Comment êtes-vous entré dans la magie ?
La première fois que je me suis présenté comme le grand « Didierini » magicien de l’impossible (c’était mon nom à l’époque), c’était à l’âge de 7 ans avec ma cousine. Pour faire rire les gens de ma famille, j’avais décidé de faire des numéros de prestidigitations. J’avais en fait dans l’idée de faire des blagues en ratant tous mes tours, prenant comme souffre-douleur ma cousine Alice, que j’avais habillée ce soir-là en lapin (en tout cas, c’est ce qui était prévu).
Afin de ne pas tomber dans l’extrême, je décidais quand même d’étudier quelques tours. Mon voisin me prêta sa boite, offerte un an auparavant par son oncle, et me voilà embarqué, tenant dans mes mains trois gobelets en plastique et quelques boules de papiers genre cotillons. En essayant le premier voyage, j’ai tout simplement suivi la notice et me suis bluffé moi-même, ne me rappelant pas ou étaient les charges. Quatre fois de suite, c’est dire la lenteur de mon cerveau. L’effet fut radical et me voilà pogné, et je ne le savais pas encore, par la reine des arts et ceci pour le reste de ma vie.
Le soir venu, j’étais moins drôle que prévu, mais aussi plus « magique ».Ce que j’ai vécu à ce moment-là, devant mes tantes, voisins et autres parents fut ce qu’on pourrait appeler la standing ovation de ta vie. Il fallait absolument que je retrouve cet état de grâce, ou je m’amusais et ou les gens m’aimaient.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Dès le lendemain je harassais tous les membres de ma famille pour qu’ils m’achètent une boite identique ou mieux. Il se trouve que mon oncle était magicien et c’est ce dernier qui me montra les premières bases, j’entends par là le FP, la technique du tourniquet, etc. Il avait une préférence pour la manipulation et c’est plus précisément ce type de magie que je comptais développer. C’était dans les années 1970, donc il était encore assez difficile de trouver des infos, des livres et encore moins des K7 ou autres DVD. Même faire la rencontre d’autres magiciens était difficile pour un enfant. Le handicap était que mon oncle habitait très loin et ne pouvait pas m’aider beaucoup. De toute façon, j’étais tellement mordu que rien n’aurait pu me décourager.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé ?
Les personnes qui m’ont vraiment aidé n’arrivent que bien plus tard lorsque je me suis inscrit dans un club de magie en Belgique qui s’appelait les 52. C’est mon emploi à l’opéra, en tant que danseur soliste, je le précise non pas par prétention, mais parce que c’est grâce à cette position que j’ai eu soudainement plus de temps et d’argent à consacrer à la magie.
Avant cette entrée dans le club, l’étude de la danse, mon autre passion avec le conservatoire de musique, ne me laissait pas trop de temps pour faire autre chose. Il faut savoir que ces disciplines me donnaient tellement de joies aussi qu’il ne restait que peu de temps pour les cartes et les pièces… C’est donc mon parrain Rudy Pleers, mais aussi Alain Slim, Olivier Prestant et par la suite quasiment tous les magiciens de Belgique, tel que Guy Lamertin, Carlos Vaquera, Celim et de nombreux autres, qui me firent « curver » de plus en plus vers une direction professionnelle, sachant que le métier de danseur s’arrête également très tôt.
Par la suite de nombreuses personnes au fil de mes voyages, car j’aime changer de cultures, de climats et de continents, ont continué à me motiver. Il y en a eu tellement.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je travaille seul et depuis longtemps, principalement à cause de l’habitude prise dans ma jeunesse ou il n’y avait personne autour de moi vers qui me tourner. Mes inspirations ont été très variées en fonctions de mes rencontres, joies et drames de la vie. Il a fallu que je démarre dans l’équipe de France de Magie cette année pour découvrir enfin le travail en groupe avec des cessions de travail où tout le monde apporte de l’eau au moulin. J’avoue que j’aurais adoré découvrir ça dans ma jeunesse. Je crois que j’aurais même arrêté la danse avant, bien qu’elle soit aujourd’hui encore une passion dévorante. Je dois avouer que je suis quelqu’un d’assez solitaire en même temps et que cette manière de travailler seul m’a aussi apporté beaucoup d’éclairages sur moi-même.
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Il y en a eu énormément. Parmi ceux que j’ai découvert enfants ou ado, il y a eu Channing Pollock, qui m’a donné l’envie de mes premières routines de colombes, puis Doug Henning qui m’a fait construire ma première grande illusion : la zig zag, la malle n’est venue qu’après et d’ailleurs ne fonctionnait pas non plus (lol).
A partir de 16 ans, on m’a donné quelques livres en français et en anglais tel que La prestidigitation du XX siècle, le Bobo, etc. Et c’est là que mon envie de faire de la micro magie a également commencé. J’avais été jusque-là, surtout obnubilé par le travail de scène. Si je poursuis plus loin, dans les évènements marquants, il y a eu Copperfield, Fred Caps, Slydini et puis Jean-Pierre Vallarino, Mc King, Mendoza et plein d’autres…
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
Il n’y en a pas. Je les aime tous, tant que c’est bien fait. Je prends autant de plaisir à découvrir une nouvelle version de la femme coupée en deux que le dernier comptage ou killer move coréen. Il va de soi que mon cœur palpite toujours un peu plus avec la manipulation, car j’aime les techniques poussées, que ce soit en musique, danse, magie, peinture, écriture. Ca fait partie de ma manière d’être et de ma sensibilité.
