Comment êtes-vous entré dans la magie ? A quand remonte votre premier déclic ?
Il y a eu trois étapes marquantes :
– Au Conservatoire d’Art Dramatique de Rouen j’ai rencontré Hugues Protat qui, tel un Maître Zen a montré au « Petit Scarabée » que j’étais, la « Voie » du Magicien. Tout en poursuivant mon apprentissage de la comédie, mon souhait, très vite, a été de devenir magicien plus que de « faire de la magie ». Il y a là une différence qui détermine la façon dont on va pratiquer.
– Au même moment, en juillet 1982, j’assiste à mon premier Congrès FISM, à Lausanne : le même jour je vois Lance Burton et Otto Wessely : deux chocs énormes ! Je me rends compte que je n’ai cessé depuis d’évoluer entre ces deux paradigmes (j’ai décidé d’employer des mots qui en jettent !) : La magie « traditionnelle » et le comique. Je suis revenu de ce congrès tel Moïse redescendant du Sinaï (des références qui en jettent aussi… ) : Ma décision était prise : Je serai Comédien-Illusionniste.
– La lecture de La Trilogie de Jacques Delord. La Voie du Magicien transforme littéralement une vie, ces livres ont changé la mienne.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Il n’y a (ou il ne devrait y avoir) que des premiers pas, que des recommencements : quand on fait du close-up, à chaque table c’est un premier pas, chaque gala est une première, chaque nouvelle mise en scène est une expérience et une découverte. Un musicien (interprète de Piazzola) m’a dit un jour qu’on ne peut bien jouer cette musique que si l’on joue à chaque fois comme si c’était la première et la dernière fois. Une vraie leçon (pour le spectacle et peut-être pour la vie !)
J’ai appris essentiellement seul (comme beaucoup), conseillé par Hugues Protat, j’ai potassé les bouquins qui me tombaient sous la main, mais surtout le Veno (la vieille école : une chance… on travaille tout : c’est comme ça qu’on peut trouver ce qui nous « parle », ce qu’on pourra exploiter avec plaisir et offrir au public).
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ? A l’inverse, un événement vous a-t-il freiné ?
Au début, tout a été un frein : absolument tout le monde m’a déconseillé de faire ce métier ou de me consacrer exclusivement au spectacle. Ca a eu un effet extrêmement motivant. Vu les difficultés qu’il faudra affronter par la suite, autant surmonter très tôt les obstacles : ils deviennent (c’est bien connu !) de formidables occasions de progresser. Toutes les rencontres avec d’autres artistes (et pas seulement des magiciens) ont été des opportunités : lorsque Hugues Protat a monté le premier Festival International des Magiciens (en 1988), bien des rencontres sont devenues très enrichissantes (Ali Bongo, le meilleur « Maître de Cérémonies » que j’aie jamais vu ; Jean Régil, dont je conseille la lecture de son interview pour Artefake ; ALPHA, grâce à qui nous avons pu, avec Hugues, monter des projets d’envergure et collaborer avec Daniel Mesguich ; Jean Merlin et son super Mad Magic et qui m’a permis de travailler dans des cabarets italiens où j’ai beaucoup appris ).
Se lancer dans une liste comme ça, c’est prendre le risque d’oublier bon nombre d’amis… Tout récemment, pour s’en tenir au milieu magique, j’ai eu la chance de travailler avec Antoine Salembier (connu pour le numéro de transmission de pensée « Antoine et Val »), qui a grandement contribué à la réalisation de mon dernier spectacle Les Folies Méliès mis en scène avec Patrice-Vrain Perrault. Je dois également beaucoup à Patrick Houdequin, directeur du Théâtre Princesse Grâce et qui a présidé à la destinée du merveilleux Festival de Monte-Carlo (les Magic Stars) : il m’a renouvelé sa confiance à plusieurs moments et je crois qu’un grand nombre de magiciens peuvent lui être reconnaissants !
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Véritablement dans toutes les conditions ! Je suis ce qu’on peut appeler un MTT : Magicien Tout Terrain. J’ai travaillé dans des pizzerias et des Zéniths, sur des plateaux de télévision et pour des anniversaires de gosses. J’ai eu toutes sortes de loges : des suites de palaces, des placards à balais ou encore… le bureau de Giscard d’Estaing (au Conseil Constitutionnel)… C’est ce que vivent la plupart de mes confrères (et consœurs !) Je les admire, entre autres, pour leur capacité à s’adapter, et à assurer en toutes circonstances.
