Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Contrairement à beaucoup, mes premiers émois magiques ne remontent pas à mes sept ans et à la découverte de l’illusion par le truchement d’une boite de magie déposée au pied du sapin. J’ai pourtant sans aucun doute reçu ce genre de chose lorsque j’étais enfant, mais on ne peut pas dire que ma passion pour la magie date de ce moment-là. Mon intérêt – qui devait bien vite se transformer en une véritable passion – n’est venu que bien plus tard avec la rencontre de certains livres remplis de secrets, découverte qui m’a alors littéralement emporté.
Photo : © Zakary Belamy.
J’avais une vingtaine d’années et à bien y réfléchir, je crois que c’est l’intelligence des procédés mis en œuvre dans la magie qui m’a séduit dans un premier temps. Je ne parle pas de la découverte des manipulations de pièces par exemple, ces ingénieuses techniques recélant à elles seules le secret d’une disparition ou d’une métamorphose. Je parle plutôt de ce qui constitua pour moi une révélation et que je percevais ainsi : la substance même d’un tour de magie était le produit extraordinaire né de l’écart entre ce que l’on prétend faire et ce que l’on fait réellement. Je ne suis pas persuadé que ce soit une définition exacte de la magie, mais c’est en tout cas ce que je ressentais devant ces merveilles. Même s’il peut y avoir un attrait « intellectuel » pour la magie, je crois que celle-ci est affaire de sensibilité, et je me souviens toujours avec émotion du sentiment de pur bonheur que me procuraient ces découvertes successives. Les ouvrages que j’avais entrepris d’étudier proposaient des tours pour débutant ne nécessitant aucun bagage technique. Mon apprentissage solitaire a donc commencé par l’étude des tours de cartes dits « automatiques ». Ce qualificatif était d’ailleurs souvent absent des livres en question, les auteurs ayant choisi simplement d’évoquer le « monde extraordinaire de la magie des cartes », ramenant ainsi le miracle produit par l’exécution d’un tour – fut-il automatique – à ce qu’il était vraiment : un effet merveilleux.
Bref, si l’on peut parler de déclic, je crois qu’il eut lieu à l’occasion de ces lectures qui me firent entrer au même moment dans le monde de la magie. Je n’ai aujourd’hui toujours pas visité ce monde dans sa totalité : j’en ai vu les contrées les plus fréquentées, je me suis aussi aventuré dans certaines zones et j’ai arpenté d’autres chemins, mais les lieux à découvrir sont innombrables. Je ne sais d’ailleurs pas ce qui me réjouit le plus : savoir ce que modestement je sais aujourd’hui, ou savoir qu’il me reste tant à découvrir.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Je ne sais pas si « franchir le pas » pour un magicien signifie « se lancer » au sens de se produire devant un public, ou bien sortir de sa bulle, abandonner sa seule initiation solitaire pour prendre des cours et chercher à fréquenter ses semblables.
J’ai été amené à rejoindre un peu plus tard « Les Amis de la Magie » (qui ne s’appelait d’ailleurs pas encore ainsi) en septembre 1993. Ce club de magiciens, qui a beaucoup compté et qui compte encore beaucoup pour moi, était issu d’une dissidence entre la direction du CFI (« Cercle Français de l’Illusion Jules d’Hôtel » à l’époque) et l’un de ses membres : Pierre Jacques. Ce contentieux, né d’une divergence de vue sur la façon dont devait se dérouler les réunions (les membres du CFI cultivant la préservation du secret y compris entre eux !), avait amené Pierre à créer sa propre association, qu’il voulait plus ouverte et définitivement placée sous le signe de l’échange et de la convivialité. Les premières réunions s’appelaient « Les vendredis de Sophie » (du nom de Sophie Colmet de Santerre, veuve de magicien et figure du CFIJD de l’époque qui l’avait suivi dans cette aventure) pour devenir rapidement « Les Amis de la Magie », intitulé qui avait au moins le mérite de dire ce qu’était réellement ce club. Le principe était simple : chaque quatrième vendredi du mois, un invité venait en soirée « animer » la réunion, euphémisme destiné à justifier le fait qu’il ne serait pas payé et à ne pas afficher ce que nous attendions de lui en réalité : une véritable conférence.
Pierre Jacques lors d’une réunion.
Nous nous réunissions rue de Sèvres, dans la salle d’un restaurant situé juste au-dessus du magasin Paris Magic que tenait alors Guy Lore à cette adresse. L’« invité » du mois était toujours une connaissance de Pierre Jacques qui, pickpocket de métier, avait de nombreuses relations dans le milieu du spectacle et n’avait aucun mal à convaincre à chaque fois un magicien de ses amis de venir passer la soirée avec nous. Après la partie « conférence », nous buvions un coup et la deuxième partie était libre : l’invité s’installait au milieu d’un groupe puis circulait parmi les tables, répondant aux questions ou tout simplement faisant de la magie et discutant avec nous comme il aurait discuté avec n’importe qui. C’était en tout cas un endroit où les habitués se retrouvaient avec plaisir et échangeaient sans compter jusqu’à une heure avancée. C’est ainsi que j’ai pu côtoyer et rencontrer de nombreux magiciens dont Salvano, Pierre Edernac, Bernard Bilis, Jean-Jacques Sanvert, Dominique Duvivier, Bruno Copin, Schmoll, Bébel, Mimosa, Ali Bongo, Peter Din, Nourdine, Mickaël Stutzinger, Jean-Pierre Vallarino, Patrick Droude, Gérard Majax, Pierre Switon, Sylvain Mirouf, Gaëtan Bloom, Jean Faré… Certains sont devenus des amis. Certains ne sont malheureusement plus là (Pierre Jacques lui-même nous a quittés, et je suis devenu en 2003 le président de cette vénérable association de magiciens).