Je dois quand même avouer que je suis un peu réfractaire quant à certaines disciplines telles que le mentalisme, l’hypnose ou la mnémotechnie. Je viens de la danse, du mouvement, de l’espace et j’ai besoin de costumes, de paillettes de lumières et de grâce pour triper à fond.
Pour ce qui est du close up, je préfère les gobelets, les cordes, les pièces aux cartes. Cela ne veut pas dire que je ne pratique pas ; mais le support ou le toucher de l’objet ne me fait pas vibrer autant. Lorsqu’il s’agit de cartes plus aériennes comme Vallarino ou plus récemment Shin Lim, c’est différent, car étant donné que le mouvement et la musicalité sont des facteurs primordiaux dans ce genre de magie, elles ont un effet dévastateur sur moi et je frise souvent l’orgasme.
Quelles sont vos influences artistiques ?
Mes influences artistiques viennent rarement de la magie. Pour vous donner des exemples de spectacles que j’ai pu monter au cours de ma vie, car si je compte bien, en 2018 ça fera 40 ans que j’en ai fait mon métier : wow ça passe si vite. C’est après avoir lu Woidzek de Georg Büchner que j’ai monté mon premier show de grande illusion, c’est en regardant le film Bodas de Sangre de Carlos Saura que j’ai monté mon second. C’est en voyant Allegria du Cirque du Soleil que j’ai monté Flops & Flaps, un hommage aux clowns travaillant dans les cirques traditionnels. C’est en revoyant Nuits et brouillard d’Alain Resnais que j’ai créé Clair Obscur. C’est en allant à Juste debout, le festival hip hop à Paris que j’ai monté mon numéro de concours en 2012, c’est lors du festival d’Avignon à la représentation d’Aldo Colombaioni que j’ai créé Butteflawas etc.
Je pense que mon style n’est pas trop traditionnel, et bien souvent j’ai pu envoyer mes enfants à l’école et pu payer les traites, d’avantage grâce au milieu « underground », au circassiens, aux théâtres qu’aux associations magiques ou fédérations, dont j’ai tout de même toujours fait partie, car tout ce qui touche de près ou de loin à l’art magique me fascine. Ouais tout. Je suis très gourmand.
Quel conseil et quel chemin conseiller à un magicien débutant ?
Je ne crois pas être un très bon professeur ou donneur de conseils et de leçons ; ne sachant pas les trois quarts du temps ce que je devrais faire moi-même. Comme je plane depuis 55 ans dans ma propre existence, ce serait dangereux de suivre mes délires. J’ai fait le tour du monde plusieurs fois avec la danse, par avion en croisière, en ramant et si je devais vraiment exprimer une chose c’est : ne t’occupe jamais de ce que pense les autres, fais ce qui vibre à l’intérieur de toi, lâche les pulsions dans cet art merveilleux et travaille comme un fou.
Quand je vois les nouveaux magiciens tels que Yann Frisch et plein d’autres, je me dis que la magie vient juste de commencer et qu’une belle aventure nous attend. Je reprendrais bien du service pour les prochaines 50 années parce que les jeunes qui arrivent sont si géniaux avec leur tourbillons d’idées que ça me rend triste de ne pas pouvoir foncer avec eux. Je dirais aussi qu’il faut rester jeune à tous les niveaux. Regardez des films de Chaplin, y’a pas plus moderne et immortel, voilà !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Tout d’abord il faut qu’on se mette d’accord sur le type de magie. Il y a les grandes illusions qui remplissent le frigo, il y a celles qui n’intéressent que les adeptes du side steal intra metacarpien, il y a le clin d’œil espagnol, la pudeur française, la retenue coréenne, pfff, tellement de choses différentes. Pour faire simple, je crois que la magie ne s’est jamais aussi bien portée. Elle est partout, même là où elle ne devrait pas être.
Ce qui me plait ce sont les clonages que l’on fait maintenant de plus en plus. On va chercher de plus en plus des techniques dans toutes les autres formes d’arts pour en faire une symbiose. C’est génial. Comme disait Miles Davis, le jazz n’a pas encore commencé, et bien je pense la même chose de la magie. Elle était en larve, va se muter en cocon et sera un jour le plus beau des papillons. Quand on ajoute à ça les moyens techniques et scientifiques, wow quel pied. Le mapping vient à peine d’arriver, les hollogrammes vont nous exploser les limites et toutes ces technologies nouvelles seront à notre disposition pour faire rêver les spectateurs. Extraordinaire, non ?
Quelle et l’importance de la culture dans la magie ?
Sans culture, pas de vocabulaire et sans vocabulaire pas de belles phrases. Sans palettes de couleurs pas de lumière, etc. Etant personnellement un intello, il va de soi que mon sens de réflexion va inviter quiconque qui veut faire de la magie à se rendre aux spectacles de tous genres, de lire un max et de rester curieux pour tout. C’est le seul moyen de trouver son équilibre dans ses créations personnelles.
Le principal danger, à mon goût dans notre métier, c’est qu’il copine constamment avec le mystère et la mystification, base même de notre discipline. Je veux dire par là que face à un public moins éduqué et plus profane, il est facile de se réfugier derrière un « secret » qu’ils ne connaissent pas et éviter de cette manière de faire un vrai travail de fond, de recherche et de création.
Quels sont vos violons d’Ingres ?
En vrac : l’opéra, le jazz, la cuisine, la voile, l’apnée sportive, la menuiserie, le cinéma, l’amour.
– Interview réalisée en décembre 2015.
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