Reconduite pour cause de crise sanitaire, la saison 2020 consacrée au spiritisme et aux fantômes joue les prolongations une année supplémentaire. Une chance pour ceux qui l’avaient raté car cette exposition temporaire est de haute volée.
L’équipe pilotée par Céline Noulin, et assistée par Antoine Souchet, a encore fait un travail remarquable de recherches et de collectes. Le fidèle Ludovic Meunier a construit une scénographie immersive et ludique avec des reconstitutions d’intérieurs bourgeois du XIXe siècle, un cabinet d’études littéraires et scientifiques, un atelier de photographe spirite reconstitué dans les locaux de la Préfecture de police, une pièce restituant l’inquiétante Maison de Winchester… Jean-Luc Muller a réalisé des reconstitutions historiques d’une grande justesse. Dr. Pêche, des Laboratoires CCCP, a mis au point une identité visuelle forte et percutante. Enfin, la collaboration avec les historiens et universitaires Antoine Leduc, Thibaut Rioult, Frédéric Tabet et Pierre Taillefer a fini de mettre au point la justesse historique que nous retrouvons dans le beau catalogue de l’exposition et la présentation ci-dessous.
L’exposition Esprits Fantômes propose de montrer les influences entre le spiritisme et l’art magique. Des années 1850 à nos jours, sont évoquées, à travers une centaine d’objets et de documents, des pratiques situées au croisement de la technologie moderne et de l’occultisme.
La croyance au monde surhumain des esprits et des fantômes se retrouve chez tous les peuples et à toutes les époques (Chaldéens, Égyptiens, Perses, Hébreux, Grecs, Romains…). L’antiquité s’exprime par la voix de ses oracles dans des sanctuaires aux noms immortels. Le Moyen Âge a scénarisé les grands trucs dans les « Mystères » joués en place publique. Durant la Renaissance, certains religieux peu scrupuleux n’hésitent pas à mettre en scène des fausses apparitions, au risque du bûcher.
Né aux Etats-Unis et importé en Europe vers 1850, le mouvement spirite trouve un terreau favorable dans le « mesmérisme ». La société est prête à accepter des phénomènes fantomatiques plus impressionnants, des tables parlantes des sœurs Fox aux matérialisations d’esprits par de talentueux médiums.
Mesmer
Dans les années 1770, le médecin allemand Franz Anton Mesmer développe la théorie du magnétisme animal, un fluide universel qui pénètre tous les corps animés ou inanimés. Ses techniques, basées sur l’état de transe ou de somnambulisme seront utilisées plus tard pour la pratique de l’hypnose. Malgré son succès en Autriche et en France, Mesmer, condamné par la plupart des institutions scientifiques européennes, doit quitter Paris. Après la coupure révolutionnaire, le mouvement repart progressivement. Les guérisseurs et artistes « mesméristes » se multiplient dans les années 1840.
Franz Anton Mesmer par Paul Carpentier (1847).
Les sœurs Fox
Le 31 mars 1848, à Hydesville, état de New York, une banale histoire de maison hantée transforme définitivement la vie de la famille Fox. Kate (12 ans) et Margaret Fox (14 ans) décident de répondre aux « esprits frappeurs », tandis que leurs voisins sont invités à assister à ces coups étranges qui répondent à presque toutes leurs questions. Les deux sœurs mettent au point un code plus précis tandis que leur aînée, Leah (23 ans), comprend très vite l’intérêt de les présenter dans les salons privés, moyennant finances. Le phénomène se répand en 1849 et la famille vient poursuivre ses séances à New York, avant d’entamer une tournée à grand succès aux États-Unis. Malgré les premières accusations de fraude dès 1851, c’est une hallucination qui s’empare de presque tout un peuple !
Les médiums renommés
Surnommé le « sorcier écossais », Daniel Douglas Home fascine par son mystère et la rareté de ses apparitions. Reçu par le Tsar Alexandre II et le Pape Pie IX, il défraie la chronique par ses projections de meubles et ses lévitations spectaculaires. Démasqué à Biarritz en 1856, en présence de Napoléon III, il est expulsé du territoire français. On attribue au séduisant Henry Slade le truc de l’ardoise spirite. En 1876, il éblouit son auditoire à Londres, capable d’écrire des messages avec de minuscules morceaux de craie entre les doigts, les orteils ou dans la bouche. Médium révélée à l’âge de quinze ans, Florence Cook se spécialise dans les matérialisations d’ectoplasmes. En 1873, son esprit-guide, Katie King, fait sensation en sortant de la cabine spirite pour discuter avec les participants.
