Extrait de la revue L’illusionniste N°9 de septembre 1902
Jules-Eugène Legris est né à Paris le 12 octobre 1862. Parisien, fils de Parisiens, il possède les qualités d’esprit et de cœur qui sont l’apanage des enfants de la capitale. C’est le meilleur camarade qui soit au monde : aussi ne compte-t-il que des amis parmi ses confrères. Un jour, en flânant, en bon Parisien, devant l’étalage d’un bouquiniste, ses regards furent attirés par le titre des mémoires de Robert-Houdin : « Confidences d’un prestidigitateur », ouvrage dont il ignorait l’existence, mais qui entrouvrît de suite à son esprit un monde de promesses. Sa curiosité étant vivement excitée, il fit l’emplette des deux volumes qu’il emporta, cachés sous son paletot et pressés contre sa poitrine, autant pour en savourer le contact qui lui semblait délicieux que pour les dissimuler aux yeux de ses parents qui n’auraient peut-être pas approuvé sa dépense. Il avait alors quatorze ans.
Avec l’ardeur et l’impatience, habituelles à cet âge, il eut vite dévoré tous les chapitres, revivant, dans la fièvre de sa pensée, les aventures du grand sorcier français. Nous comprenons tous qu’après cette lecture il eut le vif désir de faire des tours de prestidigitation. Il se mit à travailler, d’abord des tours de cartes, qu’il exécutait dans des réunions d’amis. S’étant rendu compte, par ces essais, qu’il possédait de sérieuses dispositions à l’art magique, il compléta son premier programme par des tours de passe-passe et de physique amusante et continua à paraître dans des soirées intimes jusqu’à ce que vint pour lui le moment de partir au régiment. Incorporé au 84° de ligne, il donnait aux officiers de sa garnison quelques séances de prestidigitation dont ceux-ci se montraient très friands et dont ils le récompensaient par des permissions, exemptions de corvée et autres avantages qui, dans la vie militaire, prennent beaucoup d’importance aux yeux du bénéficiaire, et plus encore, peut-être, à ceux de ses camarades qui en sont privés.
Après sa libération, il rechercha la compagnie des prestidigitateurs et obtint d’être reçu, comme membre, dans l’Académie de prestidigitation. Cette société, aujourd’hui dissoute, imposait aux postulants un examen professionnel qui avait lieu généralement sur la scène du théâtre Robert-Houdin. Au cours de cette audition, Legris fut remarqué par M. Meliès, le directeur, qui quelques jours plus tard, l’engagea pour créer le rôle de Méphisto dans une féerie « Le Rêve de Coppelius ». Notre ami fit de son personnage une excellente création, bien que son rôle fût de second plan. Ayant, par cet engagement, ses entrées sur la plus importante des scènes de magie, il s’intéressa vivement à la machinerie dont elle est pourvue et fut émerveillé des ressources nombreuses dont on dispose, sur ce théâtre, pour produire, aux yeux des spectateurs, de véritables miracles.
Cette initiation fut pour lui un excitant nouveau. Avec acharnement il fit, dans ses loisirs, des empalmages et des sauts de coupe, s’inspirant, pour ses études, des excellents professeurs, Duperrey et Raynaly, qui opéraient à cette époque au boulevard des Italiens. Son secret désir était de succéder à cette phalange brillante qui commence à Robert-Houdin pour se continuer par Hamilton, Cleverman, Brunet, Harmington, etc., sans oublier Raynaly et Duperrey déjà nommés. Un jour, ce poste lui fut offert. Legris l’accepta avec empressement, sans se dissimuler toutefois l’importance de la tâche qui lui incombait. En effet, le théâtre Robert-Houdin est considéré comme le conservatoire de la Magie par tous les prestidigitateurs français et étrangers. Ceux-ci, au cours d’un voyage à Paris, ne manquent jamais de faire une visite au sanctuaire de notre art afin de se pénétrer des traditions du maître, fidèlement conservées dans Sa Maison.
L’opérateur de chez Robert-Houdin est donc l’illusionniste le plus en vue du monde entier. Ses connaissances doivent être grandes et son talent a la hauteur du nom qu’il représente. Ce n’est pas un simple numéro de pièces ou de cartes durant un quart d’heure qui pourrait composer son bagage artistique. Le spectacle est de deux heures et le programme fréquemment renouvelé. S’inspirant de la situation qu’il occupe et comprenant qu’il est le champion de la prestidigitation en France, Legris s’initie aux tours nouveaux dès leur apparition. Il exécute les double empalmages et les nouveaux escamotages de pièces et de cartes aussi bien que le premier venu des « rois » américains, et comme il est ambitieux son désir est d’aller dans leurs pays récolter des lauriers. Vous verrez qu’un de ces jours on parlera de lui de l’autre côté de l’eau. Messieurs les Prestidigitateurs sont priés de bien vouloir nous faire parvenir leur portrait pour la Galerie de l’Illusionniste.
Caroly
A lire :
– Les phénomènes du spiritisme réalisés par Jules-Eugène Legris.
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