Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Chez les voyageurs et les forains, nous sommes magiciens de père en fils, de mère en fille. Les femmes sont voyantes et les hommes s’illustrent par l’originalité de leur répertoire souvent emprunté à la prestidigitation. C’est un cliché, mais dans ma tribu, c’est le cas !
Le déclic ? Une éducation religieuse stricte est venue confirmer que toutes les grandes civilisations se sont construites sur des actes de magie. J’ai aussi très vite compris que la magie pourrait me faire entrer là ou ma condition sociale ne le permettait pas, et qu’avec elle à mes côtés je n’aurai plus jamais faim ni soif.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Mon premier engagement sérieux, c’était au Cirque de Mexico en 1985 à Mérida au Venezuela devant l’Université des Andes, j’avais acheté mon matériel à la Casa Magica à Caracas chez le magicien Henry, le magicien du président. Mon maître et mentor Alain P. était un français en cavale en Amérique latine, qui m’avait choisi et initié à la tricherie, à la cartomagie moderne, au pickpocketisme et à la manipulation de cartes pour la scène. J’ai été son complice pendant quatre ans et je n’avais pas le droit de faire de la magie devant d’autre que lui et ses femmes.
A l’époque où Internet n’existait pas, c’était difficile de trouver des livres de magie et un lien sacré unissait le Maître et l’apprenti. J’ai tout pris comme un cadeau, une révélation. En 1989 j’ai débarqué en France et je suis allé au congrès AFAP de Cannes. J’ai rencontré Tommy Wonder, Lubor Fielder, Bébel, Majax, Bruno Copin et sa muscade ensorcelée…
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
En première ligne les femmes qui m’ont soutenu, éduqué et qui ont sans aucun doute fait évoluer ma perception du monde. Ensuite, les amis artistes, techniciens et entrepreneurs de spectacles qui m’ont permis de découvrir la richesse et la complexité de la magie et des arts du spectacle. Je suis nu, mouillé et affamé, « break less ». Quand je vois un mur, je ne panique pas, je change juste de direction.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Aujourd’hui, notre exposition animée investit les châteaux, hôtels, jardins et sites architecturaux, musées, galeries d’art et festivals dans le monde entier. Elle prend la forme d’une visite guidée par petit groupe pendant une durée déterminée, exactement comme un entresort. Le public n’est pas captif et nous exploitons la curiosité du public pour tout ce qui est étrange, primitif, animal ou dépaysant.
Parlez-nous de votre Cabinet de Curiosités
Dans cette exposition les spectateurs rencontrent des créatures étranges, des farces surnaturelles, des trésors cachés que l’on offre aux regards que par intermittences ou pour de brèves visites. Une fois la visite terminée, ils se souviendront alors de ce qu’ils avaient oublié.
La Famille Atomik est douée d’une aura singulière dont la vertu magique est attachée à la culture de la curiosité et du mystère. Dans cette exhibition on intègre une touche humoristique au registre prédominant, la mise en scène et le boniment sont tellement outranciers que le public en perçoit l’intention comique. En jouant sur cette frontière nous rendons les spectateurs complices de l’arnaque. Par « Cabinet de Curiosités » nous entendons bien sûr, la mise en scène d’individus présentant des anomalies physiques, mentales ou comportementales réelles ou simulées en vue du divertissement et du profit.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Les prestations de Channing Pollock et de Haruo Shimada, Slydini aussi c’est magique. En cartomagie, René Lavand, Ricky Jay, Del Ray et Steve Forte m’ont impressionné. Philippe Genty avec ses marionnettes, je n’ai toujours pas compris les trucages. Les chorégraphes de génie comme Pina Bausch et Carolyn Carlson, les clowns Grock, Georges Carl, Oleg Popov et le provocateur Leo Bassi. Le conteur Georges Gougaud, les mimes Marcel Marceau et Claude Kipnis, les acteurs Charlie Chaplin, Orson Welles et Guy Williams, le Zorro mythique dont je suis aujourd’hui le sosie officiel (voir la photo ci-dessous).