Spiritualisme
D’origine américaine, le « spiritualisme » est avant tout une croyance en la possibilité de communiquer avec les esprits des défunts afin de recueillir des informations sur la vie après la mort. Avant d’être une doctrine, il est d’abord une pratique: on se préoccupe moins de savoir si c’est vrai, à bien des égards, que si « ça marche ». Les termes « spiritisme » et « spirite », inventés par le français Allan Kardec en 1857, ont permis de lever une ambiguïté lexicale. En effet, le spiritualisme désignait déjà ceux qui, au XVIII e siècle, en réaction aux « matérialistes », admettaient l’immortalité de l’âme et en étudiaient les facultés.
Main spirite de Bénévol vers 1900 (Musée d’art Roger-Quilliot, Clermont-Ferrand).
Dans la foulée des sœurs Fox, les médiums américains se professionnalisent rapidement et rémunèrent leurs services. Des conférenciers spécialisés se déplacent de ville en ville. La médiumnité devient l’un des premiers métiers féminins modernes et contribue à l’émancipation des femmes dans la société victorienne.
Le spiritisme en France
Le « spiritualisme américain » apparaît dans la presse française à l’été 1852, avant l’arrivée des premiers médiums en Europe. L’impulsion décisive vient d’Allemagne, notamment des grands ports de Brême et de Hambourg, en mars 1853. Surnommé par ses disciples le « guide » ou le « chef vénéré », Allan Kardec (1804-1869) est le fondateur et théoricien du spiritisme français, qui s’exportera avec succès au Brésil. Il réussit à transformer cette philosophie religieuse en mouvement populaire et social. Le spiritisme vise « le progrès individuel et social » avec une transparence des relations humaines. À terme, Kardec pense que la télépathie peut devenir le mode normal de communication. En quête d’identité, la littérature voit fleurir des romans spirites dès les années 1850. Alexandre Dumas, Victorien Sardou, Victor Hugo vivent l’expérience des tables tournantes tandis que d’éminents savants épousent la cause spirite.
Tombe d’Allan Kardec (Hippolyte Léon Denizard Rivail 1804-1869) au cimetière du Père Lachaise à Paris (2019).
La mise en scène du spiritisme
Les phénomènes spirites les plus extraordinaires présentent peu le caractère des faits naturels de la science. Ils s’inspirent de l’art magique, avec une progression dans les effets. De multiples trucs sont utilisés. L’émission de bruits, la présence d’un bonimenteur et l’accompagnement musical permettent de créer des « surprises » supplémentaires et de couvrir les gestes de l’opérateur. Un code simple permet de communiquer avec les esprits : un coup pour oui, deux coups pour non. Les dictées, lettre par lettre, au rythme des coups frappés par le pied du guéridon, deviennent vite fastidieuses. Des planchettes ovales munies d’un crayon (dites planches de OUIJA) prennent le relais vers 1855 mais se révèlent toujours incommodes. Alors le médium s’assied, tenant à la main son crayon et son cahier et se recueille un moment avant d’écrire la réponse de l’esprit : c’est l’écriture médiumnique.
Dès 1849, on rapporte le cas d’instruments de musique qui se mettent à jouer pendant les séances, sans avoir été apparemment touchés. Les médiums Daniel Home et Charles Foster sont célèbres pour leur piano à queue volant, point d’orgue de leur séance. Une nouvelle pratique consiste pour le médium à s’isoler dans un cabinet noir. Protégé par des rideaux, de façon théâtrale, il matérialise des pseudo-esprits par la bouche, le nez, le nombril. Ces ectoplasmes, sortes de morceaux de corps, sont à leur tour photographiés pour apporter la preuve de leur existence.
La photo spirite
Entre 1870 et 1930, l’interaction entre l’occulte et la photographie est très prolifique. Ce « troisième œil » constitue le médium idéal pour tenter de surprendre l’invisible et capter des spectres de vivants. C’est accidentellement, dans son atelier de Boston, que William Mumler (1832-1884) voit apparaître une jeune femme floue sur l’un de ses autoportraits, créant un effet étonnant. Publié à son insu dans la presse, ce cliché est considéré par les spirites comme étant la première manifestation d’un esprit. Si l’anglais Frederick A. Hudson réalise la première photographie spirite en Europe le 4 mars 1872, Edouard Buguet (1840-1890), installé à Montmartre en 1873, produit des portraits spirites de qualité supérieure.
