Si l’art a pour mission d’être vrai au sens « idéaliste », c’est-à-dire s’il doit entrer dans une sorte de concurrence avec la connaissance rationnelle, son but doit consister nécessairement alors, au prix d’une renonciation à l’individualité et à l’originalité, où nous voyons habituellement l’éminente marque distinctive des productions de l’art, à ramener le monde visible aux formes qui ne changent jamais et qui sont universellement et éternellement valables. […] Et même lorsque ce but, dans la mesure des possibilités humaines, se trouve atteint, l’oeuvre d’art ne peut pas pour autant prétendre à un rang plus élevé que celui de « l’image » ; or l’image, malgré toute sa ressemblance apparente avec l’idée, est, à bien des égards, en contradiction avec elle et s’en trouve aussi éloignée que le « nom », à l’aide duquel le philosophe, soumis à la nécessité du langage, exprime ses réflexions.
Dès lors, la valeur d’une création artistique se détermine pour Platon comme valeur d’une recherche scientifique, c’est-à-dire en fonction de l’intelligence théorétique et surtout mathématique qui s’y trouve investie ; aussi bien, la majeure partie de ce que l’on a tenu et de ce que l’on tient encore en général pour l’art, et même pour le grand art, tombe pour lui sous le concept « d’art mimétique », contre lequel, dans le Xème livre de La République et dans Le Sophiste, il a lancé ses condamnations bien connues ; de deux choses l’une : ou bien l’artiste, et c’est le meilleur des cas, produit de scrupuleuses images, qui, prises dans le sens de « l’imitation par copie », reproduisent les contenus de la réalité qui se donne à la perception sensible, mais ces contenus-là seulement, et correspondant aux choses ; dans ce cas l’artiste se contente de redoubler inutilement le monde sensible qui, de toute façon, n’est lui-même qu’une imitation des idées ; ou bien il engendre d’incertaines et trompeuses apparences qui, au sens où s’entend « l’imitation par simulacre », rapetissent ce qui est grand et grandissent ce qui est petit afin d’induire en erreur notre regard, lui-même imparfait ; d’où il résulte que l’oeuvre d’art augmente encore la confusion qui est dans notre âme et constitue, par rapport à la vérité, et en deçà même du monde sensible, « une sorte de troisième terme éloigné de la vérité ».
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