Jean Faré au milieu des années 1990.
Ivan Laplaud en compagnie de Mimosa (2003).
C’est lorsque je me suis retrouvé à des heures indues attablé dans une salle enfumée (c’était une autre époque) avec des personnes plus ou moins jeunes mais atteintes de la même maladie monomaniaque (manipulation obsessionnelle de cartes, tripotage intempestif de cordes et empalmages en toutes occasions) que j’ai senti que j’avais véritablement passé un cap. Le contact de ces congénères insoupçonnés m’avait, j’en avais le sentiment profond, fait devenir officiellement magicien. Je faisais en effet désormais partie de cette famille de gens qui, malgré une absence de généalogie commune, semblaient se reconnaître sans s’être jamais vus et tiraient leur parenté d’une passion qui paraissaient les unir aussi fortement qu’invisiblement. Je garde de cette période un souvenir ému et je pense avoir sans doute davantage appris au contact de mes camarades magiciens amateurs et professionnels que dans n’importe quel cours. Je complétais mon constant apprentissage par l’étude régulière de livres puis de vidéos. Il y avait bien sûr les classiques à ma disposition : la célèbre série des Payot, ainsi que le Robert Veno.
Premier fascicule du catalogue Magix-Tricks de MAGIX Unlimited, édité par Jean-Pierre Hornecker en juin 1993.
Mais les années quatre-vingt avaient tout de même vu apparaître d’autres livres en langue française grâce à Magix (Editions Techniques du Spectacle) célèbre maison tenue par Jean-Pierre Hornecker à Strasbourg. C’était le seul éditeur français de livres de magie : il en a publié des dizaines et a traduit énormément d’ouvrages américains notamment, permettant à l’ensemble des magiciens que nous étions de bénéficier d’une indispensable littérature magique. Il n’y avait évidemment pas d’Internet à l’époque, et le contact avec Magix se faisait au travers des extraordinaires catalogues qu’Hornecker publiait et adressait très régulièrement à ses clients. La lecture de ces brochures constituait en elle-même l’antichambre de la magie : les descriptions des tours éveillaient immanquablement la curiosité et suscitaient l’envie.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Je dois tout d’abord évoquer ma rencontre avec un collègue de l’entreprise pour laquelle je travaillais. Nous étions à la fin des années quatre-vingt, j’en étais à mes vrais débuts, je découvrais, m’intéressais toujours, mais la magie demeurait tout de même en arrière-plan, la vie m’imposant alors d’autres priorités qui ne me laissaient guère de temps pour autre chose que le travail et mes responsabilités de jeune parent. Alain Lange était un magicien amateur, mais qui connaissait déjà beaucoup de choses. Un peu plus âgé que moi, il avait aussi déjà l’expérience du public pour avoir travaillé en saison dans des centres de vacances où il se produisait. Il appréciait la magie visuelle et festive ainsi que toutes sortes de gags qui pouvaient au besoin y trouver leur place. C’est certainement son enthousiasme et son sens du partage qui me donnèrent le petit coup de pied dont j’avais besoin. On oublie facilement les rencontres. Je n’oublie pas pour ma part celles qui ont pu orienter mes goûts et mes passions. Alain est, sans doute pour cette raison, resté un ami. Le pied remis ainsi à l’étrier, j’ai repris le chemin de la magie pour ne plus jamais le quitter.
Revue Le Magicien n°146 (1997).
Concernant mes activités d’écriture magique, mes premiers pas ont pris la forme de textes parodiques sur la magie (« Le détournement d’attention », « Comment se faire des amis grâce à la magie », etc.). Je me souviens avoir fait lire l’un d’entre eux à Dominique Duvivier que je rencontrais pour la première fois. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’humour. Il parut séduit puisqu’il me demanda de venir le voir. Le mois suivant, il éditait ce texte dans sa revue Le Magicien, puis un autre dans chacun des numéros suivants. Cette collaboration dura quelques mois jusqu’en 1997. Inutile de préciser que j’étais très fier de paraître dans un tel magazine, et je ne peux que remercier Dominique Duvivier (ce que je fais encore ici aujourd’hui) pour sa confiance.
J’ai un grand respect pour les gens qui éditent des revues magiques et pour ceux qui font paraître des ouvrages. Des gens comme Ludovic Mignon (Marchand de trucs) ou Frantz Réjasse (C.C. Editions) entre autres (bien qu’ils ne soient pas si nombreux) honorent la magie en éditant, en rééditant quelquefois des classiques, en diffusant des ouvrages français ou non, en faisant traduire des auteurs pour les faire connaître au plus grand nombre. Il faut une grande rigueur, il faut croire en ce que l’on fait et il faut beaucoup d’amour pour notre art pour se lancer dans ces aventures et s’y tenir. Les magiciens ne constituant pas une population de lecteurs potentiels si nombreuse que cela, c’est économiquement à chaque fois pour tous un véritable pari (et je sais de quoi je parle !) et, pour tout dire, un risque permanent.
