Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Nous sommes en l’an de grâce 1989 dans le royaume de Beauvais, au matin du 12 janvier. C’est alors que j’ai décidé d’apparaître. À vrai dire, j’ai toujours vécu dans un univers magique, d’abord de par les histoires que l’on me racontait le soir pour m’endormir. Histoires toujours peuplées de fées, de sorcières, de lutins, de fantômes, d’enchanteurs et de monstres. Des contes de Charles Perrault à Andersen, des frères Grimm en passant par ceux de la Rue Broca sous un fond de chansons de Steeve Warring. Je n’avais jamais vu pour de vrai les créatures évoquées dans ces récits, mais j’en était persuadé, ces êtres existaient forcément quelque part, ailleurs que dans mon imagination.

Quelques années plus tard, en 1993, je découvre deux émissions diffusées à la télévision. Les Mandrakes d’Or et Attention Magie, crées par Gilles Arthur, présentées par Vincent Perrot et Patrice Laffont. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé devant le poste à cet âge mais c’est là que toutes les histoires imaginées que l’on m’avait racontées sont subitement devenues réelles… Et c’était terrifiant ! Avec Juan Mayoral, des objets s’animaient et des chaussures marchaient toutes seules, c’était évident, un fantôme était présent sur scène ! Hans Moretti se faisait transpercer de toute part de pieux et d’épées, le manteau de Tina Lennert prenait vie et était pourvu d’une conscience pendant que d’autres déclenchaient des tempêtes de neige. Il y avait même une sorcière (J’ai compris plus tard qu’elle s’appelait Jeff McBride) qui changeait l’apparence de son visage en une fraction. Jan Madd était plus sympa, il faisait apparaître des foulards et des fleurs mais c’était avant de céder la place au plus effroyable d’entre eux, un type étrange qui crachait des boules et des lames de rasoir : Otto Wessely !


Aussi effrayé que captivé, j’ai revu ces émissions, enregistrées sur cassette, en boucle, pendant des années jusqu’à connaître les numéros par cœur jusqu’au moindre haussement de sourcil de Norm Nielsen. Il en a été de même pour une autre émission diffusée un peu plus tard, en 1995, cette fois consacrée à la magie de David Copperfield (et toujours présentée par Vincent Perrot) qui venait jouer son spectacle en France à ce moment-là. Un doublage français avait même été rajouté par-dessus sa voix pour l’émission. Moi qui connaissais l’émission par cœur. Je me suis presque senti trahi lorsque j’ai compris bien des années plus tard qu’il ne parlait absolument pas français. Ah les ordures ! À force d’user les bandes de ces VHS, à revisionner inlassablement ces émissions qui, comme les contes, me fascinaient et me faisait peur à la fois, j’ai fini par tenter d’imiter ce que je voyais à l’écran, pour finir par devenir à mon tour ce qui me faisait peur… ne le dites à personne mais c’est moi Batman.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Mon intérêt particulier pour le monde de la magie n’ayant échappé à personne, j’ai fini par recevoir dans la foulée, en guise de cadeau de noël, comme beaucoup de personnes j’imagine, ce qu’on appellera vulgairement une « Boite de Magie ». D’autres lui succéderont les années suivantes mais celle-ci était particulière. D’abord parce que c’était ma première mais aussi de par son contenu. Avec le recul, je me dis que c’est peut-être là que j’ai commencé à comprendre, sans en être conscient, avant de savoir faire le moindre effet que le plus important dans un tour de magie est sa présentation. On y trouvait sensiblement la même chose que dans la plupart des autres boites mais sa construction et sa mise en place me restent particulièrement en mémoire.