Buguet et son oncle 1873-1875 (Archives de la préfecture de police de Paris).
Les spectres
L’approche spirite de l’art magique voit naître de nouvelles formes artistiques. Les spectres du théâtre et du jeune cinématographe concurrencent l’impact des séances de spiritisme, en particulier l’esthétique de Georges Méliès.
Evocation spirite (Georges Méliès, 1899).
En 1862, John Henry Pepper simule des apparitions de spectres sur la scène de la Royal Polytechnic Institution de Londres. Le Théâtre du Châtelet en acquiert les droits mais deux théâtres du boulevard du crime le devancent dont celui du prestidigitateur Henri Robin : il y présente des formes évanescentes, perçues par les spirites comme des attaques contre leurs propres croyances.
Le Pepper’s Ghost hante la scène de l’Institut polytechnique le 2 mai 1863.
Éventail publicitaire Robin 1865, H24xL45cm (Collection : Claude Naudet).
Les premières projections cinématographiques se déroulent à une époque où les phénomènes spirites défraient la chronique. En 1897, la revue scientifique La Nature suggère aux lecteurs la possibilité de créer des « cinématographies spirites », en usant de la double exposition. Ce nouveau langage fait éclater les confins de la rationalité pour voyager à travers l’impossible. Georges Méliès adapte la technique de la surimpression dans ses spectacles, puis au cinéma, influencé par le théâtre noir : c’est la « magie noire moderne ». Ses féeries jouent sur le potentiel fantomatique du médium. Méliès réalise la synthèse des techniques photographiques et théâtrales qui rivalisent avec ceux des spirites. en 1909, au Théâtre Robert-Houdin, il présente Les Phénomènes du spiritisme, un spectacle à succès diffusé à l’étranger qui constitue l’aboutissement de son travail sur le théâtre noir.
John’s marvels Poster (détail, 1887).
Le spiritisme dans l’art magique
La venue en France, en 1865, des frères Davenport est un événement capital dans l’histoire de la magie. Niant toute forme de trucage, ils font entrer le spiritisme dans la sphère du spectacle, au grand dam des illusionnistes ! Connus par des tournées aux États-Unis dès 1855, les frères Ira & William Davenport arrivent à Londres en septembre 1864. Leur numéro consiste à se faire enfermer dans une armoire, solidement ficelés, avant que les esprits ne se manifestent par différents phénomènes : cliquetis, martèlements, coups retentissants… Les sons diaboliques d’instruments accrochés à l’intérieur se multiplient : tambourin, guitare, violon, trompette, clochettes… Quand les portes s’ouvrent, les frères sont toujours calmement assis et fermement attachés ! L’Armoire Davenport préfigure le cabinet noir des médiums.
L’armoire de frère Davenport en 1860.
Les frères Davenport. Reconstitution dans le film de Jean-Luc Muller, 2020. (Crédit DR).
Tandis que la presse satirique et les intellectuels se déchaînent, les prestidigitateurs réagissent immédiatement. Henri Robin se met en tête de démasquer les deux frères et reproduit leurs tours dans son propre théâtre, boulevard du Temple, exposant à la vue de tous les secrets employés. Jean-Eugène Robert-Houdin et Alfred de Caston figurent parmi les premiers détracteurs. Les magiciens reprennent les procédés spirites pour s’opposer à leurs pratiques mais aussi pour le succès rencontré auprès du public. En 1873, John Nevil Maskelyne, associé à George Alfred Cooke, présente à l’identique le numéro de l’armoire et dévoile les techniques utilisées, à l’Egyptian Hall de Londres.
Après le départ des Davenport, l’effet du cabinet spirite entre dans le répertoire traditionnel des prestidigitateurs comme Harry Kellar, Howard Thurston, Dicksonn ou Bénévol.
Doyle vs Houdini
La controverse entre Sir Arthur Conan Doyle, père du légendaire Sherlock Holmes, et Harry Houdini, le plus grand prestidigitateur américain de tous les temps, est l’une des pages les plus passionnantes de l’histoire du spiritisme.
En 1882, alors jeune médecin près de Portsmouth, Conan Doyle (1859-1930) s’initie au spiritisme. Peu à peu, sa distance critique se transforme en conviction personnelle. Jusqu’à sa mort, Conan Doyle, soutenu par sa femme médium, mène campagne pour convaincre le grand public de la vérité du spiritisme. Il sillonne l’Europe et le monde, rassemblant près d’un quart de millions de personnes à travers ses conférences qui mêlent projections de photographies et messages philosophiques.