Mon premier vrai livre a été celui que j’ai écrit pour Mickaël Stutzinger (Cœur). Sensible à son style et à son « toucher » des cartes, je lui avais proposé d’écrire cet ouvrage. Il nous a fallu un peu plus d’un an pour en venir à bout. J’ai écrit l’année suivante à nouveau pour lui, puis très régulièrement pour d’autres magiciens à partir de 2004. J’étais en quelque sorte « lancé ».
Ma passion pour la magie et mon attrait pour l’écriture se sont ainsi unies depuis pour me permettre d’écrire sur l’illusion, de décrire des dizaines et des dizaines de routines mettant en scène cartes, pièces, foulards, gobelets ou tout autre accessoire propre à notre art, d’écrire des centaines de pages biographiques sur des magiciens que j’aimais particulièrement et quelquefois d’éditer ces mêmes ouvrages. De façon anecdotique, il faut savoir que mon père a durant une période de sa vie été un « écrivain public ». Je me souviens que cela me rendait fier. Je pense aujourd’hui que cette activité me semblait incroyablement noble car utile et même essentielle ; aider des gens à mettre en mots ce qu’ils veulent dire, ce qu’ils pensent ou ce qu’ils ressentent sans pouvoir le faire eux-mêmes me paraît d’une dignité incroyable. Mon père recevait aussi bien des gens qui avaient des demandes bien particulières destinées à une administration, que des personnes voulant qu’on écrive pour eux une lettre d’amour « sur-mesure ». D’autres voulaient changer de nom (même si cela n’arrive pas souvent) et ne savaient pas à quelle instance s’adresser et encore moins argumenter sur les raisons de leur demande. D’autres encore souhaitaient – par l’entremise d’une lettre aux phrases dûment pesées et réfléchies – renouer avec un membre de leur famille à qui ils n’avaient pas parlé depuis trente ans. Là comme ailleurs, il fallait pour la personne se confier, se raconter. Restait pour mon père à trouver les mots. Trouver les mots : c’est sans doute là que se nichait la véritable mission qui suscitait chez moi tant d’admiration. Il n’est pas impossible qu’une partie de mon travail aujourd’hui avec les magiciens fasse écho, comme un hommage, à la vocation paternelle.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Tout dépend si je travaille pour écrire mes propres ouvrages ou si je travaille pour le compte d’un magicien dont je suis chargé d’écrire le livre. Tout dépend également si j’écris une biographie ou si je fais des descriptions de routines de cartes ou de pièces par exemple, avec des aspects très techniques.
Pour une biographie, les choses sont particulières : il s’agit souvent d’une véritable enquête. Pour le livre sur Pierre Jacques et plus récemment pour celui sur Jean Faré (que j’ai tous deux écrits et édités sous ma marque éditoriale Editions Papier Magique), j’avais bien sûr des éléments. Ils avaient disparu mais je connaissais ces deux magiciens, ils étaient des amis. Mais ce que l’on connait d’eux n’est souvent qu’une toute petite partie de leur existence et de leur carrière de magicien : c’est pourquoi il a fallu dans ces deux cas partir à la recherche de témoignages, de photos, de renseignements (y compris à l’état-civil) avec le sentiment permanent de dérouler une pelote de laine dont on ne sait pas ce que va nous amener le fil que l’on tire, dont on ignore s’il va casser ou au contraire se dédoubler pour nous ouvrir de nouvelles pistes. Ce travail est passionnant à plus d’un titre : l’accumulation de détails, d’anecdotes et de fais insoupçonnés et souvent jusqu’ici inconnus de tous est une satisfaction réelle. Découvrir sous un jour différent des gens que vous croyiez connaître est un autre plaisir. Avoir la sensation enfin de reconstituer un puzzle et d’en avoir déniché certaines pièces bien cachées est une véritable fierté, doublée du sentiment d’avoir ainsi rendu un hommage mérité au magicien en question.
Pour ce qui est du livre biographique sur Pierre Switon (qui n’est pas une initiative personnelle mais un livre de commande édité par l’Académie de Magie – Georges Proust), le travail était très différent puisque la personne en question est bel et bien vivante (et comment ! Pierre est un jeune homme qui a des dizaines d’années d’expérience). C’est ainsi que sur une année environ, j’ai recueilli patiemment au fil de nombreuses et régulières séances, le récit biographique de mon ami Pierre. Nous procédions de la façon suivante : je lui demandais à chaque fois de préparer la partie à laquelle j’allais consacrer un chapitre (même si les choses ne sont pas aussi simples, certaines épisodes voyageant d’un chapitre à l’autre selon le cas en fonction de l’avancement du récit), et il me racontait les événements de son existence simplement. Nous étions chez lui, je prenais des notes manuscrites (c’est ainsi que je fonctionne) et j’utilisais parallèlement un dictaphone. Mais je dois dire que ces enregistrements sont une « bouée de secours » à laquelle je ne me suis jamais raccroché, me fiant toujours à mon cahier, à mes notes manuscrites et, plus modestement, à ma mémoire. Si je travaille à la rédaction à proprement parler dans les jours qui suivent, je suis capable en retrouvant quelques mots seulement de restituer l’intégralité de ce qui m’a été raconté. J’ai expérimenté d’autres systèmes : enregistrements audio donc, mais aussi film vidéo, ou encore texte écrit par la personne, charge à moi d’en tirer quelque chose. Mais non, la prise de note en interview est ce qui se révèle – pour moi en tout cas – le plus efficace. Au passage, rien de pire que de « réécrire » ce que quelqu’un a fait, périlleux exercice consistant à remanier un texte en totalité tout en prétendant conserver ce que la personne a écrit, en ménageant au passage toute susceptibilité.
