Harry Blackstone fut le dernier grand magicien américain de l’âge d’or de la magie scénique, dans la lignée de Kellar et Thurston. Sa carrière, haute en couleurs, s’étendait dans différents lieux : au théâtre, au music-hall (il joua dans sa jeunesse sur les show-boats) au cinéma, (une heure de représentation sur scène en complément du film) à la radio, pour finir à la télévision.
Henri Bouton en 1908.
Blackstone fut inspiré, à ses tout débuts, par un autre magicien. C’est dans sa ville de Chicago qu’il assista au spectacle de Harry Kellar et qu’il décida de faire le métier d’illusionniste. Avant cela, le jeune Henri Bouton effectua divers emplois comme charpentier, et utilisa ses compétences en ébénisterie pour concevoir et construire ses futurs accessoires de magie avec l’aide de son frère Pete. En 1904, avec Pete, il monta une comédie magique intitulée Straight and Crooked Magic. Henri Bouton fit ses tournées sous divers noms, parmi lesquels le sien et « Fredrik, the Great & Co ». Vers 1918, quand il prit le nom de « Blackstone The magician » en raison de l’impopularité des noms allemands, il s’affirma déjà comme un des meilleurs magiciens et voyageait avec plus de dix assistants. Blackstone signa de grands succès dans le vaudeville et le music-hall dans les années 1920 jusqu’au début des années 30.
Calme, élégant et posé, Blackstone portait un traditionnel nœud papillon blanc et un costume à queue de pie lors de ses spectacles. Il effectuait beaucoup de ses tours en silence, se faisant accompagner par un orchestre qui jouait en direct des airs entraînants de l’époque. C’est à ce moment qu’il élabora avec son frère un spectacle d’illusion à grande échelle et commença à parcourir le Midwest. A la différence de beaucoup de ses contemporains globe-trotters, Blackstone fut un magicien strictement américain, si l’on excepte un unique engagement aux Bermudes.
Blackstone (à gauche) et son frère Pete Bouton, inséparable partenaire !
Un jour, le légendaire Harry Kellar assista à une représentation de Blackstone à Los Angeles. Il fut tellement impressionné par la performance de son homologue qu’il lui rendit visite dans les coulisses pour le féliciter. Les deux magiciens se lièrent vite d’amitié, et partageront beaucoup de secrets par la suite.
Les diablotins chuchotant à l’oreille furent popularisés par Kellar à la fin du XIXe siècle. Son successeur Thurston les reprit sur ses propres affiches avant d’être copié à son tour par Blackstone. Durant un demi siècle, ces figures sataniques constituèrent l’emblème des grands magiciens américains.
Après la mort de Howard Thurston, son principal concurrent, en 1936, Blackstone fut solidement confirmé comme le plus grand magicien américain de scène. Il faisait des tournées avec un spectacle qui durait deux heures et demie dans de vrais théâtres et avec son spectacle d’une heure, défilant à toute allure, il jouait dans les salles de cinéma.
Quand il présentait ses illusions, Blackstone n’avait pas le sérieux de ses prédécesseurs. Les temps avaient changé, et le public aussi. Les adolescents et leurs parents, qui se bousculaient dans les cinémas pour voir Blackstone et son prodigieux spectacle d’une heure, n’appréciaient plus les représentations un peu lentes des grands magiciens du passé. Ils ne souhaitaient pas assister à un simple spectacle magie et voulaient être mystifiés par d’autres moyens. Blackstone répondit à leurs attentes en adaptant sa mise en scène et en surfant, entre autre, sur la mode des Spook shows.
BD, radio et télévision
Pendant la Seconde Guerre mondiale, en collaboration avec le gouvernement des Etats-Unis, Blackstone joua dans des camps de l’armée américaine (comme Orson Welles) avec le spectacle de magie le plus important du moment. En 1946, au sommet de sa carrière, Blackstone fut le héros d’une bande dessinée intitulée Blackstone-Super Magician Comics. Walter B. Gibson, créateur du personnage de comics trip The Shadow, conçu celui de Blackstone en 1941. Contrairement à Superman ou Batman, Blackstone était un homme réel qui utilisait la magie pour combattre la criminalité. De 1948 à 1950 une émission radiophonique de 15mn, intitulée Blackstone, The Magician Détective, était diffusée quotidiennement.
