Spectacle par la compagnie Le Phalène. Conception et jeu : Thierry Collet. Mise en scène : Eric Didry. Scénographie : Elise Capdenat. Assistant à la création : Rémy Berthier.
Dans la peau d’un magicien a été créé à La Comète, scène nationale de Châlons-en-Champagne les 13 et 14 janvier 2017.
Pour ce dixième rendez-vous avec le public, à 50 ans, le comédien illusionniste Thierry Collet a décidé de raconter son métier de magicien à travers son parcours, ses rencontres, ses expériences, ses coups de cœur, mais aussi ses déceptions et ses désillusions. Ce « coming out » magique est à prendre au sens propre comme au sens figuré. Thierry Collet se livre tout entier, sans concessions en nous « révélant » sa façon de penser et de concevoir son travail d’illusionniste entre lucidité et ironie, il interroge la nature même de l’expérience magique.
Boîte aux épées
Le spectacle commence très fort par une formidable et étrange séquence ponctuée par le Relax de Frankie Goes To Hollywood, tube pop synthétique de 1984, date charnière dans la vie de Thierry Collet qui participait à ses premiers concours de magie à la FISM de Madrid.
Sur un mode très opératique avec un jeu de lumières stroboscopiques son assistant du jour, Rémy Berthier, enfonce un à un des grands pics en bois dans une boîte disposée sur un petit socle à roulettes. Une fois la boîte transpercée de part en part, la musique s’arrête et on entend une respiration, puis la voix de Thierry Collet qui se plaint des conditions dans lesquelles il est enfermé. Un écran vidéo est amené sur scène et on voit l’image du magicien dans la boîte grâce à une rediffusion en directe. Le public est dubitatif et a du mal à croire qu’une personne peut être à l’intérieur de cette petite boîte transpercée comme un gruyère par des énormes cures dents !
Thierry Collet s’adresse ensuite aux spectateurs alors qu’une cheminée est disposée au milieu de la boîte, ce qui a pour conséquence de marquer un trou béant de part et d’autre. Vraiment impossible qu’un individu soit à l’intérieur… et pourtant, de la fumée s’échappe de l’ouverture centrale et une main sort par le haut, puis une deuxième main sort par le bas. L’image est surréaliste et perturbante. Le magicien présente alors l’image du Bateleur, première figure du tarot de Marseille, symbole du novice. Avec tous ses accessoires et ses objets préparés, il veut « en mettre plein la vue ». L’image se transforme alors en Fou, dernière figure du tarot qui représente le magicien accompli avec son petit baluchon, débarrassé de ses artifices, de ses trucs, se ses apparats. Il n’a pratiquement plus d’accessoires sur lui pour que la magie opère. Ce cheminement symbolique et initiatique est ce à quoi Thierry Collet veut tendre dans son apprentissage de la magie.
Une personne est invitée sur scène et doit choisir une couleur de bas et une couleur de haut parmi différents vêtements présentés sur un portique. Les habits sont ensuite mis dans la boîte. Elle va ensuite retirer les pics et découvre le magicien qui sort de la boîte habillé de la même façon que les choix dictés plus haut.
La caisse est ensuite entièrement ouverte sur ses quatre côtés. Le public peut voir à l’intérieur quelques accessoires ayant servis au tour, sans plus d’explications…
La boîte aux épées ou la caisse aux sabres (Sword cabinet), selon les innombrables versions existantes, est un classique de la grande illusion, un des tours les plus percutants qui soient. Nombres de magiciens l’on présenté avec succès. Ainsi, comment passer après eux, comment et pourquoi refaire cette illusion ? Peut-être parce qu’elle a un potentiel ignoré ? Thierry Collet renverse tous les standards et les canons du genre, à commencer par remplacer l’assistante par lui-même, une femme par un homme ; puis d’inverser la procédure en étant déjà placé dans la boîte dès le début du tour à l’insu des spectateurs. Enfin, en nous montrant l’intérieur de la boîte où il « n’y a rien à voir » que des emplacements numérotés, pas d’explications au final pour le public ce qui renforce l’impossibilité de l’effet.
Ce dispositif permet d’être au plus près du magicien, de son corps plié de douleur, partageant par compassion le peu d’oxygène qui reste, la chaleur, la peau qui devient moite, la claustrophobie.
Cette boîte intérieure deviendra ensuite le fond de décor du spectacle (le sol continuant la perspective) comme pour signifier que le public est maintenant à l’intérieur du spectacle, complice et acteur à part entière ; le fameux concept de la « boîte dans la boîte ».
Au final et selon l’expression Pack Small, Play Big, Thierry Collet utilise remarquablement le formidable potentiel de cette illusion en développant jusqu’au bout des trouvailles et en exploitant tous les recoins de la boîte.
Initiation et apprentissage
Thierry Collet commence à faire de la magie en autodidacte en 1973 à 7 ans, l’âge de raison. En 1981, il a 15 ans quand il participe à son premier congrès FISM à Lausanne et rencontre Dick Zimmerman qui exécute une routine d’apparition de pièces qui le marquera profondément (que Thierry reproduira sur scène).