Pour revenir à Pierre Switon, je rédigeais ainsi. Alors que nous attaquions le chapitre suivant, je lui donnais celui que j’avais écrit pour qu’il le corrige (dates ou détails à ajouter). Il m’arrive toujours dans le cas des biographies de documenter le récit : j’ajoute moi-même des points « historiques » sur lesquels je me suis renseigné et qui concernent l’époque et les lieux dont on parle. Je n’invente rien, je viens simplement alimenter le récit en lui apportant des détails factuels et authentiques qui dépassent l’histoire individuelle que je raconte et qui permet – je l’espère – de donner de la vie à mon récit, qu’il s’agisse du Cirque Pinder pour le livre sur Pierre Jacques, des bars et restaurants dans le Chicago des années soixante-dix pour le livre sur Jean Faré ou encore du paquebot France ou de la télé des années quatre-vingt pour celui de Pierre Switon. Pour l’anecdote, j’ai même retrouvé sur le site de l’INA des photos et des pubs télé que Pierre lui-même n’avait pas revues depuis cette époque…
Concernant tous les livres « de tours » que j’ai pu écrire pour différents magiciens, j’aurais aimé travailler tout le temps de cette façon, mais la disponibilité de chacun n’est pas extensible et la distance géographique qui me sépare des gens avec qui je collabore ne permet pas toujours de fréquentes rencontres. J’ai travaillé en « live », face à Mickaël Stutzinger pour les quatre livres que j’ai écrits pour lui : nous étions à Paris dans une arrière salle de café, ou chez moi ou encore chez lui. Il me montrait l’effet (très important pour être au début à la place du spectateur !), puis m’expliquait la routine en détails. Je prenais des notes, puis rédigeais au plus tard le lendemain pour que tout soit encore à peu près intact dans mon esprit. Je lui soumettais mon travail, il me le rendait avec des remarques au besoin, et nous fonctionnions de cette manière jusqu’à ce que le nombre de routines prévues aient été écrites et que le livre soit terminé. J’ai procédé de la même manière avec Nourdine pour les deux livres que j’ai écrits pour lui (La Magie en Restaurant et La Magie en Cocktail).
Pour le livre d’Eric Leblon (Pop-Up Magic) qui devrait sortir avant la fin de l’année 2020, l’éloignement nous empêchait de pouvoir nous rencontrer pour travailler comme je le souhaitais. Eric est un garçon charmant, simple, extrêmement doué et très créatif. Il réside à Antibes et j’habite quant à moi (bien que toulonnais de naissance) en banlieue parisienne. Nous nous sommes donc résolus à échanger via des vidéos qu’il enregistrait à mon intention (effets puis explications des tours), le tout émaillé de très nombreuses conversations téléphoniques et échanges de mails. Cette méthode n’a rien gâché puisqu’Eric semble très content du résultat (et je le suis aussi).
Peu importe donc la façon de travailler si elle donne des résultats. Car au final l’idée est de faire des textes (et davantage encore s’il s’agit de descriptions où interviennent des considérations techniques et des notions de timing et de psychologie) qui se « lisent bien ». Je ne peux pas le dire autrement. On peut toujours décrire un tour de cartes en donnant dans sa chronologie les différents mouvements à effectuer et les techniques à utiliser. Mais je considère qu’il faut donner plus que cela : il faut à mon sens écrire pour le lecteur comme on « raconterait » le tour à un ami. Il faut donc lui donner envie tout d’abord en lui présentant l’effet, lui donner une idée de l’impact en se plaçant du seul point de vue du spectateur (car c’est ce résultat-là qui compte et que l’on veut atteindre). Vient ensuite la description à proprement parler : il s’agit de mettre le lecteur en confiance et je dirais même de le rassurer. Ne jamais supposer que les gens connaissent forcément telle technique à laquelle on fait allusion, au risque de les exclure et donc de les « perdre » ou de les rebuter. Ne jamais non plus considérer à l’inverse qu’ils ne la connaissent pas, au risque cette fois de les prendre pour de vrais débutants et passer son temps quelquefois inutilement à (ré)expliquer une technique censée être connue de tous. C’est donc un équilibre à trouver pour que chacun se sente directement concerné par l’explication, et un ton à adopter qui convienne à tous : faire un rappel en passant, tout en renvoyant éventuellement à tel ouvrage où se trouve décrite en détail la technique en question, s’arrêter en cours de description pour faire le point avec le lecteur et vérifier ainsi si nous sommes bien d’accord sur la situation à cette étape du déroulement du tour avant de continuer, rassurer si la technique peut paraître compliquée et suggérer éventuellement une méthode de substitution, etc. J’ai la chance d’avoir eu la confiance de tous les magiciens avec qui j’ai travaillé : ils m’ont toujours laissé faire les descriptions comme je l’entendais, en les écrivant sans doute comme j’aurais aimé qu’on me les expliquât à moi-même.