Cette boite avait pour nom « Mister Magic » et contenait ni plus ni moins : qu’un magicien ! Ou plutôt une statuette à l’effigie d’un magicien. Toutes les parties de son corps étaient amovibles et permettaient de faire un tour. Ses mains pouvaient se détacher de son corps pour présenter une routine de paddle move, l’une de ses chaussures était destinée à faire apparaître une pièce de monnaie tandis que l’autre était vouée à transpercer cette dernière avec des clous. Ses lacets permettaient de faire un tour de corde. Sa tête faisait office de tube pour transpercer un ballon et son « cerveau » était en fait un coquetier magique. C’était mon premier contact avec du matériel de magicien. Des livres ont suivi peut après dont ceux de Jon Tremaine.
J’ai donc commencé à apprendre seul, d’abord en tentant de déchiffrer les notices imbitables des boites de magie (sans dec’, il y en avait certaines où je ne comprenais même pas l’effet qu’on était censé produire, sûrement dû à des mauvaises traductions…disons que ça fait travailler l’imagination, après tout), puis à travers des livres, soit offerts ou empruntés à la bibliothèque municipale où je passais beaucoup de temps. Sans oublier la fabuleuse collection des éditions Atlas quelques années plus tard. Ce genre de collection avec un produit de lancement alléchant « 10 francs chez ton marchand de journaux ! » et si on veut la suite, il faut s’abonner et ça coûte un rein (merci môman). N’empêche qu’en guise de cadeau d’abonnement, j’avais eu droit à une super cassette du film Merlin de Steve Barron et un super jeu de gobelets dont je me sers toujours aujourd’hui pour faire un bonneteau à l’eau.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Je n’ai pas souvenir que quelqu’un ou quelque chose ai contribué à me freiner si ce n’est moi-même et ma procrastination. Au contraire, j’ai toujours été entouré de personnes qui consciemment ou non m’ont donné goût à la création de manière générale. Dès la maternelle avec un instituteur qui était aussi artiste et chanteur en parallèle sous le nom de Philox et qui faisait tout pour emmener la classe voir des spectacles ou organiser des représentations à l’école et quand ce n’était ni l’un ni l’autre : C’était lui le spectacle ! Dans ma famille également, tout le monde m’a toujours encouragé dans cette voie même si mon père m’a parfois subtilement dit que « un métier moins précaire, ça peut être bien aussi » mais je n’ai jamais entendu de « Trouve toi un vrai travail » de leur part. Aussi loin que je me souvienne, mon père, ma mère, et mes grands-parents m’ont toujours emmené de leur côté voir des spectacles ou des expositions en tout genre. Ce qui a largement contribué à me garder dans un univers de création artistique.
À quatorze ans, j’ai eu la chance de faire la rencontre de Georges Peralta, magicien beauvaisien qui animait des spectacles de magie durant l’été sur la place de la ville. Après m’avoir invité à revenir assister au spectacle le lendemain et constatant lui aussi mon intérêt pour la magie, celui-ci m’a rapidement proposé de l’accompagner à d’autres de ses spectacles et très vite, d’en faire partie. D’abord pour y faire un numéro de quelques minutes (des anneaux chinois sur du Rammstein, j’vous raconte pas la prestance) et petit à petit de partager la scène jusqu’à animer la moitié du spectacle avec lui. C’était mes premières scènes pour un public… un vrai public ! C’est à dire composé de gens que je ne connais pas et qui ne me connaissent pas non plus.

