff Illusion
Ambiance bleue, orgue de barbarie en mi-teinte, Mark Kalin apparaît, souhaite la bienvenue. Il place un assistant dans une caisse posée sur une table. Du bout de sa canne il va compresser la caisse sur toute sa longueur si bien qu’en finale, elle a toujours la même hauteur, toujours la même largueur mais elle ne fait plus que 10 cm de longueur. Il va la reformer, on s’attend à voir ressortir le type et c’est finalement Jinger qui en sort. Présentation de Jinger Leigh. Tout baigne ! (Bo Staff Illusion de Roy Shank et Jim Steinmeyer)
La femme coupée en deux
Il va ensuite exécuter avec l’aide de deux spectateurs la femme sciée en deux d’Alan Wakeling. J’avais déjà vu faire celle de Selbit par Paul Daniels à Londres dans laquelle la partenaire est attachée à des lanières qui passent à travers la caisse et là j’ai découvert celle de Wakeling qui avait pour habitude de l’exécuter devant une glace afin que le public puisse voir qu’elle ne sortait pas par l’arrière. Ici, pas de miroir, mais une routine ou la scie est remplacée par des plaques et qui demande à Jinger une bonne rapidité d’exécution !
Le dé
Puis, en taps le dé de Lubdor Fiedler. Dans cette version, c’est l’emballage qui se trouve dès le début à l’intérieur du dé, puis va le contenir et se transformer en dé chinois.
Op Art
Et là, on arrive au plat de résistance, ce pourquoi j’avais fait le déplacement : Op Art de Steinmeyer. Même sur son site ; l’effet n’est pas très clairement expliqué et c’est peut-être d’ailleurs voulu.
En gros, imaginez une armoire pouvant contenir six cubes de 30×30 cm. Sauf qu’il n’y a pas de cubes. Jinger est assise et Mark vient placer devant l’appareil cinq carrées qui forment un puzzle et qu’on appellera « 12345 » pour les besoins de l’explication. La pièce 2 comporte un trou dans lequel la partenaire peut passer la main, comme dans la zig-zag et la pièce 4 un grand trou cerclé de matière caoutchouteuse, genre feuille anglaise, par lequel la partenaire peut passer la tête.
L’effet : Les cinq pièces du puzzle vont être retirées une par une et assemblées autour de la pièce 2 pour former un cube. Sur le sommet du cube on voit encore la tête de la partenaire, puis celle-ci va disparaître et il ne reste que le cube 2. Alors que le reste de l’armoire est vide. La pièce 1 est alors enlevée et glissée horizontalement sous la pièce 2 de façon à former la base du cube.
Puis la pièce 3 est plaquée de gauche à droite pour former le côté gauche du cube 2. La pièce 5 est retirée complètement et glissée à droite du cube 2 pour former sa partie droite et il ne reste que les parties 2 et 4. La partie 2 est alors basculée d’avant en arrière pour former le haut du cube et grâce au trou, la tête de la femme passe à travers. Ensuite la tête rentre dans le cube et il ne reste plus que celui-ci. Puis par un processus inverse Jinger va réapparaître. C’est la dernière illusion de Steinmeyer. Ca justifie le billet d’avion.
Chicago balls
Vient ensuite une des pièces de résistance de Mark : sa routine de billes Excelsiors (Chicago balls, Excelsior Ball Trick de August Roterberg, 1898). C’est la « séquence émotion » comme dirait Nicolas Hulot. Exécutée assis sur un tabouret de bar, on voit tout de suite que ça fait trente-sept ans ou plus qu’il la fait ! Les boules très grosses, les prises invisibles, la coquille tourne dans les doigts quand la main tourne, la musique est belle, les éclairages bien dosés. Bingo.
La première partie va se terminer sur une belle pole lévitation (de Jim Steinmeyer) avec deux flambeaux qui existait déjà dans le show de Vegas.
Pause en 20 mn, pour permettre au bar d’exister.