Un autre cas de figure est le livre « de commande ». Jean-Marc Gahéri et Damien Vappereau tenaient à l’époque le magasin Magic Dream à Paris et éditaient également des ouvrages (ce sont eux qui ont publié le livre de Mimosa Magie sans artifices auquel j’ai collaboré) et diffusaient des tours et accessoires de leur invention. C’est ainsi qu’ils m’ont demandé en 2006 d’écrire un livre qui devait sortir en même temps que le jeu marqué Ultimate Marked Deck qu’ils avaient créé et qu’ils s’apprêtaient à commercialiser. C’est là un tout autre exercice mais qui n’est pas pour me déplaire : on part de rien ou presque, et il faut imaginer la structure du livre, travailler pour lui donner du corps, faire des recherches et avancer avec toujours ce même plaisir de voir l’ouvrage prendre sa forme jour après jour. Pour ce livre, j’avais imaginé une partie qui présentait le jeu marqué en général (son histoire, son évolution, les différents procédés utilisés, etc.), une deuxième partie dédiée au jeu marqué de Jean-Marc et Damien et à ses spécificités, et une troisième où se trouvaient décrites de nombreuses routines utilisant le jeu marqué, routines imaginées par Jean-Marc et Damien, d’autres étant de mon invention, quelques autres ayant été données par des magiciens sollicités pour l’occasion tels que Gaëtan Bloom ou Darwin Ortiz. Ce livre a été traduit par Richard Vollmer en 2008 pour les Etats-Unis sous le titre The Ultimate Marked Deck Companion book.
Il m’est arrivé également de réécrire des textes et ouvrages : Doubles Faces de Zakary Belamy en 2004 ou Close-up : les vrais secrets de David Stone en 2006 entre autres. C’est un autre travail, une mission de façonnage qui se révèle souvent délicate : on est constamment tenu à ce que dit l’auteur, et on s’attaque aux phrases avec le souci de coller au plus près de ce qui est écrit… tout en le disant autrement. Contrairement aux apparences, je dirais que c’est sans doute l’exercice le plus difficile : on peut parfois avoir l’impression de marcher sur un fil ou de cheminer dans un magasin de porcelaine avec la peur constante de casser quelque chose.
Parlez-nous de vos collaborations et des articles que vous avez publié avec les revues magiques comme L’Illusionniste, Le Magicien et Imagik.
A la fin des années quatre-vingt-dix, (je ne me souviens pas exactement), j’avais entrepris la description d’une routine de bonneteau de mon ami Mimosa. Il s’agissait pour moi de réaliser une idée qui me tenait depuis quelques temps : écrire l’effet d’une routine et donner son explication d’une manière originale, c’est-à-dire en l’intégrant à une histoire avec un début, une fin, des péripéties, des personnages, des dialogues… J’ai donc écrit un texte qui s’est intitulé A la recherche de Mimosa ou Le bonneteau psychologique et qui a été édité sous la forme d’un livret avec une couverture rigide reprenant les codes des romans policiers : couverture noire et liseré jaune. Ce livret fut inséré dans un numéro de L‘Illusionniste pour être offert aux abonnés.
Je réitérai l’expérience en 2002 en écrivant un nouveau texte, une nouvelle intitulée Magie sur Seine (publiée là encore en encart dans un numéro de L’Illusionniste). L’histoire était celle d’un détective qui s’introduit dans le milieu des magiciens un soir de réunion dans un club pour une enquête privée. Ce récit était surtout pour moi l’occasion, dans un exercice d’écriture en forme de pastiche de nouvelle policière (avec détective à imperméable et chapeau mou), de raconter une soirée aux « Amis de la Magie », et pas n’importe laquelle : une réunion où Pierre Jacques en personne s’était désigné invité-conférencier à la soirée que lui-même organisait (ce fut le cas trois ou quatre fois, notamment lorsque l’invité prévu nous faisait faux bond au dernier moment ou lorsque Pierre n’avait pas réussi à temps à convaincre quelqu’un de venir. Pierre savait payer de sa personne !). Ce récit constituait également ici une façon originale de description puisqu’il était prétexte à expliquer au lecteur la méthode de pickpocketisme la plus classique de vol de montre-bracelet telle que me l’avait enseignée Pierre Jacques.
Dernier numéro du magazine Imagik n°37 (octobre 2003).
Quant à Imagik, j’y ai fait paraître en 2002 le texte que j’avais écrit pour le Concours International Littéraire des « Arts et Lettres de France ». J’y avais remporté le premier prix pour une très courte nouvelle intitulée Rideau, et j’étais là aussi très fier à la fois de cette distinction et de cette publication dans le regretté et prestigieux magazine créé et dirigé par François Montmirel et Daniel Rhod.
Parlez-nous de votre travail d’auteur et d’éditeur. Comment choisissez-vous les magiciens avec lesquels vous voulez travailler ?
On est condamné à bien s’entendre avec la personne avec qui l’on va travailler car il est impossible de ne pas entretenir un vrai rapport de confiance et une relation amicale pour ce genre de collaboration. Il ne s’agit pas d’un simple travail technique et mécanique où l’un a le rôle du magicien qui montre ce qu’il veut voir expliqué, l’autre ayant pour mission de mettre l’ensemble par écrit. Les choses ne sont pas aussi simples. Il faut pouvoir se parler franchement et sans retenue. Il faut que le magicien en question ait les idées claires sur ce qu’il souhaite et que de mon côté je perçoive ses intentions avec la même clarté. Il faut que la personne soit intellectuellement honnête et ne me mette pas dans une situation délicate, par exemple en me faisant décrire une technique ou un tour dont il se déclare le génial inventeur (et que je vais par conséquent décrire comme tel), mais dont il n’est en réalité – sciemment ou non – que le simple « exécutant ». Je sais que certains magiciens imaginent quelquefois qu’il suffit de remplacer des As par des Rois pour réussir à berner tout le monde et à maquiller ainsi un mensonge auquel les aura poussés une irrépressible envie de briller.