Sir Arthur Conan Doyle photographié chez le médium Hope à Crewe, en 1919.
Pendant trente ans, Harry Houdini (1874-1926) part en croisade contre les charlatans et les escrocs du spiritisme. Il accumule les témoignages, les documents, participe à de nombreuses séances spirites (plus de 100 en 1919) et livre son enquête en 1924, dans le livre A magician among the spirits. Prêt à se laisser convaincre, l’esprit ouvert, il avoue n’avoir jamais reçu la preuve qu’il est possible de communiquer avec les esprits. Son point de vue diffère de celui de Conan Doyle avec lequel il échange lettres et articles de journaux, mais la sincérité de ce dernier reste l’un des fondements de leur amitié, hors leur admiration réciproque.
Sir Arthur Conan Doyle et Harry Houdini.
Lors d’un séjour à Atlantic City, le 17 juin 1922, Conan Doyle propose à Houdini une séance spéciale, tenue par Mme Doyle, pour tenter de sentir la présence de sa mère bien-aimée, décédée en 1913. La lettre censée provenir de la mère du magicien est transmise en anglais. Or celle-ci n’a jamais maîtrisé cette langue depuis son arrivée aux Etats-Unis ! Houdini est profondément déçu.
Maison de la Magie R-H – Nouveautés 2021
Pour fêter les 150 ans de la disparition de Jean-Eugène Robert-Houdin, Le Temple des Prestiges de la Rotonde a été entièrement repensé et habillé d’une scénographie « sons et lumières » qui retrace l’histoire de la magie de l’Antiquité à l’époque moderne, le tout présenté par le maître lui-même. Un beau travail conçu par la société de design sonore Sound to Sight (basée au Mans) et le réalisateur Jean-Luc Muller.
Seminaire du Père J-Michel Horizontal – Rome Antique (tournage pour les vidéos de la Rotonde, avril 2021).
Soria Ieng et François Normag – Music-hall 1930 (tournage pour les vidéos de la Rotonde, avril 2021).
La salle des illusions d’optiques s’est refait une beauté avec des installations inédites comme un dallage qui se dérobe en trompe-l’œil où les spectateurs peuvent se faire prendre en photo. Philippe Socrate a accroché une série de ses géniaux travaux graphiques issus de son livre Tous les secrets des illusions d’optiques. Enfin, pour remplacer des installations qui demandaient des manipulations (Covid oblige), de magnifiques et rares reproductions de gravures du XIXe et du XXe siècle ont été accrochées (à l’endroit et à l’envers pour admirer, sans « se prendre » la tête, les subtilités optiques).
Au dernier étage de la Maison de la Magie, l’Hallucinoscope de Majax n’est plus (fin de son exploitation commerciale en 2020) et à la place se trouve la Salle Magicus où une animation permanente de magie de close-up et de salon a lieu. C’est l’excellent Sébastien Gayou qui se charge de divertir des petits groupes de spectateurs avec des tours interactifs et bien construits comme un bonneteau avec des cartes géantes ou une routine de prédiction avec une carte révélée à la manière de Boris Wild.
Illusions magiques (Théâtre Christian Fechner)
Un spectacle écrit et mis en scène par Bertran Lotth. Interprété par Soria Ieng et Akemi Yamauchi. Création 2021, durée 30mn.
Fil rouge de ce spectacle, un foulard rouge espiègle qui va faire le lien entre les différents tableaux. Dans un décor minimaliste, scène vide et rideau noir, deux femmes entrent sur le plateau et mettent en boîte le présentateur (Sébastien Gayou) qui disparaît instantanément à l’intérieur (montrée ouverte des quatre côtés). Soria s’empare de la boutonnière (foulard) de la silhouette de l’homme (dessinée sur la boîte) et la place dans un petit coffre mis de côté.
S’en suit une routine classique de foulard spirite (Spirit Dancing Handkerchief de J. N. Maskelyne, 1888) où l’objet s’anime tout seul, vole dans les airs, entre dans une grande jarre transparente et continue à s’agiter malgré un bouchon qui en ferme l’ouverture. Le foulard finit par s’évader de la jarre en faisant sauter le bouchon. La magicienne Soria le place alors dans une boîte en carton qu’elle tient des deux mains. Celui-ci s’agite en dehors du carton. Le carton est emmené en coulisse et revient sur une table à roulettes pour réaliser une variante de l’illusion Origami de Jim Steinmeyer (1986). La boîte est « dépliée » sur le socle à roulettes et le foulard en sort agité par une main. Akemi sort de la boîte avec.