Blackstone, héro de la BD Blackstone-Master Magician Comics en 1946.
Blackstone représenté avec son tour emblématique de l’ampoule volante en 1946.
Lorsque Blackstone arrivait dans une ville avec son « Spectacle des 1001 merveilles », les enfants savaient déjà tout sur lui et arrivaient en bandes au théâtre, pour voir si son numéro était aussi sensationnel que ceux qu’il réalisait dans les bandes dessinées et sur les ondes. A cette époque, une de ses affiches le présentait comme « le Dernier des grands magiciens » et, en un sens, c’était vrai. Il utilisait les medias de son temps pour mieux vendre son image auprès du public.
A la fin des années 1940, Blackstone fait de nombreuses apparitions télévisuelles dans des émissions-spectacles, comme The Tonight Show avec Steve Allen, le Ernie Kovac Show, Person to Person et This Is Your Life.
Blackstone en compagnie de Laurel et Hardy.
Retraite
Dans ses dernières années d’activité, le spectacle de Blackstone transportait vingt-six personnes et trois tonnes de matériel, et il fallait pour le transporter une camionnette de plus de vingt mètres de long. Quand il abandonna le numéro de danse qui ouvrait son spectacle avec des girls, Blackstone fit son entrée en costume de soirée et en cape d’opéra exactement comme dans les bandes dessinées dont il était le héros. Il lançait ses gants blancs en l’air, qui se changeaient en deux colombes.
Blackstone en condition de close-up en 1961.
En 1955 Blackstone, se retira à Hollywood et se contenta d’apparitions occasionnelles à la télévision et de séances de close-up (où il excellait), qu’il donnait au Magic Castle. Il mourut chez lui le 16 novembre 1965 à 80 ans. De nos jours, une salle du Magic Castle porte son nom, ainsi que la rue principale de Colon (Michigan), la petite ville où il passa tant d’années à créer et préparer ses spectacles.
Blackstone au Magic Castle en 1964, un an avant sa mort.
Son répertoire
Blackstone reprit avec succès quelques tours de ses illustres collègues comme la lévitation
et le mouchoir dansant de Harry Kellar, la femme sciée en deux de Horace Goldin, ou la disparition de la cage à oiseau de Buatier de Kolta.
– La femme sciée en deux. Derrière les rideaux fermés de la scène, on pouvait entendre un vrombissement lugubre. Quand les rideaux s’ouvrirent, Blackstone fit une entrée brillante, élancé, portant un haut-de-forme blanc. Au centre de la scène, il y avait une scie circulaire électrique énorme de 1,30 mètre de diamètre ; entraînée par un moteur tournant dans une charpente massive. Blackstone avançait vers la scie, tirait sur un levier qui envoyait une planche vers la lame, qui la sciait net en deux. Il s’approchait alors de la rampe, les deux morceaux de bois sciés à la main, et expliquait ce qui allait se passer : « Dans les montagnes de l’Himalaya, on pratique l’hypnotisme pour arrêter les hémorragies, dans certaine opérations. Ce soir, je vais moi aussi avoir recours à l’hypnotisme, puisque je vais scier en deux une femme exactement comme j’ai scié ce morceau de bois. Alors, aidez-moi ! » Son assistante était alors installée, la tête posée sur la plate-forme de la scie. La scie tranchait ce qui était apparemment le creux de son estomac (elle entaillait même une planche derrière elle). Après une « formule magique », Blackstone présentait son assistante entière ! Pendant que les rideaux se fermaient, Blackstone, d’un clin d’œil, signifiait aux spectateurs qu’ils pouvaient rouvrir les yeux ; le numéro était fini.