Il prend ensuite des cours de magie avec son premier maître Marcalbert (Jean Merlin sera le suivant de 1988 à 1989) à l’âge de 16 ans qui lui apprend, entre autre, le faux dépôt d’une carte en main. Episode douloureux pour le jeune Thierry en pleine crise identitaire. Ce même faux dépôt sera repris dans le spectacle lors d’une séance retransmise en vidéo où le magicien répétera trois fois la passe de manières différentes devant une caméra. Le résultat sera analysé avec le public.
Thierry Collet à 17 ans (1983).
Par ses tours de mains, le magicien nous parle de l’exigence technique qu’il faut acquérir avec l’entraînement pour devenir un bon magicien et pouvoir « illusionner » son public.
En 1984, il participe au concours FISM de Madrid. Il prend l’avion avec sa mère, qui à la phobie des pommes (anecdote surréaliste illustrée par une routine en live). Pendant cette grande messe mondiale de la magie où tous les magiciens du monde se rassemblent, il découvrira l’espagnol Juan Mayoral qui vendra une disparition de foulard à la baguette à la foire aux marchands de trucs.
Dans différents salons c’est l’effervescence, les close-up men se regroupent dans une pièce où chacun se montre leur technique ou la rivalité n’est jamais loin. Le jeune Thierry Collet ne se sent pas le bienvenu dans cet univers essentiellement masculin et machiste…
Thierry Collet raconte qu’il était le roi des antisèches à l’école et qu’il appliquait ses talents de magicien à concevoir des systèmes pour le moins originaux comme une trousse truquée ou un système de tirage dans la manche. On ne peut s’empêcher de voir des correspondances avec le matériel utilisé dans le film des Sous-doués de Claude Zidi avec Gaëtan Bloom comme comédien.
Thierry Collet utilisera aussi ses connaissances en Topit, un procédé permettant de faire disparaître des choses en magie, pour subtiliser des vinyles dans les magasins de disques.
Le magicien nous parle aussi de la transmission des secrets qui se vendent dans les catalogues des marchands de trucs qui proposent des « miracles », comme le magasin belge Méphisto. Thierry Collet énumère d’une façon amusée les différents tours en indiquant leur prix et met en garde le public sur certains produits qui ne sont pas à la hauteur de leur description alléchante ! Quelques exemples : La troisième main, fausse main plus vraie que vraie : 69€, Le vérificateur d’eau bénite, un fil se tord à vue : 18€, La cage au lion, faites apparaître un lion de nulle part : 29€, Ghost camera, photographiez le fantôme de la carte choisie…
Conservatoire d’Art Dramatique
Pendant ses années d’apprenti comédien au Conservatoire d’Art Dramatique de 1991 à 1993, Thierry Collet délaisse petit à petit la magie. Lors d’une soirée avec ses camarades de promotion, on lui demande un tour. Il fait signer une carte qui disparaît du jeu pour se retrouver dans une boîte, mise à l’écart. Ses collègues sont stupéfaits et le complimente sur la théâtralité de sa présentation. Pour Thierry Collet se sera un déclic et le début d’une carrière d’illusionniste. Concilier l’art théâtral, la dramaturgie et la magie. Amener l’illusion dans des zones encore vierges. Redonner à la magie ses lettres de noblesse et en faire un art à part entière.
Le toucher
Avec la complicité des spectateurs de la salle, Thierry Collet invite une personne sur scène pour participer à une expérience sensitive avec un cintre à vêtement. Pour cette expérience, la personne volontaire est invitée à fermer les yeux pour « ressentir » la magie. Le magicien lui fait passer à plusieurs reprises l’objet à travers ses bras, sous le regard amusé et bienveillant de la salle.
Le Barman du Diable
Thierry Collet a toujours eu envie de présenter le tour du Barman du Diable (tour très peu, voir plus du tout présenté de nos jours) qu’il considère comme le plus complet car faisant appel à tous les sens du spectateur : la vue (différentes couleurs de liquides), le goût (les gens goûtent les différentes boissons), le toucher (boisson chaudes ou froides), l’ouïe (bruit de la canette qu’on ouvre, boissons à bulles), l’odorat (sentir les boissons avant de les goûter).
Le magicien, accompagné de son assistant, va distribuer une multitude de boissons chaudes et froides, avec ou sans alcool ; tout y passe, suivant aussi la demande des spectateurs qui sont amenés à goûter et à attester la véracité des transformations de liquides.
Pour ce faire, Thierry Collet nous présente une formidable version impromptue avec du matériel simple : des canettes de jus Minute maid, des gobelets en plastique blanc et des sacs en kraft. La séquence est très rythmée et limpide, occupant tout l’espace de la salle. Le magicien distribue à tout va : eau, jus d’orange, café, thé, chocolat, Martini, Porto, Champagne, vin rouge, vin blanc, bière, etc.