Soria enchaîne en réalisant trois nœuds sur le foulard qui s’enlèvent magiquement pour être placés dans une bouteille transparente. Au final, le foulard est déplié et trois trous apparaissent dessus.
Akemi apparait, en train de lire, sur une table à tréteaux (Zaney Blaney Ladder Levitation, 1973). Soria commence à enlever un tréteau, puis un deuxième et sa partenaire flotte dans les airs. Un grand cerceau est passé autour, deux fois, pour prouver qu’il n’y a pas « d’attaches ». Pour finir, Akemi s’en va et Soria ouvre son livre qui produit alors du feu.
Akemi présente une routine classique de trois grands anneaux chinois sur une chaise de bar. Elle prend ensuite place dans un panier et disparait à l’intérieur sous le couvert d’un grand voile rouge agité par Soria. Cette dernière transperce alors de toutes parts le panier avec des sabres à LED. Une fois les sabres retirés, Soria place le voile dessus et s’assoie dans le panier pour prouver qu’il est vide. Le voile est relevé et Akemi apparait de nouveau. Ce classique Panier hindou (The Indian Basket du Colonel Stodare, 1865) est parfaitement exécuté, sur une musique orientale, avec fantaisie.
Soria enchaîne avec une One rope routine où son corps se cache derrière les grands rideaux du fond de scène et où seules ses mains apparaissent avec une corde blanche. A la moitié de la routine, le rideau s’ouvre et on voit les deux mains séparées par un trou, le corps ayant disparu ; une idée brillante. L’effet est minimaliste et visuel. Soria revient sur scène, exécute un nœud sur sa corde et le foulard réapparaît dessus.
Soria amène sur scène une énorme boîte montée sur roulettes et montrée vide sur l’arrière. Trois ouvertures sont disposées sur le dessus du plateau et trois seaux y sont placés. Un ballon rouge est déposé sous un des seaux et Soria commence à mélanger à la manière d’un bonneteau géant. La balle change plusieurs fois de place et change de couleur (blanche). C’est ensuite la tête d’Akemi qui apparait et change de place sous le mélange des seaux en faisant des grimaces. La boîte est alors retournée et montrée vide, pas d’assistante en vue, et repart en coulisses.
Akemi arrive avec une lampe torche et réalise quelques figures classiques d’ombres chinoises : le lapin, l’oiseau, le chat, le cerf… Un grand drap blanc est tiré de part et d’autre de la scène et Akemi se transforme en présentateur (celui du début).
Akemi place Soria dans une grande lessiveuse en forme de robot et fait tourner la tête à sa partenaire qui présente alors son corps entièrement vrillé en serpillère d’où on aperçoit le foulard rouge qui dépasse (Twister illusion de Lou Lancaster et Franz Harary, 1960-1986).
Salut des artistes et fin de ce spectacle sympathique et enlevé.
Dicksonn, un magicien à la Belle-Epoque
Le comte Paul-Alfred de Saint-Genois-de-Grand-Breucq est né dans le Nord de la France à Avesnelles en 1857. A douze ans, ses parents arrivent à Paris. Après le conflit de 1870, il entre en pension. A l’occasion d’une fête, il assiste à une séance de prestidigitation qui décide de son avenir. Le comte se mue en Dicksonn vers 1876 après avoir pris des leçons de diction avec Talbot et Rey de la Comédie-Française. Il obtient alors son premier engagement au Théâtre du XIXe siècle.
Dicksonn commence alors une carrière parisienne vers 1882. Au Théâtre Robert-Houdin, puis aux Folies Bergère, à l’Eden Théâtre, au Musée Grévin, à l’Alcazar, au Théâtre des Fantaisies-Nouvelles. Il fait le tour de l’Europe et voyage jusqu’en Algérie en 1900. Il revient à Paris diriger son propre théâtre de 1889 à 1894. Dicksonn est un créateur de tours qui « ne s’est pas contenté d’ajouter quelques ficelles aux trucs déjà connus. »
Dès 1892, Dicksonn commence de dévoiler certains tours en public que cristallise son livre Mes trucs (1893). En avril 1894, il réalise des expériences magiques en théâtre noir avec Liane de Pougy (également magicienne à ses heures), aux Folies Bergère. Vers 1900, Dicksonn fait évoluer son répertoire vers d’amusantes parodies des phénomènes de maison hantées et d’esprits frappeurs. Ses expériences spirites sont dans l’ère du temps. Il présente entre autre le Tableau du Diable où une main invisible trace à la craie des réponses à toutes les questions qui lui sont posées… Dicksonn réalise dès 1913 une série de conférences pédagogiques sur le spiritisme pour démystifier les médiums qui emploient des trucages. Missionné par le gouvernement, l’illusionniste donne ensuite une série de conférences anti-spirites dans toute la France.