Armoire à cannes
Réouverture en Broadway style, avec la routine de cannes que faisait Lance Burton il y a 10 ans au Monte-Carlo. Pour ceux qui n’ont pas fait leurs devoirs de vacances rappelons que le thème est celui de Backstage dans lequel une personne entre dans une armoire percée d’une multitude de trous. Une table creuse se trouve à 33 cm de là et le public voit la personne passer de l’arrière de l’armoire dans la table. L’armoire est criblée de cannes, comme pour transpercer la personne. Mais le public n’est pas dupe : il sait qu’elle est vide. Coup de théâtre : les cannes se mettent à bouger seules, s’éjectent seules de l’armoire, le voile qui couvrait la table est arraché et la personne réapparaît dans l’armoire (The cane cabinet illusion).
Les boîtes
On arrive ensuite au numéro de comédie. Six boites en carton sont disposées sur une table très longue avec des numéros de 1 à 6. Mark emprunte un portefeuille et le place dans une boite. Il se met à mélanger les boites de plus en plus rapidement comme dans le bonneteauLes boites sont même cachées un instant par un panneau tandis que Jinger mélange aussi. Honnêtement plus personne ne sait où est le portefeuille. Une spectatrice non compère donne les numéros un par un et à chaque numéro appelé, la boite est passée dans un destructeur de branches, sorte de hachoir très puissant. Et évidemment, le portefeuille est retrouvé sans équivoque aucune dans la boite qui reste. C’est rigolo et ça apporte la touche de comédie du show.
Himberg ring
Vient ensuite une routine d’Himber ring3 dans laquelle les bagues empruntées sont placées dans un verre à Margarita posé sur une table basse, puis prises avec un crayon et montrées enclavées. Ce n’est pas la routine de Nick Levin qui reste pour moi le chef d’œuvre du genre, mais ça passe bien.
Fire spiker
Puis Jinger entre dans une caisse fixée sur une table. Comme la table est haute, il y a un escalier pour accéder, puis la caisse est transpercée de piques enflammées, les portes sont ouvertes. Tout est vide. On referme et là surprise : Jinger réapparaît dans la salle, tandis qu’une autre fille sort de la caisse (Fire Spiker de Paul Osborne).
Table of terror
Vient alors The table of terror (la herse de piques qui tombe trop tôt, The Sub-spiker Death Drop Illusion) version André Cole. C’est bien vendu. Quand on connaît la routine on sait bien qu’il ne va pas mourir, mais ça fait un beau final.
En bis, nous aurons le fil Hindou4. Salut avec toute la troupe, puis merchandising et dédicace de façon très sympathique. C’est ce qui ressort de tout le show : la sympathie. Enfin des artistes qui viennent dire au public « je vous aime » au lieu de leur demander « aimez-moi ». Bref, je me suis régalé.
Notes :
1 En marge du spectacle, la mise en vente d’un programme couleur très bien fait qui paie tribut aux grands du siècle passé dont Robert-Houdin, Buatier de Kolta, J.N Maskelyne, Kellar, Selbit, Wakeling et les autres. Réalisé et mis en pages par Jim Steinmeyer, le programme comporte aussi dix tours anodins à faire à la maison avec des ficelles et des bouchons, mais qui restent un argument de vente pour le grand public.
2 Mark Kalin & Jinger Leigh sont un couple dans la vie et sur scène. Ils se rencontrent sur l’île de Guam en 1991 lorsque Mark Kalin se produit, en tant que magicien d’une revue, tous les soirs pour les touristes japonais. Jinger, elle, est une des danseuses du spectacle. Après six mois de représentation, Jinger décide de regarder le numéro de Mark pour la première fois et est subjuguée par la façon dont la magie se connecte avec le public. Elle se rend compte que cet art particulier est un outil différent de la danse ou du théâtre qui fait appel à plus de psychologie.