Le 10 janvier 2004, ma mère m’emmenait voir un spectacle, comme beaucoup d’autres spectacles jusqu’à maintenant mais celui-ci allait déclencher une bonne partie de la suite de ma vie. Le spectacle Un magicien à Compiègne interprété entre autres par Pierre Edernac. Outre les choses formidables que nous y avons vu, nous avons remarqué la présence de personnages étranges dans la salle, l’un d’eux arborait une veste à paillettes, d’autres des pin’s « cartes et chapeau » (Le même que celui de la collection Atlas, tiens !) : De toute évidence, des magiciens. Il s’agissait en fait là des membres de mon futur premier club de magie : Les Magiciens de Picardie. Ceux-ci se réunissant une fois par mois et le hasard fait bien les choses, leur prochaine réunion se tenait… Le lendemain ! C’est ainsi que pour la première fois j’entrais dans un club de magie. Ce genre de lieu où quelque soit le tour qu’on y présente, il y a toujours au moins cinq types qui se lèvent à la fin pour dire « Ah… moi j’aurais pas fait comme ça. » Et c’est formidable, ce qui permet d’échanger et de parfois trouver des voies de présentation et des solutions à un problème qu’on aurait jamais trouvé si on était tout seul. J’y ai rencontré beaucoup de personnes qui elles aussi m’ont encouragé et poussé à continuer et à évoluer dans ce milieu. La liste des personnes nommer et à remercier à ce sujet que ce soit au club des Magiciens de Picardie ou aujourd’hui au club des Magiciens d’Abord dont je fais maintenant partie, serait longue mais on peut retenir ici une rencontre.
Thomas Cointrel, un autre magicien de mon âge qui faisait déjà partie du club. Partageant la même vision de la magie, nous nous sommes rapidement lié d’amitié et très vite envisagé de former un duo magique et de travailler ensemble. Il nous fallait alors nous trouver un nom pour illustrer ce duo histoire que ça pète un peu… Mais lequel ? C’est que c’est pas facile de se trouver un nom quand on n’est personne (tiens, elle est pas mal celle-là, je vais la noter). Un brainstorming à deux se mit alors en place pour définir comment il faudra que l’on nous appelle dorénavant. Jimmy et Thomas les Magnifiques ? Les incroyables Thomas et Jimmy proposa l’un ? « C’est pompeux, pourquoi pas Les Nouveaux Copperfield tant qu’on y est ? » rétorqua l’autre. C’est alors que la séance de réflexion pris alors une autre dimension où nous nous sommes mis à nommer n’importe quoi dont des accessoires magiques juste pour voir si ça sonnait bien : Les Faux Pouces ? Les Handz-Up ? Les Topit ? Cela nous faisait bien marrer cependant ça ne faisait pas très sérieux mais toujours est-il que c’est ainsi que Les Gimmicks sont nés. Nous avons aujourd’hui pris des directions différentes mais cette entité a perduré plusieurs années au cours desquelles nous avons construits plusieurs spectacles et numéros. J’avais déjà un pied dans le monde du spectacle mais ce duo m’a permis d’y mettre les deux et d’y rester.
Les opportunités ont été nombreuses et l’énumération en serait très longue. J’espère bien en avoir d’autres mais je retiens également deux scènes ouvertes que j’ai eu l’occasion de côtoyer durant quelques années et qui m’ont permis de nombreuses rencontres magiques et artistiques de manière plus générale en me permettant de peaufiner certains numéros tout en en testant d’autres : Le Dracomedy Club présenté par Draco à Forges-les-Eaux et Tous en Scène de et par Mademoiselle Zouzou au Spotlight à Lille.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros
Je travaille à la fois en close-up et en scène mais étant un éternel indécis, j’apprécie particulièrement la magie de salon. Un entre deux qui permet à la fois d’avoir une certaine proximité avec les spectateurs comme en close-up tout en pouvant bénéficier d’un certain espace et présenter des choses plus imposantes comme en scène. Dans tous les cas je m’efforce d’opérer via une magie qui se veut plus humoristique que sérieuse mais non sans avoir un réel propos lors de chaque tour et numéro. C’est dans cet esprit que j’ai écrit mon premier « vrai spectacle », c’est à dire un spectacle avec un titre et quelque chose à y dire et à y raconter autre qu’un enchaînement de tout ce que je sais faire.

Ce spectacle s’intitulait LAPIN. À travers celui-ci j’avais la prétention de revenir sur les raisons historiques de l’existence des symboles et des stéréotypes de la représentation que se fait en général le public du personnage du magicien : la baguette, le chapeau, le lapin qui en sort. Non pas dans le but de les réinventer mais bien dans l’espoir de rappeler leur raison d’être. À l’heure où j’entendais partout et inlassablement de la part de mes confrères que « la magie est poussiéreuse, il faut la dépoussiérer », j’ai fini par me demander si à la longue, ceux-ci se rappelaient ce qu’ils étaient en train de dépoussiérer et pourquoi (je vous ai prévenu, c’était prétentieux, je suis justicier à mes heures perdues. Puisque je vous dis que c’est moi Batman !). Avec ce spectacle, j’avais l’envie d’offrir aux spectateurs un spectacle drôle, tantôt en parodiant le personnage du magicien, tantôt en le glorifiant tout en leur apprenant des choses comme le ferait un vulgarisateur que l’on trouve aujourd’hui dans tous les coins de YouTube mais à mon humble niveau. Je ne me prétends pas historien ou conférencier pour autant. Considérez ce spectacle comme un genre de Si magie m’était contée de Jean Régil mais en vachement moins bien.