Je n’ai évidemment pas toutes les connaissances de tous les tours et de toutes les sources. Qui les auraient ? Untel a inventé, peut-être pas… Mais qui a repris, qui a réellement amélioré ? Qui a copié, qui a simplement fait connaître ? Je dois faire confiance au magicien qui m’a demandé de collaborer à son livre et prendre ses créations pour ce qu’elles sont. Mais la plupart ont l’honnêteté et la lucidité de faire la part de ce qu’ils ont reçu en héritage et de ce qu’ils ont réellement créé eux-mêmes. En écrivant pour quelqu’un, je me sens toujours une responsabilité comme si, me faisant son porte-parole (ou plutôt son porte-plume) j’endossais une part son vêtement et, pour tout dire, de sa crédibilité.
De façon plus triviale, c’est aussi simplement le lien de sympathie qui me conduit à accepter ou non de travailler avec tel ou tel magicien.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Au-delà de leurs prestations, ce sont souvent les magiciens eux-mêmes qui m’ont marqué. Pierre Edernac par exemple m’a toujours impressionné. Il avait une grande classe dans tout ce qu’il faisait et avait conservé cette élégance du geste et de l’attitude jusqu’à sa disparition à l’âge de 92 ans ! Il disait : « La rapidité, c’est de la mauvaise prestidigitation » et « Un artiste ne doit pas laisser apercevoir le travail ». Ces réflexions sont pour moi le signe d’une vision très juste de ce que doit être, entre autre, la magie. J’ai conscience que cette référence n’est pas très moderne, mais Pierre Edernac a toujours été pour moi l’image du Magicien, un peu comme Fred Kaps qui avait cette même belle prestance scénique. Mon ami Pierre Switon a d’une certaine manière ce plaisant classicisme dont on voit qu’il a été rôdé sur pas mal de scènes, des plus grandes salles aux plus petits cabarets…
Pierre Edernac – Symphonie pour une seule corde (Photo : Wittus Witt, 2008).
Pierre Switon à l’époque où il se produisait au Musée Grévin.
L’un des numéros qui m’a le plus marqué est sans doute le célèbre Flying que David Copperfield avait mis dans son show dès le début des années quatre-vingt dix. En dehors de la performance scénique (et de la nouveauté) que cela représentait, ce tour valait par sa puissante évocation magique : pouvoir se libérer de l’apesanteur. Symboliquement, ce numéro était très fort : que voudrais-tu faire si tu étais vraiment magicien ? Sans doute réaliser ce fantasme vieux comme le sont les premiers hommes qui ont vu un oiseau dans les airs : donner un coup de talon et, hop, s’élever lentement, toujours plus haut et se déplacer avec légèreté à plusieurs mètres du sol sans aucune contrainte. David Coppefield, par cette performance, a montré que la magie (aidée du côté des spectateurs par la suspension du refus de croire) rendait ce genre de choses possibles…
Actuellement, des magiciens comme Shin Lim apportent à la magie des cartes une grâce particulière. On n’est pas dans la magie de scène (au sens de la démonstration de dextérité et de manipulations diverses) mais plutôt dans un numéro de close-up, en tout cas beaucoup plus intimiste. Le soin qu’il met à chorégraphier ses numéros font de ses tours de très beaux spectacles. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’il a remporté la FISM en 2015.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
J’aime la magie dite « classique ». Même si je ne pratique pas la magie de scène (je fais du close-up et quelquefois de la magie de salon), je l’apprécie beaucoup. Quand je parle de classicisme, je parle de numéros de manipulations de cartes ou mettant en scène des objets divers : cordes, foulards, cigarettes, etc. J’aime aussi beaucoup les tours qui tirent une partie de leur impact de leur symbolique : je parlais de David Copperfield et de son vol au-dessus de la scène. De la même manière, des symboles forts comme les sphères ou encore le feu ont une dimension magique intrinsèque. Les utiliser dans un numéro, c’est pour moi déjà utiliser les éléments de la magie elle-même.
Ivan Laplaud en situation de close-up.
En revanche, j’avoue que j’ai beaucoup de mal avec ce qu’on appelle communément les « grandes illusions ». Il est vrai que je ne suis pas a priori un grand fan de la disparition de la partenaire puis de sa réapparition à l’intérieur ou à l’extérieur d’une boîte, pas plus que je ne suis sensible au découpage de la même docile personne dont le corps se voit reconstitué par son bourreau dans la seconde qui suit (tous ces exercices étant d’ailleurs le plus souvent proposés sans aucune motivation). Même les numéros plus modernes proposant des machineries plus sophistiquées (et prétendant donc certainement « dépoussiérer » le genre) me laissent assez froid. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’y vois pas beaucoup de magie. Sans doute est-ce l’aspect « mécanique » de la prestation et le rôle de « montreur de tour » que semble endosser l’artiste plutôt que celui de magicien qui me fait cet effet ?
Ivan Laplaud avec sa routine de gobelets.
