Extrait de la revue L’Illusionniste, N°149 de mai 1914
Continuant à passer la revue des prestidigitateurs qui se firent une réputation vers la fin du siècle dernier, nous présentons, aujourd’hui, le portrait du magicien de Linsky (Chrétien Jean-Baptiste). Né à Miller, en Amérique, d’une noble famille polonaise qui le destinait à la carrière diplomatique, de Linsky reçut, dans ce but, une éducation très soignée. Mais les goûts du jeune homme, qui ne rêvait que cirques et théâtres, contrarièrent les projets de ses parents. Dès l’âge de la majorité, il abandonna le foyer paternel, pour suivre des troupes nomades qui l’initièrent aux secrets de différentes attractions, parmi lesquelles il préféra la jonglerie et la prestidigitation ; mais c’est surtout dans l’exercice de notre art qu’il se fit connaître et réalisa une honorable fortune.
Polyglotte consommé, sa connaissance très étendue des langues lui permit de parcourir le monde en se faisant entendre de tous les auditeurs. En Amérique, il se rencontra avec plusieurs émules de Barnum, qui l’engagèrent successivement ; puis il voyagea a son compte et se trouva fréquemment en concurrence avec des confrères de valeur. C’était, dans le nord, Carl Herrmann, au talent duquel il se plaisait à rendre hommage ; dans le sud, Julio Bosco. Au Brésil, de Linsky épousa une jeune femme qu’il initia à la magie et qui le secondait dans ses séances. Parvenu à la fortune, il vint en France pour y goûter paisiblement le fruit de ses travaux, et se fixa à Charenton, près de Paris. Etant alors à l’abri du besoin, il continua cependant à donner des séances particulières qui étaient fort goûtées.
En 1881, il fit un court stage sur la scène du théâtre Robert-Houdin, et c’est à ce titre que son nom figure sur les cartouches qui décorent la salle. Ceux qui le connurent ont, particulièrement, gardé le souvenir de son matériel, qui était d’une grande richesse. La plupart de ses appareils, dont il tirait vanité, étaient d’argent massif ; il s’en montrait fort jaloux, et, afin qu’ils ne viennent pas, après sa mort, entre les mains de ses confrères, il les vendit à des orfèvres pour être mis à la fonte. Regrettons la disparition de ces reliques somptueuses, parmi lesquelles figuraient : « le vase au café chaud », « les boîtes aux graines », « le verre à la quille en argent » (celui que nous fabriquons maintenant en verre bleu), « la boule au mouchoir », etc., appareils un peu désuets aujourd’hui, souvent dédaignés par les artistes, mais que le public accueille cependant avec plaisir lorsqu’il les revoit entre des mains expertes comme celles de Chung Ling Soo, pour ne citer qu’un exemple. De Linsky mourut subitement à Charenton, dans son domicile, rue des Carrières, le 16 février 1882, à l’âge de 55 ans. Il était allé donner une séance en province pour le compte du théâtre Robert-Houdin. Rentré de voyage le 15 au soir, il trépassa le lendemain matin. M. Emile Robert-Houdin, alors directeur du théâtre, recevait, en même temps que cette triste nouvelle, une lettre toute pleine d’éloges sur la séance de la veille. On pourrait donc dire de cet artiste qu’il fut applaudi même exprès sa mort.
J. C.
Extrait du Journal de Toulouse (6 mai 1843)
« La soirée de M. de Linski, annoncée pour aujourd’hui samedi, n’aura lieu que lundi 8 du courant ; le dérangement et les préparatifs occasionnés pour l’installation de sa Fantasmagorie, sont les seuls motifs du renvoi de la représentation. Lundi, la salle du Conservatoire philharmonique présentera le plus brillant aspect. (…) L’on a établi des ventilateurs afin d’aérer la salle. »
Extrait du Journal de Toulouse (30 mai 1843)
Si De Linski ne nous a pas trompé sur les motifs de son contretemps, l’installation nécessaire à la présentation de sa Fantasmagorie semble plus complexe que prévu : mise en place et réglage du fantascope, installation de l’écran pour la rétroprojection, et peut-être quelques bris de verre pendant le transport… ? Pour sa grande soirée d’adieu, le jeudi 25 mai, de Linski annonce : « Grande scènes du Mégascope (les corps opaques) ou Fantasmagorie avec des êtres vivants ; (cette représentation) sera terminée par une 3e représentation du Poliorama animé, avec tous nouveaux sujets. » Les adieux se poursuivant, il se produit jusqu’au 1er juin 1843 avec de nouveaux tours et de nouveaux appareils reçus de Paris. »
Extrait du Ménestrel : journal de musique (dimanche, 1er février 1852)
On aurait pu croire que Robert-Houdin, Philippe, Lacaze et Bosco avaient épuisé l’intérêt qui s’attache aux séances de prestidigitation, mais il n’en est rien ; car la foule qui se porte aux soirées caméléoniennes de M. de Linski, salle du Bazar-Bonne Nouvelle, nous prouve que le public n’est pas encore blasé sur les enchantements de la magie blanche. Les séances de M. de Linski obtiennent un véritable succès parmi les familles qui veulent faire diversion à la musique. Si ce sorcier pouvait lions escamoter quelques concerts cet hiver, nous le bénirions.