Les numéros présents dans ce spectacle ayant évolués au fil du temps et le propos initial n’étant lui n’ont plus tout à fait le même, bien que l’approche magique soit similaire, j’ai décidé de le restructurer pour ne pas dire le réécrire en donnant naissance à mon deuxième spectacle : Excentricks – Dans l’esprit d’un magicien déjanté dans lequel on aborde une question peut être plus simple mais non moins complexe : Qu’est-ce qu’un magicien ? Il peut exister autant de réponses qu’il existe de magiciennes et de magiciens sans compter ce qu’en pensent les spectateurs mais je vous conseille à ce propos le film Big Fish de Tim Burton qui en filigrane, selon moi, répond parfaitement à la question. Les amateurs du travail de Charlie Frye trouveront sans doute une similitude entre ce titre et sa série de VHS Eccentricks. J’vous jure que c’est pas voulu.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Toutes celles cités précédemment évidemment mais j’aimerais mentionner le spectacle d’Étienne Saglio Le soir des monstres. Je crois que c’est un des rares spectacles où j’ai vraiment ressenti de la peur, non pas à cause d’un personnage effrayant ou d’éventuels coups d’effroi et autre jump scares mais l’atmosphère qui régnait tout au long du spectacle se suffisait à elle-même.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Je considère que tous les styles sont intéressants, ils ont tous leur raison d’être et chaque magiciennes et magiciens ont leur façon de faire. Je suis cependant moins attiré par les numéros de manipulation pure ou de Cardistry. Bien que cela puisse être très contemplatif pour certains et ultra balaise, je préfère qu’un numéro ou un spectacle ait quelque chose à me raconter. L’un n’empêche pas l’autre cependant. Quelque soit le style, tout va dépendre de ce que l’artiste a à dire et comment il le raconte. Sinon, je connais un magicien qui s’appelle Markobi, qui perd une carte dans le jeu et la retrouve. Il l’a retrouve super bien.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Au-delà des influences artistiques, je pense que toutes les personnes que j’ai pu croiser ou les événements auquel j’ai pu assister ont tous contribué de près ou de loin à influer sur ma manière de penser et de faire les choses ou au contraire de ne pas les faire. Chacun se construit avec ce qui l’entoure. Directement, je ne m’inspire pas tellement d’autres magiciens, mais plutôt des gens et des choses que je côtoie le plus. Hormis les contes évoqués plus haut, on peut trouver dans ma magie un peu de bande dessinée, de Gaston Lagaffe à Tintin en passant par Le Chat avec un soupçon de Bidochon et de Soeur Marie-Thérèse des Batignolles. Du cinéma également, si je connais avec exactitude le moindre haussement de sourcil de Norm Nielsen dans son numéro d’Attention Magie, je pourrais vous réciter par cœur les Blues Brothers et les Visiteurs. Un peu de Tex Avery, de Mister Bean, les absurdités des Frères Jacques, des Monthy Python et les bons mots de Raymond Devos et Pierre Desproges non sans y mettre les frayeurs de l’Histoire Sans Fin et quelques pages de Le K de Dino Buzzati.
Quels conseils et quels chemins recommander à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Intéresse-toi à tout ce que tu croises même aux choses qui à priori ne te plaisent pas. Au pire tu sauras pourquoi, au mieux tu découvriras quelque chose que tu ne soupçonnais pas.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
C’était mieux avant ! Rendez-nous Le Plus Grand Cabaret du monde ! Je ne sais pas ce qu’est la magie actuelle. La magie nouvelle ? La magie sur Internet ? La magie pour la télé ? La magie sur tablette (encore que, à l’heure où j’écris, j’ai l’impression que c’est déjà passé de mode, bon alors disons la magie sur téléphone) ? La magie sauce stand-up ? La magie organique ? La magie de worker (Je n’ai jamais très bien compris ce terme d’ailleurs, à croire que les autres cadres de prestations ne sont pas un vrai travail… m’enfin, c’est p’têtre moi qui chipote) ? La magie actuelle est vaste. Au fond, nous sommes tous actuels tant que nous sommes vivants et que nous faisons ce que nous faisons. On pourrait presque dire qu’il existe autant de magies actuelles qu’il existe encore de magiciens.

Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Quelque soit le domaine dans lequel on évolue, il est important de s’intéresser de connaître son histoire. Ne serait-ce que pour savoir d’où l’on vient et pourquoi on est ce qu’on est aujourd’hui. Un domaine n’est peut-être pas perçu par le public ni exploité de la même façon dans toutes les parties du monde. Avoir une culture et s’intéresser à celle des autres, aide à se construire soi-même et par extension dans le cadre qui nous intéresse ici : construire sa propre magie et savoir pourquoi on la construit de cette façon en sachant ce qui se fait, ce qui s’est fait et ce qui se fera. Parallèlement cela permet aussi d’acquérir une certaine humilité et de ne pas trop se prendre pour le centre du monde. Pour ceux qui me connaisse, le personnage de Jimmy Loock est persuadé d’être le meilleur, le plus beau et le plus grand de tout l’univers mais ce n’est qu’une pièce de théâtre. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre des autres et j’espère que j’aurais TOUJOURS quelque chose à découvrir.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’aime bien boire une bière avec des potes… vous venez au congrès vous ?
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Interview réalisée en mars 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Mélanie Erb, Jimmy Loock. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.