Je fais une partie de ma carrière sur des bateaux de croisière (souvent à la fois comme artiste et comme directeur de croisière) : c’est aussi une sacrée école, quand il faut jouer par force 8, devant un public exténué d’avoir crapahuté en excursion toute la journée et qui n’hésite pas à quitter la salle au bout de 5 minutes s’il n’est pas absolument emballé… Bon courage ! Heureusement, la plupart du temps tout se passe bien, et il y a une vraie reconnaissance de la part du public que l’on côtoie pendant toute la durée du voyage.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Avec ceux que j’ai cités plus haut, disons… quelques petits nouveaux (parmi ceux que j’ai eu la chance de voir en live) : Siegfried and Roy, Shimada, Paul Daniels…
Mais au fond, ce qui m’épate vraiment, ce sont des faits d’armes inconnus, le quotidien d’artistes qui font tout simplement leur boulot le mieux possible. Ce n’est pas démago de dire ça car c’est ce que j’éprouve vraiment. Deux anecdotes me reviennent en mémoire :
– Un concert sur un bateau de croisière : une mer déchaînée, les pupitres volent sur la scène, la pianiste s’accroche aux notes… Et une jeune soprano, éblouissante, dans l’air de la Reine de la Nuit de Mozart. Je me demande comment elle arrivait seulement à tenir debout, sa voix dominait la mer, son art semblait dompter une nature déchaînée. C’était au-delà de la virtuosité. Il y avait peu de gens dans la salle, mais, certains, habitués des opéras, en ont parlé comme du plus extraordinaire concert qu’ils aient jamais entendu. La chanteuse s’appelle Melody Louledjan. On aurait pu annuler le concert, elle ne l’a pas souhaité. Ca a été un triomphe confidentiel ! Cyrano disait : « C’est encore plus beau quand c’est inutile ».
– Autre exemple : Un métro bondé, des valises que même Shiva aurait du mal à porter, des colombes, un lapin, un petit chien, une magicienne qui se démène avec tout ça, qui traverse Paris et arrive dans un endroit sans scène, sans lumière, sans sono, devant un public indifférent et des gamins braillards… Elle commence comme si elle était au Royal Albert Hall : elle enchaîne, ne laisse pas le temps au public de dire oui ou non… Et elle fait un tabac ! Elle s’appelle Ilva Scali. Rien dans ses tours qui puisse épater un congrès de magiciens, mais, comme tous ceux qui ont l’amour du spectacle et du public, « à la fin de l’envoi, elle touche »… comme Cyrano, encore !
C’est sûrement un goût bien français que d’admirer « d’illustres inconnus », mais je trouve que la beauté même de notre art réside dans cet aspect confidentiel qui est éprouvé en fait par la majorité d’entre nous.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Pour poursuivre mon propos, et logiquement, le style de magie qui m’intéresse est celui où je vais rentrer dans une vraie communication, une proximité avec le public. Evidemment, le close-up s’y prête plus volontiers, mais j’ai dû me lasser de ce qu’on appelle le « Close-up à la chaîne », où l’on doit faire 18 tables en 75 minutes… La taille de la salle ne change rien à l’affaire : on peut être distant vis à vis de 4 personnes ou créer une intimité dans un théâtre de 1500 places.
En fait, pratiquement tous les aspects de l’illusionnisme se prêtent à cette proximité, même les Grandes Illusions (j’ai vu Copperfield y parvenir dans ses meilleurs moments, et passer complètement à côté quand son arrogance reprenait le dessus).
Quels sont vos influences artistiques ?
Multiples : une peinture de Magritte quand j’ai créé L’Homme aux Quatre Mains, des tableaux de Jérôme Bosch pour L’Illusion Symbolique (avec Hugues, Alpha, une mise en scène de Daniel Mesguich), la musique Mozart l’Egyptien pour Extravagance Royale (mise en scène par Patrice-Vrain Perrault), Le spectacle O du Cirque du Soleil pour la création d’Angésis (monté à la Maison de la Magie), les films de Méliès pour Les Folies Méliès, etc.
Quels conseils et quel chemin conseiller à un magicien-mentaliste débutant ?
N’écoutez pas les conseils !
J’ai la chance et l’honneur de faire partie des coachs de l’Equipe de France, à l’instigation de la FFAP. Je vois les limites et la difficulté de donner (et de recevoir !) des conseils. Lorsqu’un numéro ou un spectacle est en gestation (et il peut l’être longtemps), son créateur entend toutes sortes d’avis, qui sont parfois contradictoires. Il vaut mieux parfois être sourd à tout ça et retourner à la source de son inspiration (parfois profondément enfouie)… mais dire ça, c’est déjà donner un conseil.
Pour ce qui est du mentalisme, je ne suis pas très calé… Mais je pense avoir le point de vue du public et il est certain que le cocktail gagnant est d’ajouter une bonne dose d’humour dans tout ça ! Les numéros de mentalisme n’échappent pas aux règles du spectacle (même si on pense que les règles sont faites pour être contournées) qui sont :
–
–
–
(Je ne vais quand même pas tout vous dire… !)
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
La magie actuelle ou la magie nouvelle ?
Nous sommes en train de changer de public : La plupart du temps nous avons affaire à des gens qui ne sont pas venus nous voir spécialement (dans le secteur événementiel, les cabarets, les paquebots…) Or il y a de moins en moins de cabarets, donc moins d’opportunités de travail (de même que dans l’événementiel), mais de plus en plus de festivals et même des tournées (comme le Festival International de la Magie, organisé par Gérard Souchet), ce dont il faut se réjouir. Le public choisit donc d’aller voir de la magie, mais il est aussi plus exigeant et il y a un certain formatage dû à la télévision (surtout pour les grandes illusions).