J’aime la magie des cartes, la magie des pièces, les routines de close-up en général, et j’aime particulièrement les gobelets : qu’il s’agisse de routines à trois gobelets, à deux gobelets ou à un seul, qu’il s’agisse d’une routine de chop-cup, d’un show à américaine où le magicien se tient assis derrière sa table avec ses timbales cuivrées brillantes comme des soleils, ou qu’il s’agisse encore du bateleur de foire, haranguant la foule debout derrière ses tréteaux et jouant avec ses muscades disparaissant sous de lourds gobelets de fer blanc ou de cuir, tout me ravit. Je pratique évidemment moi-même la magie des gobelets. Il s’agit, paraît-il, du plus ancien tour de magie jamais répertorié dans un document. J’aime ces objets, j’aime ces routines où je crois retrouver l’essence même de la magie. Tout y est : la dextérité, la nécessité du geste vrai, le détournement d’attention… On y trouve les différents types d’effets (apparition, disparition, transformation, téléportation, pénétration…), et on y met en œuvre les principales techniques de la manipulation : fausse prise, faux dépôt, empalmage…
Quelles sont vos influences artistiques ?
Mes influences artistiques sont diverses et directement liées à la question précédente portant sur les styles de magie que j’affectionne. Privilégiant la magie de close-up, j’ai été très influencé (dans le désordre le plus complet) par des gens comme Greg Wilson, Harry Lorayne, Richard Sanders, Franck Garcia, Shoot Ogawa. D’un point de vue « théorique », je crois que j’ai été marqué principalement par Tommy Wonder. Cette liste n’est certainement pas exhaustive, et ce sont là des noms qui me viennent à l’esprit dès que je me demande qui sont les magiciens dont la magie m’a le plus « parlé »…
Ivan Laplaud et Daryl Martinez.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Je ne pense pas être légitime pour donner un conseil à qui que ce soit en matière de magie. Seule ma propre expérience pourrait servir de base à un jugement quelconque. Confucius a dit paraît-il que « l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la tient ». Les considérations que je pourrais donc avoir en la matière ne valent sans doute que pour moi-même. L’accès à la magie est aujourd’hui tellement facile qu’il suffit de cliquer sur une souris d’ordinateur pour avoir n’importe quel tour accompagné la plupart du temps de ses explications. J’ai bien peur que cette approche réponde davantage au souci de savoir « comment ça marche » pour pouvoir reproduire l’effet le plus rapidement et le plus facilement possible, qu’au souci d’apprendre réellement ce qu’est la magie, indépendamment de tel ou tel effet. J’ai peur qu’en accédant de cette façon aux secrets, les magiciens débutants pensent accéder à ce qui fait la magie. C’est un leurre : restent des tours expliqués souvent sans motivation particulière et des effets qui susciteront davantage des « Eh ! Comment t’as fait ça ? » ou « Tu nous a bien eus ! » que des réactions réellement émerveillées.
Ivan Laplaud en situation de close-up.
La culture magique, la connaissance de ceux qui nous ont précédés, les procédés qui sous-tendent réellement l’illusion (indépendamment des techniques elles-mêmes) tels que le timing, le détournement d’attention, la faculté de faire accepter le postulat qu’on propose au public, etc. me semblent essentiels pour aborder la magie « en toute connaissance de cause ». Je conseillerais donc à un magicien débutant, parallèlement à son apprentissage technique et à sa propension à vouloir reproduire des tours qui lui sont donnés quasiment en libre-service sur Internet, de lire des classiques du XXème siècle. Ils contiennent la plupart du temps des miracles encore « réinventés » aujourd’hui et s’accompagnent toujours des nécessaires conseils qui feront du tour proposé un véritable moment de magie.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie reste la magie. Au-delà de cette tautologie, je pense que les choses évoluent naturellement et que c’est certainement un bien. Il est par exemple heureux que la plupart des magiciens aient renoncé à se présenter sur scène avec leur petit guéridon à franges dorées et leurs boîtes aussi suspectes qu’outrageusement décorées d’étoiles et de strass. Il y a souvent de gros efforts faits maintenant par les magiciens pour trouver un biais original à leur numéro et pour le mettre en scène afin de lui donner du sens. Mais modernité ne veut pas dire qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. En d’autres termes, sous prétexte de rajeunir ou de moderniser la magie, on a quelquefois tendance à s’en éloigner. Un terme que je n’aime pas trop – et qui, pour tout dire, m’agace un peu – est celui de « dépoussiérer » la magie. « Votre spectacle est résolument moderne, il dépoussière la magie ! ». Je pense que la magie n’est pas poussiéreuse en soi. Il est vrai qu’elle peut être rattachée dans l’esprit des gens à certains accessoires auxquels je faisais allusion plus haut et avoir par conséquent une image vieillotte. Elle peut avoir aussi un aspect ringard, son prestige ayant été considérablement diminué par la concurrence du cinéma par exemple dont les effets spéciaux rivalisent sans effort avec ceux qu’un magicien peut proposer sur scène. Mais si la magie doit s’adapter à l’époque (et elle l’a toujours fait), je suis sûr qu’elle n’a pas à rivaliser avec qui que ce soit. La vraie magie aura toujours ses droits sur scène, et il ne faut pas que ce prétendu « dépoussiérage » soit un prétexte à s’affranchir de ce que doit être un véritable spectacle de magie.