A partir de 1925, Dicksonn s’attaque au fakirisme et donne également des conférences sur le sujet…
« Le digne successeur du grand Robert-Houdin ! Un roi de la magie, un prince du prestige. Dont le pouvoir séduit, charme et tient du prodige. Et dont le talisman vaut celui d’Aladin. Son portrait ? Au physique, un gentleman blondin ; moustache fine ; bouche où le rire voltige ! Ensemble qu’envierait le plus parfait gandin. Fort jeune encore, œil vif, ainsi que l’art l’exige. Au moral, très aimable et très spirituel. Familier de bon ton ; pas du tout solennel ; s’adressant avec tact à la foule enchantée. Mais il manque une rime encore à ce portrait… Je l’avais tout à l’heure… Ah ! Ca, qu’en ai-je fait ? Parbleu ! Dicksonn me l’a pour sûr escamotée. » (Beausapin – Le tintamarre, 1883).
En dehors des murs
Depuis 2013, l’escalier Denis-Papin se pare d’une nouvelle robe en trompe-l’œil, deux à trois fois par an. Sa monumentalité et sa perspective se prêtent à merveille aux jeux optiques faisant échos à l’actualité de Blois. Cet été 2021 met à l’honneur la lecture avec une bibliothèque géante composée des quatre-vingt-dix-huit ouvrages favoris des blésois et blésoises, et réalisée par l’artiste Philippe Merlevède.
L’escalier Denis-Papin en 2021.
L’escalier Denis-Papin en 1930.
Depuis le XIXe siècle, l’escalier Denis-Papin relie la ville haute et la ville basse. Au bout des cent-vingt marches, interrompues par quatre paliers, la perspective par beau temps peut s’étendre sur une dizaine de kilomètres, au-delà de Saint-Gervais-la-Forêt où se trouve le fameux Prieuré de Robert-Houdin.
La fin d’une aventure culturelle d’exception
Nous avons appris avec stupéfaction que Céline Noulin ne sera pas reconduite comme Responsable Culturelle au sein de la Maison de la Magie Robert-Houdin ! C’est un terrible coup dur pour elle et l’institution. Car depuis son arrivée à la tête de ce « vaisseau magique » en 2001, Céline aura redressé la barre de façon spectaculaire, faisant de l’art magique un spectacle culturel de premier ordre qui n’a rien à envier aux autres domaines artistiques. Domaines qu’elle aura l’intelligence de convoquer pour confronter les problématiques illusoires dans un va-et-vient favorisant les correspondances esthétiques et littéraires. Cette ouverture, cette curiosité et cette exigence étaient sa marque de fabrique, voulant faire bouger les lignes pour enfin faire reconnaitre la magie comme un art à part entière auprès des institutions gouvernementales. Souhaitons que le travail colossal réalisé par Céline Noulin, depuis vingt ans, n’aura pas été un coup d’épée dans l’eau. Mais ce qui est sûr c’est qu’elle aura éternellement la reconnaissance des illusionnistes pour « devoir rendu à la nation magique ». Nous lui souhaitons de vite rebondir ailleurs, vers de nouveaux projets, avec notre sincère soutien.
Céline Noulin en 2016, lors de l’exposition Mille et une magies.
Et maintenant, que va devenir ce lieu emblématique ? Tombera-t-il à nouveau dans la médiocrité de ses années « Astérix » ? Sera-t-il transformé en parc d’attraction sans âme ? Deviendra-t-il une coquille vide de sens et de culture, réduite à la réalisation d’ambitions personnelles ? L’avenir nous le dira vite.
A lire :
– Esprits fantômes : illusionnisme et spiritisme. Catalogue de l’exposition de la Maison de la Magie Robert-Houdin sous la direction scientifique de Thibaut Rioult et Antoine Leduc (2020).
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