Un nouveau prodige de Linski (Extrait du journal du Loiret, Orléans, le 13 mai 1852)
Avant-hier, la jolie salle des Soirées caméléoniennes était comble, et aux places d’élite on voyait étaler, avec le laisser-aller de gens qui savent être chez eux partout, une société que nous apprîmes plus tard être une famille princière de Russie. Plusieurs exercices avaient déjà provoqué les applaudissements des spectateurs, et le chef de la famille, dont le nom se termine ordinairement en im ou en of, n’avait pas dédaigné de se prêter au jeu de l’aimable magicien, en donnant mouchoirs, montres, bagues, monnaie d’or et d’argent. Par un hasard malheureux et bien rare, car M. de Linski est renommé pour ses façons polies et même galantes, dans une distribution de bouquets qui avait eu lieu, la princesse avait été oubliée; on lui en fit un sanglant reproche au moment où il rapportait au prince une montre magnifique, enrichie d’un double cercle de diamants. M. de Linski parut tout d’abord accablé sous le poids de sa confusion ; mais bientôt reprenant son assurance de sorcier :
Salon de Mme De Linski et Deveaux avec Louis de Linski (père)
— « Madame », dit-il, « j’ai à cœur de réparer ma faute, et votre désir sera pour moi un ordre. Vous plairait-il que celle montre se changeât en rosier, et qu’il vous donnât autant de fleurs que je vois là de brillants dans ce double cercle ? »
— « Oui ! oui ! » s’exclama la jeune femme en battant des mains ; « un rosier blanc ! »
— « Daignez donc agréer, Madame… » Et déjà il tenait à la main une rose blanche magnifique.
— « Mais ce n’est pas tout », reprit la princesse, « autant de brillants, autant de roses, avez-dit ?… »
— « Ouvrez votre cachemire, Madame. » Et une véritable pluie de boulons de roses s’échappa du sein de la boyarde, aux applaudissements enthousiastes de la salle entière.
Et la montre ? Pendant ce temps elle avait été réintégrée, et à son insu, dans la poche du gilet du prince !
On nous annonce que le lendemain on apportait à M. de Linski un coffret en bois précieux, il contenait la rose merveilleuse de la veille, entourée du double cercle des brillants détachés de la montre, et à cet envoi était jointe une lettre autographe du prince Souvaroode, car c’était lui, qui adressait à M. de Linski les plus pressantes instances pour se laisser emmener en Russie. Pourvu qu’il résiste !
Note de Didier Morax
De Linsky ou de Linski, il semble qu’il y a eu deux magiciens avec ce nom. Je pensais que ce pouvait être le père puis le fils mais à priori ce n’est pas le cas… sauf si de Linsky a raconté des bobards à Caroly ?
Note de Renée Jopp (avril 2023)
Il a fallu beaucoup fouiller dans de vieux journaux, magazines, livres et archives hollandais, mais j’ai réussi à établir le lien entre le magicien Jean-Louis de Linsky/Linski (né en 1801 à Warschau en Pologne, ou à Stettin en Prusse et mort en 1857 à Lyon), et son fils Jean-Baptiste de Linsky/Linski (né en 1826). D’après ce que j’ai trouvé, Jean-Baptiste n’est pas né à Miller, aux États-Unis, comme mentionné dans la revue L’Illusionniste, N°149 de mai 1914, mais à Warschau en Pologne. Il semble peu probable que sa famille ait voulu qu’il devienne diplomate, car ils étaient tous eux-mêmes des artistes. L’article Un nouveau prodige de Linski, de 1852, ne concerne probablement pas Jean-Baptiste de Linski, mais son père Louis. De même, la belle image du « Salon de Mme De Linski et Deveaux » montre le cabinet de son père Louis, car elle est datée de 1852. Pourtant, Jean- Baptiste en a peut-être hérité…
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