Un mot sur l’utilisation des tablettes et des smartphones qu’on tend à associer à une évolution naturelle et inéluctable de la magie de close-up. Je ne crois pas un seul instant que ce soit la voie vers laquelle elle va se tourner. Les tablettes et smartphones sont des outils merveilleux, et l’imagination de certains magiciens permet de leur faire réaliser des tours de mentalisme la plupart du temps qui peuvent étonner le public. Mais là encore, je n’ai jamais vu quiconque avouer en pareille circonstance qu’il avait eu un moment d’émotion ni l’avoir entendu murmurer « Wouah ! Comme c’est beau… ». La magie est derrière l’écran, cela ne fait évidemment aucun doute. Et pour étonnant que soit l’effet c’est toujours, après la surprise, le questionnement qui surgit chez les spectateurs de ces tours digitaux : il y a un truc, mais lequel ?
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
La culture en général (et si l’on exclut évidemment celle se rapportant directement à la magie elle-même) me semble très importante. De mon point de vue, un magicien ne doit pas être exclusivement centré sur son art. Je dirai même que ses connaissances culturelles générales et son ouverture à d’autres univers lui sont indispensables. La technique ou la connaissance du « truc » n’a jamais fait un magicien. Son originalité au contraire, sa sensibilité, sa façon de raconter une histoire, sa manière de s’adresser au public, de lui parler, sa posture (en deux mots : son identité) auront été forgés par sa culture.
Ivan Laplaud et Bertran Lotth au 1er festival de la magie d’Alger au « Sheraton Alger » en 2002.
Bon, il faut dire que le terme « culture » n’est pas univoque et peut donc être entendu de diverses manières. Admettons que l’on entende par culture les multiples connaissances acquises par un individu. Avoir de la culture est déjà le signe d’une certaine curiosité, qualité indispensable à tout magicien. Cette culture, ce savoir, va augmenter chez nous je pense nos capacités de réflexion et d’adaptation, et renforcer même notre « estime de soi », tout comme la diversité de nos connaissances facilite forcément nos capacités à imaginer et à construire. Elle nous ouvre des horizons et cela nous sert forcément dès lors qu’on s’attaque à l’élaboration d’un tour, d’une mise en scène ou à la création d’un texte qui accompagnera un numéro. Pour moi, le lien entre la culture et la magie est aussi simple que la réponse que je peux faire si je dois la résumer : approcher la magie avec quelques « bagages » ne nuit pas (bien au contraire) à la compréhension de ce que peut être l’illusion et de la manière dont on peut la « travailler », tout comme la culture en général nous aide (parfois) à comprendre un peu mieux le monde qui nous entoure et à savoir comment s’y comporter.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
En dehors de la pratique de la magie et de l’écriture, mes intérêts sont assez divers. J’aime lire, avec des préférences assez marquées pour certains auteurs en particulier auxquels je reviens souvent : John Fante, Carver, Bukowski, Henry Miller, Philippe Djian, Michel Houellebecq, Louis-Ferdinand Céline, Tolstoï ou Dostoïesvski. Je joue aussi de la guitare. J’en possède plusieurs, ce qui me permet sans doute de m’illusionner en imaginant que je ne joue jamais du même instrument. J’aime aussi le piano (dont je joue malheureusement avec moins de facilité). J’aime aussi bricoler, ce terme recouvrant les diverses formes de la construction, de la confection ou de l’assemblage. Les réparations de tous ordres m’intéressent particulièrement : l’imagination et l’ingéniosité sont dans ces cas-là toujours sollicitées et c’est sans doute cet aspect créatif qui me plaît dans cette activité pourtant « non intellectuelle ». Je crois que j’aime faire beaucoup de choses, je veux toujours satisfaire ma curiosité. Malheureusement, les journées ne font que vingt-quatre heures, ce qui est quelquefois un peu juste…
Bibliographie d’Ivan Laplaud (des fiches livres seront régulièrement ajoutées)
- La magie de Mickaël Stutzinger – Cœur (Édition Ivan Laplaud, 2002).
- La magie de Mickaël Stutzinger – Trèfle (Édition Ivan Laplaud, 2003).
- Magie sans artifices de Mimosa (Éditions Magic Dream, 2005).
- Cent pour Cent Ultimate – Tout sur le jeu marqué créé par Damien Vappereau et Jean-Marc Gaheri (Éditions Magic Dream, 2006).
- La magie en restaurant de Nourdine (Éditions Magic Eyes, 2007).
- The Ultimate Marked Deck companion book (Éditions Magic Dream, 2008).
- Pierre Jacques – Le Gentleman-Pickpocket (Éditions Papier magique, 2008).
- La magie de Mickaël Stutzinger – Tome 1 / Cœur et Trèfle (Éditions Marchand de trucs, 2011).
- Briquet et magie (Éditions Papier magique, 2011).
- La magie en cocktail de Nourdine (Éditions Magic Eyes, 2016).
- La magie de Mickaël Stutzinger – Tome 2 / Pique et Carreau (Éditions Marchand de trucs / Magic Dream, 2018).
- Jean Faré – French Style (Éditions Papier magique, 2019).
- Pierre Switon – Comme par magie (Éditions Georges Proust, 2019).
- Pop-Up Magic d’Eric Leblon (Éditions Marchand de trucs, 2020).
Collaboration à l’écriture
- Doubles faces de Zakary Belamy (C.C. Éditions, 2004).
- Close-up, Les vrais secrets de la magie de David Stone (Éditions Pamadana, 2006).
Interview réalisée en juillet 2020. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Ivan Laplaud. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.