Arts, images et spectacles en France (1833-1907)
Jean-Luc Godard nous rappelle que le cinéma fut inventé par le XIXe siècle et cette exposition met en regard ses premiers balbutiements et des œuvres picturales du Musée d’Orsay ou d’autres collections. Il s’agit moins, pour Dominique Païni, commissaire, de traiter l’invention du cinéma, que d’en faire voir les prémices dans les peintures, sculptures, photos…
La période qui va de 1833 à 1907 connut une prodigieuse accélération du temps et de l’espace et l’on voit ici combien l’œil des contemporains était déjà exercé à recevoir le septième art. Les premières projections de « photographies animées » par les frères Lumière, à Paris, en 1895, sont les dernières nées d’une longue succession de dispositifs visuels, attractions, panoramas, musées de cire, illusionnistes de foire… qui trouvera son apogée à l’Exposition universelle de 1900 à Paris.
Les images animées accompagnent des pratiques urbaines qui ont été révolutionnées par le progrès technique et la modernité des arts plastiques, ici bien mis en exergue. Les peintres, en travaillant sur la lumière, saisissent le mouvement sur le vif : comme les passants du Boulevard Montmartre de Camille Pissarro, ou du temps changeant dans les toiles de Claude Monet peignant La Cathédrale de Rouen.
Félix Vallotton, lui, avec La Valse, fait danser ses personnages ou représente des scènes de rue dans Les Passants, deux merveilleuses petites huiles sur carton aux traits épurés et perspectives aplaties. Mais il reproduit aussi les couleurs d’un grand magasin avec un saisissant triptyque du Bon Marché. Auguste Rodin impulse à ses sculptures en pierre un formidable élan, tout comme les frères Lumière font jaillir sur écran La Danse au sept voiles de Loïe Fuller, ou filment l’agitation de la ville et celle des cellules du sang. Alice Guy fait ruisseler l’eau d’un torrent sur le corps des baigneurs… Enfin le Cinéma ! rend justice à cette artiste contemporaine des frères Lumière et de Léon Gaumont, injustement oubliée de l’histoire du cinéma.
Théâtre et cinéma font ici bon ménage, avec des captations de pièces sur scène ou in situ. Comme le fameux duel du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, filmé et accompagné par une bande sonore gravée sur cylindre de cire. Presque synchrone ! Des lieux de spectacle deviennent aussi ceux de l’image qui tend bientôt à prendre son autonomie et qui trouve sa propre forme narrative, moins grandiloquente. La peinture commence à s’éloigner du spectaculaire comme celui des scènes historiques du peintre Jean-Léon Gérôme qui sont de véritables mises en scène, ancêtres des péplums. Et le cinéma va aussi se libérer de l’académisme pesant de certaines fictions théâtrales.
Deux tendances dans ces images mouvantes : la recherche d’un nouveau réalisme avec l’apparition de véritables documentaires, notamment les scènes de la vie urbaine à Paris ou à Lyon et les reportages pittoresques des frères Lumière… Mais aussi recherche du spectaculaire et de l’illusion chez Georges Méliès. Nous découvrons ici un film peu connu de l’auteur du Voyage dans la lune où une statue prend vie sous l’œil médusé du sculpteur (Le magicien, 1898).
L’exposition, non chronologique d’œuvres souvent méconnues, est organisée de manière synchronique autour de thèmes comme : « spectacle de la ville », « volonté d’enregistrer la Nature », « représentation du corps masculin : sportif fringant ou travailleur fatigué », « voyeurisme du corps féminin », « narration historique »… Elle se conclut vers 1906 – 1907, années où la durée des films s’allonge, où les projections se sédentarisent dans les salles et où le cinéma accède au rang de septième art sur lequel cette exposition nous invite à porter un regard neuf et pertinent, en le replaçant au sein des mouvements esthétiques du XIXe siècle. A voir absolument…
Article de Mireille Davidovici . Source : Le Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.