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La magie « rêvante », la magie nouvelle, la magie bizarre, la tricherie sacrée, la parapsychologie, la magie rituelle, la magie qui mélange le conte, le théâtre d’objets, la marionnette, les arts décoratifs et annexes. La magie qui se lit comme un bulletin d’informations divin.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Les bateleurs, les charlatans, les illuminés, les personnages complexes et ambigus, les penseurs, les poètes et écrivains ésotéristes à clefs, les fabricants d’entresorts, les faussaires, les gourous et d’autres artistes atypiques qui ont influencé mon travail.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Dans le spectacle, les magiciens sont à la fois des metteurs en scène, des comédiens et, à des degrés très variables, des mécaniciens. Hors du spectacle, ce sont des sculpteurs, des décorateurs, des costumiers, des électroniciens, des auteurs, des communicants, des entrepreneurs, etc. Un vrai sacerdoce qu’il ne faut pas oublier si on veut durer dans ce métier.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
On assiste de plus en plus à un démembrement de la magie à cause d’une idéologie qui a fait de l’artiste un acteur du lien social, du vivre ensemble, à la place de l’éternel rebelle au grand cœur. Avec cette idéologie, le corporatisme et la copie, l’artiste est réduit peu à peu. On le force à rentrer dans un moule façonné par des « docteurs de l’art collégial ». Conséquences : plus de magie avec animaux, plus de latex d’hévéa (ballon), plus de feux ni de pyrotechnie et bientôt avec le digital et le virtuel, plus de magicien. Ce qui a pour effet de provoquer dans le public un conditionnement qui le conduit à ne regarder que des spectacles qui mettent en œuvre les mêmes codes de références, les mêmes moyens d’expressions.
A mon avis, le but de la magie n’est pas seulement de créer un divertissement plaisant ou de sacrifier à un effet de mode, mais de donner forme à ce qui doit rester au théâtre l’indicible par excellence. Pour l’Atomik Family, le magique dans les arts vivants est avant tout le frappant, le surprenant et la turbulence.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Chaque art garde en sa mémoire mythique une parcelle du savoir caché de l’univers. L’art qui possède au plus haut degré cette réminiscence est assurément celui des magiciens. Sans culture, comment répondre à l’engouement pour la pensée magique ? En inventant des histoires ? En évoquant des mystères de pacotille ? Sans culture la magie disparaît et devient vite un puzzle. Le magicien chroniqueur, faiseur d’opinion et maître du verbe doit connecter une histoire à une expérience émotive forte. Il opère et fait le lien entre culture populaire et culture savante… en théorie bien sûr, dans la réalité du marché c’est plus difficile, le magicien est aujourd’hui perçu de plus en plus comme un amuseur public. Il s’adapte au niveau culturel de son auditoire pour pouvoir remplir sa marmite.
Frédéric Dautigny avec sa partenaire Valérie Schmitt.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
La cuisine, la création de jardins, la taxidermie décalée, la pêche, les voyages, la recherche d’artefacts anciens et depuis peu l’écriture d’un livre de magie qui rassemble et révèle nos idées, nos scripts, nos textes, nos fêlures, notre singularité artistique.
– Interview réalisée en mars 2021.
À visiter :
À lire :
- Necronomicon de l’Atomik Family par Frédéric Dautigny (autoédition, décembre 2021). Format 25x25cm, 130 pages. Disponible chez l’auteur au prix de 65€. Renseignements à l’adresse suivante : frederic.dautigny@icloud.com
- Atomik Family – Frédéric Dautigny : Édition spéciale. Publication numérique gratuite signée ArteFake (28 pages, janvier 2022)
- Atomik Family Showroom
- BARNUM, itinéraire d’un mystificateur né
Crédit photos : Christophe Mourthé. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.