Les créateurs de spectacles se tournent maintenant vers les milieux culturels et les théâtres. Nous nous sommes lancés (notamment avec Hugues Protat) dans ce type d’aventure il y a 30 ans et des lieux qui semblaient définitivement fermés à l’art de l’illusionnisme commencent à s’ouvrir : on prend peu à peu conscience qu’il s’agit là d’une vraie culture. De même pour ce qui est de la programmation des festivals, certains « acteurs » de la vie culturelle reconnaissent qu’un art « populaire » (au noble sens du terme) a toute sa place dans des salles réservées jusqu’à présent au théâtre, à la danse contemporaine ou à la musique. La magie réunit des familles entières (auxquelles certaines élites pensaient qu’il n’était pas utile de s’adresser !) et c’est une des seules disciplines à réussir cela. A une époque où l’on parle d’union, de cohésion sociale, le spectacle magique et sa diffusion vers un public le plus large possible trouvent une pertinence accrue.
La question centrale est celle du succès : Le succès de la magie ne semble pas plaider en sa faveur auprès de certaines élites ; le succès est suspect : on soupçonne des compromissions, parfois même une forme de facilité, voire de vulgarité ! Cette attitude ne concerne pas que le vaste monde de la culture, je la constate même dans certains de nos congrès ou de nos concours.
Je me suis toujours senti « condamné » au succès… sinon, exit ! À la rue ! (avec tout le respect que j’ai pour les artistes de rue qui sont souvent extraordinaires). La rencontre avec un public suppose de lui plaire… Mais on peut trouver cette démarche antiartistique… Vaste et très vieux débat ! Pour mettre les pieds dans le plat, je dirais qu’il y a deux types de spectacles : les spectacles à succès et les spectacles subventionnés… c’est réducteur et parfois injuste… mais je l’ai vérifié. Ayant travaillé avec plusieurs compagnies de théâtre, de danse contemporaine, et ayant monté une douzaine de spectacles dans toutes sortes de styles, je parle d’une aventure que je connais…
La magie actuelle, à différents niveaux, est soumise à ce genre de pression : il y a un vrai effort pour défendre l’aspect artistique « pur et dur » de la discipline, et en même temps, dès qu’on rencontre un public, on a la tentation de revenir à des façons de faire (de type cabaret ou cirque) qui ont fait leurs preuves. Celles et ceux qui montent des numéros en ce moment sont un peu des funambules en équilibre entre ces deux postures. On se dit qu’il faut suivre son inspiration, aller à fond dans ce qu’on a envie de faire… et l’assumer ! Parfois ça marche… et parfois, même quand tous les ingrédients du succès sont là, ça ne marche pas (ou pas comme on le voudrait)… Je ne sais pas où est l’art dans tout ça, je vois plus les magiciens comme des artisans, à la recherche du geste juste, dans le secret de leurs fabrications et de leurs ateliers, il me suffit pour ma part d’effectuer un « divertissement sincère » : on ne peut rencontrer le public que là où il est et tel qu’il est. Ensuite, on l’amène où on veut, il faut se faire confiance et lui faire confiance ! (Et dire que je ne voulais pas donner de conseils !)
Quelle est l’importance de la culture dans l’approche de la magie ?
Je pense que mes réponses sont tellement longues que personne n’est allé jusque là… Mais pour celle ou celui qui me lit encore : félicitations et gratitude !
Concernant la culture magique, on n’en sait jamais assez. Les vieux bouquins du début du XXème sont des mines d’or (David Devant, Goldston…) Les Copperfield et Dani Lary, les connaissent et y puisent sans cesse… Je pense que c’est un peu pareil dans tous les domaines du spectacle (les nouveaux clowns connaissent les « entrées » qui se faisaient il y a 100 ans). Il y a des discussions parfois épineuses concernant la propriété artistique, savoir qui a inventé quoi, etc. Ca trahit l’importance de l’égo chez les magiciens ! En fait, on s’en fout un peu. Tous les arts procèdent par des successions d’emprunts, d’ajouts, d’améliorations (ou d’altérations), Haydn ne faisait pas un procès à Mozart s’il s’était inspiré d’un air ou d’une symphonie « lui appartenant » : mon prof de théâtre disait : « On est tous des emprunteurs, mais il faut rendre avec un intérêt ! »
Il faut se sortir de cette bulle et multiplier les contacts avec des artistes de toutes disciplines (les stages de magie nouvelle sont en ce sens très intelligents), des solutions et surtout des idées peuvent être apportées par des danseurs, jongleurs, musiciens, réalisateurs…
Vos hobbies en-dehors de la magie ?
Sans surprise : j’ai la chance d’effectuer un métier qui est mon hobby ! Mes hobbies sont liés au spectacle : aller voir des comédies musicales (à Londres), regarder toutes sortes de shows, dernièrement, grâce à Jean Régil, j’ai vu le DVD de Liza Minnelli au Radio City Music-Hall de New-York (1992) : Une claque ! … Et répondre à des interviews !
A visiter :
– Le site de François Normag.
Interview réalisée en février 2015. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Mikelkl, Tinoy Intrala, Frédéric Albert. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.