« Une partie de notre travail est l’illusion et la psychologie, mais toute performance concerne la connexion avec le public alliée à la surprise. La scène est notre laboratoire, et nous avons l’impression de redécouvrir la vraie magie tous les soirs. » Mark Kalin
Elle approche alors Mark et lui propose de retourner au Japon et de l’assister pour ses numéros. Ils ne tardent pas à se marier en 1993 et partent en tournées. Kalin & Jinger participent à de nombreuses émissions de télévision. Ils figurent dans la série Greatest Magic II produit par Gary Ouellet en 1995 à Las Vegas et dans Hidden Secrets of Magic sur NBC en 1996.
En 1997, ils montent leur propre société de production Entertainment Productions et mettent en place le spectacle Before Your Very Eyes, une revue magique jouée au Trump’s Marina à Atlantic City. En 1999, ils s’installent à Reno dans le Nevada et s’associent avec le magicien comique Jeff Hobson pour monter le show d’illusions Carnival of Wonders en référence au trio Le Roy, Talma et Bosco. En 1998, Kalin & Jinger interprétent la Table of Terror (une évasion du style Table of Death) dans l’émission spéciale The World’s Most Dangerous Magic et sont élus « Magiciens de l’année » par l’Academy of Magical Arts.
2001 marque un tournant important dans la carrière de Kalin & Jinger. Ils rachètent la société Supreme Entertainment et montent une nouvelle entité Majikal Productions, en s’entourant de la célèbre chorégraphe Joanie Spina et du concepteur d’illusions Jim Steinmeyer pour créer leur nouvelle création Illusionarium au Reno Hilton, à Reno.
Dans les années 2000, Kalin & Jinger se produisent régulièrement dans les casinos de leur ville Reno et dirigent pendant cinq ans le spectacle Magic Underground, une production locale qu’ils créent dans ce qui est maintenant l’espace Pioneer Underground au Pioneer Center.
En 2015, Mark Kalin devient le directeur artistique du show The Illusionists 1903 : Turn of the Century (troisième spectacle d’une production internationale créée en 2012 par Simon Painter), un plateau de neuf magiciens célèbres qui tourne dans le monde entier. Kalin & Jinger jouent dans ce show pour quelques dates. Le concept du spectacle consiste à recréer l’ambiance de « l’âge d’or » de la magie entre 1915 et 1920, dans un style victorien avec un décor imposant, un orchestre jouant en direct et des illusions (accessoires et machineries) conçues par la société Illusion Projects Inc. Un hommage aux grands maîtres comme Harry Houdini, Howard Thurston ou Ching Ling Soo.
« Cette période fut un grand âge pour notre art. Les magiciens étaient vêtus de velours et étaient entourés d’une aura de mystère. Au fil des décennies, ils ont perdu un peu de leur profondeur. Aujourd’hui, la magie est tellement flashy et vulgaire ! Nous essayons de nous éloigner de cette forme dédiée aux fêtes d’anniversaire et au divertissement du style Las Vegas. » Mark Kalin.
L’illusion emblématique Fire Spiker de Kalin & Jinger, caractéristique de ces artistes depuis plus de 20 ans, a été « redesigné » dans un style steampunk par la société Illusion Projects Inc. pour le spectacle The Illusionists 1903.
Entre deux tournées mondiale avec la troupe des Illusionists, le couple travaille sur des croisières organisées par la société Disney et sont toujours très actif dans leur ville de Reno en organisant des évènements et des productions pour les fêtes d’Halloween. Mark Kalin travaille aussi comme consultant magique pour des émissions de télévision.
3 Une routine que l’on doit à Richard Himber sur une idée de Persi Diaconis au début des années 1960. L’effet serait apparu bien plus tôt avec le père d’Okito, David Tobias Bamberg (1843-1914) qui pratiquait l’enclavement de neuf bagues !
4 Le Fil Hindou (Gypsy Thread) est pratiqué dès le XVIe siècle et est décrit pour la première fois dans La première partie des subtiles et plaisantes inventions de Jean Prevost (1584). « Pour couper un fil en plusieurs pièces puis faire semblant de le restaurer en entier », p. 38 et « Pour faire voir tout entier un fil que vous aurez brûlé à la chandelle », p. 39 du livre.
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