– Le congrès des spectres. Une des attractions favorites de beaucoup de magiciens, s’appelait « la Nuit des spectres » et elle consistait en apparitions mystifiantes de fantômes, en manifestations d’esprits avec, le plus souvent, une extinction totale des lumières du théâtre et du cinéma (Black out), qui provoquait beaucoup de cris dans la salle. La version de Blackstone intitulée le congrès des spectres proposait des images vivantes, donnant le frisson grâce à l’apparition de diables verts et rouges agrémentée d’un texte explicite : « Quand le grand Blackstone sonne le tocsin, les habitants du monde spirituel arrêtent leurs entreprises infâmes et se rassemblent pour énumérer les ordres de leur maître. Puis, au commandement du plus grand magicien que le monde ait jamais connu, les gnomes, les croquemitaines, les fées, les farfadets, les nains, les lutins, les feux follets, les spectres, les fantômes, les apparitions spectrales, et les dames blanches rivalisent en sottises délicieuses avec lesquelles elles obtiennent une approbation joyeuse des ennemis mortels de jadis. »
Blackstone et ses « Girls ».
– Les nuits orientales. Au fil des années, Blackstone présenta des pièces magiques combinant plusieurs illusions à l’intérieur d’un contexte dramatique. Les nuits orientales étaient un spectacle scénique qui voulait rivaliser avec la splendeur royale de la cour de Salomon en proposant des métamorphoses kaléidoscopiques, composées de diverses scènes des légendaires Mille et une nuits parmi lesquels Le cheval qui s’évapore, La corde indienne, Le dromadaire enchanté, ou L’étalon fantôme. Un autre sketch de Blackstone, cette fois avec un arrière-plan historique, était inspiré de la révolte des Cipayes. Blackstone était ligoté devant un énorme canon et disparaissait dans un nuage de fumée lorsque le canon faisait feu. Un peu plus tard l’Indien barbu qui avait tiré le coup de canon enlevait son déguisement et on découvrait que c’était Blackstone.
– The lighting box. Dans ce tour, une femme entrait dans une boîte en face de nombreuses ampoules à incandescence. Le magicien poussait soudainement la façade perforée de la boîte vers l’arrière, ce qui transperçait la femme de part en part. La boîte était ensuite tournée à 360° pour faire constater l’empalement par les ampoules en saillie, aveuglant les spectateurs.
– La disparition de la cage à oiseau. Un effet dans lequel une vingtaine d’enfants étaient invités sur la scène et mettre leur main sur une petite cage tenant un canari. Blackstone réduit la cage puis, la jeta en l’air pour faire disparaître l’oiseau et la cage, à la grande surprise des enfants.
– Le Jardin des Fleurs. Un tour dans lequel d’innombrables bouquets de fleurs en plumes brillantes apparaissaient sous un foulard jusqu’à recouvrir entièrement la scène dans une débauche de couleurs.
– Lévitation. Blackstone racheta la lévitation de la princesse Karnac à la famille de Kellar après sa mort et présentait ce chef-d’œuvre à la perfection en concurrence avec Charles Carter.
– L’ampoule flottante. Ce tour était la signature de Blackstone. Dans une salle obscure, le magicien prenait une ampoule allumée à partir d’une lampe et faisait flotter celle-ci dans les airs. Il passait ensuite un petit cercle autour pour prouver qu’elle n’était pas retenue par quelque chose. Il descendait alors dans la salle et promenait l’ampoule au dessus de la tête des spectateurs.
– The Dancing Handkerchief. Une des spécialités de Blackstone était le mouchoir dansant. Une routine empruntée à Kellar (The Ghost of Cagliostro, 1894), dont l’original remonte à 1888 avec l’armoire spirite de J.N. Maskelyne. Dans cette saynète, un mouchoir blanc, prit dans le public, s’animait soudain d’une vie propre et répondait aux ordres de Blackstone.
Blackstone présentant le mouchoir dansant en 1957.
– Qui porte la barbe ? Une illusion si surprenante que durant des décennies, elle constitua le final des spectacles de Blackstone père et fils. Le magicien, menacé par un voleur à barbe blanche brandissant un revolver, disparaissait mystérieusement pour ne reparaître qu’au moment de saluer sous les traits de l’homme aux favoris blancs dans un coffre vide, en enlevant son postiche. Le public admirait un maître du spectacle dont la technique était rodée par des dizaines d’années de représentations.
Blackstone lors de son grand final intitulé Qui porte la barbe ?
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