Chronologiquement, le tour du Bar magique (Any Drink Called For) est un dérivé de l’effet Inexhaustible Bottle, dans lequel le volume de liquide contenu dans une bouteille se révèle beaucoup plus important que la capacité de la bouteille ; le contenu versé est disproportionné par rapport au contenant. Ce tour a été décrit dans le Hocus Pocus Junior en 1635 et a été popularisé, vers 1838, par le Professor Anderson, « The Great Wizard of the North », puis par Robert Heller (The inexhaustible punch bowl).
Historiquement, on retrouve des systèmes de vases truqués dès le IV siècle avant J.C. Les routines utilisant ce genre de trucage sont utilisées par les magiciens Ludwig Dobler, Philippe, Henri Robin sous les noms de The Infernal Bottle, The Traveling Bottle, the Interminable Bottle, ou the Bottle of Sobriety and Inebriety.
En 1846, Robert-Houdin propose une formidable version avec La bouteille inépuisable, puis David Devant en 1905 avec La bouilloire mystique (The Obliging Tea Kettle), Ryss avec son Barman de Satan dans les années 1920, Charles Hoffman en 1935 avec Think-a-Drink Hoffman, Alan Wakeling avec son Bar act dans les années 1960, et Jim Steinmeyer en 1995 avec Hospitality Drink act.
Cartes voyageuses
Une spectatrice vient sur scène et Thierry Collet lui donne en main 8 cartes, qu’elle compte elle-même. Le magicien entoure ensuite les cartes restantes par un élastique, lance le jeu au public et fait choisir deux cartes au hasard. Ces deux cartes disparaissent alors du jeu pour voyager dans le tas de cartes tenu depuis le début par la personne sur scène. 10 cartes s’y trouvent au lieu de 8. Les deux cartes supplémentaires sont révélées et correspondent bien. Le tour se conclut par une prédiction colorée au dos d’une autre carte à jouer.
Une belle routine de cartes voyageuses (Cards Across) associé à un classique cartomagique (Tossed out deck).
Manipulation
Pour finir en beauté son spectacle, Thierry Collet nous parle du magicien italien Sylvan, de ses tenues colorées extravagantes et de ses manipulations, tout en se déshabillant progressivement. La transition est brutale pour le public, mais la séquence qui va suivre est époustouflante de maîtrise technique et de justesse artistique. L’illusionniste prend la pose et va composer un ballet chorégraphique de toute beauté où la manipulation est transcendée par l’interprétation. Thierry Collet produit des cartes du néant réinventant au passage les gestes des prestidigitateurs, renvoyant le back and Front à une simple technique et élevant la manipulation à un art total de la gestuelle et du corps. On sent dans ce travail l’influence de la chorégraphe Nathalie Pernette, d’ailleurs conseillère sur ce spectacle.
Cette mise à nu finale provoque le regard du spectateur, son rapport à l’artiste, à la manipulation et à la direction de l’attention. L’effet est dévastateur et laisse les spectateurs médusés.
Conclusion
Chaque nouveau spectacle de Thierry Collet est un événement dans le domaine de la magie car il redéfinit toujours les codes de l’illusion à travers un regard critique, lucide, complice et ironique qui met les spectateurs dans une position active. Solliciter le public, le faire réfléchir au lieu de « l’éblouir » et de l’endormir par des démonstrations narcissiques qui n’amusent que le prestidigitateur. La magie est tour à tour montrée et racontée. Le tour de force du magicien est de faire vivre ses récits comme si le public y était, comme s’il vivait et voyait l’expérience racontée ! Il montre aussi, de façon magistrale, que la sincérité et la divulgation ne sont pas antinomiques avec l’idée du mystère et de l’expérience magique.
Alors que le spectacle de magie s’enfonce dans les clichés et des schémas stéréotypés, ressemblant à une succession de tours sans queue ni tête, des artistes singuliers comme Thierry Collet défrichent, cherchent de nouvelles voix et démontrent avec brio que l’illusion est un art à part entière, une matière dramatique et merveilleuse inépuisable. Le travail de Thierry est un challenge constant. Ne pas s’endormir sur ses acquis, aller de l’avant, trouver de nouvelles formes, lutter contre l’uniformisation de la pensée et proposer au final une expérience personnelle en plaçant le spectateur au centre du dispositif scénique.
Dans la peau d’un magicien est un formidable moment de spectacle, d’une grande intelligence et d’une grande sensibilité. Une nouvelle fois, Thierry Collet nous bluff, constamment inventif, espiègle, complice, sulfureux, provocateur. Il est à l’opposé de l’image lisse et robotisée du magicien manipulateur et démonstrateur de trucs. Pendant plus d’une heure, il partage le regard qu’il porte sur le monde, sur sa pratique et sur lui-même sans aucunes concessions. Un bel et grand artiste !
A lire :
– L’interview de Thierry Collet.
– Influences.
– Qui-vive.
– Que du bonheur.
A visiter :
– Le site de la compagnie Le Phalène.
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