« Mort par accident », dit Scotland Yard. Mais était-ce vrai ? Depuis des années Chung Ling Soo jouait son numéro de « l’Homme invulnérable », dans lequel, devant un plat chinois, il attrapait des balles tirées par des fusils. Le 23 mars 1918, au Wood Empire Theatre de Londres, devant une salle comble, les fusils tirèrent et Chung Ling Soo tomba sur la scène. Dans la matinée il succomba à sa blessure. De nombreux bruits coururent. Etait-ce un suicide ? On raconta que Chung Ling Soo avait essayé de mettre ses comptes à jour lors des semaines précédentes et qu’il était lourdement endetté. Avait-il été tué par sa femme ? Il ne vivait plus avec elle et entretenait une liaison avec une autre femme. Sa femme affirma qu’elle ne connaissait pas le fonctionnement des fusils mais ne faisait que l’assister en envoyant deux balles dans la salle afin d’impressionner le public, et pour qu’un jury puisse les examiner. Un expert en balistique déclara que des années de corrosion avaient fait tirer un fusil par le canon, alors que normalement il tirait par un cylindre placé en-dessous, ce qui mit fin à l’enquête. Mais les admirateurs de Chung Ling Soo ne cessèrent jamais d’alimenter le mystère.
Chung Ling Soo naquit à New York sous le nom de William Ellsworth Robinson, de nationalité américaine. Il aimait la magie depuis son enfance et fit des numéros alors qu’il n’était encore qu’un adolescent. Il semble qu’il ait toujours voulu être un autre que lui-même. En 1887, il fit une tournée sous le nom d’Achmed Ben Ali (ressemblant volontairement au pseudonyme de l’allemand Max Auzinger alias Ben Ali Bey) avec probablement les meilleurs tours d’ombres chinoises jamais présentés aux Etats-Unis. Il fut l’assistant de Kellar et créa des tours pour lui, travailla aussi avec Alexander, Adélaïde et Léon Herrmann.
Harry Kellar et Ching Ling Foo.
A cette époque, un vrai magicien chinois, Ching Ling Foo (1854-1922), remportait de vifs succès auprès des publics américains et européens et avait déjà quelques imitateurs, quand un agent demanda à Robinson d’être l’un deux, et de jouer à Paris pour un court engagement aux Folies-Bergères en 1900. On l’annonça sous le nom de Hop Sing Soo. Il eut beaucoup de succès et partit à Londres où il prit le nom de Chung Ling Soo. Cette période fut décisive. Triomphant, le « magicien chinois » joua à travers l’Europe et l’Angleterre où il faisait salle comble et gagna même par défaut un concours d’authenticité avec l’homme qu’il imitait, Ching Ling Foo. Lui-même ne fut jamais imité.
Au début de sa carrière en tant que Soo, Robinson reprit de nombreuses illusions du grand magicien chinois Ching Ling Foo, dont celle où il émettait de la fumée et une pluie d’étincelle avec sa bouche. Le spectacle de Foo lors de l’exposition d’Omaha en 1898 inspira des dizaines de nouveaux magiciens « chinois »…
Chung Ling Soo partit en tournée en Australie et en Inde puis rentra en Angleterre, agrandissant toujours son spectacle qui compta finalement près de quarante tours différents, grands et petits, à chaque représentation. Jouant son rôle d’artiste oriental, Soo ne parlait jamais au public pendant les deux heures que durait son spectacle ; il se contentait de l’étonner et de l’éblouir. Il fut l’un des plus grands hommes de théâtre de son époque.
La famille Soo en 1907.
Sur scène la famille Soo était composée de Chung Ling Soo, de son épouse Suee Seen (Olive Path) et de leur « fille » Bamboo Flower. Olive Path était une girl de revue de l’Ohio. La petite Bamboo était moitié japonaise moitié anglaise. Elle était la fille de Frank Kametaro, l’assistant de Soo.
Il est curieux qu’on se souvienne surtout de la manière étrange dont Chung Ling Soo est mort, alors qu’il présentait des numéros originaux et pittoresques qui lui valaient beaucoup de succès, dont la spectaculaire Cible vivante où il tirait une flèche reliée à une corde à travers son assistante. Et le numéro Dans la fumée du démon (1908). Dans ce tour, il recouvrait d’un drap un vase de verre possédant un couvercle. Il soufflait ensuite des bouffées de fumée de sa cigarette dans la direction du vase et, quand il le découvrait, on voyait le vase se remplir magiquement de fumée. C’est bien sûr la fantaisie de l’illustrateur qui fit dessiner le nom Chung Ling Soo avec la fumée et non pas une réalité de son spectacle. Pendant sa vie d’artiste, Chung Ling Soo inspira quelques-unes des plus grandioses affiches créées et réalisées pour la magie.
William Ellsworth Robinson était l’incarnation même des faux-semblants. Américain, il se faisait passer pour chinois et appeler Chung Ling Soo. N’étant pas d’une grande modestie, il se mettait en scène sur nombre d’affiches mais rarement de manière aussi frappante et aussi effrontée que sur celle-ci dessus, qui le présente comme un don du ciel !
En matière de publicité, la plupart des magiciens optaient pour des images excitantes aux couleurs vives. Bon nombre des affiches de Soo recouraient à un graphisme plus sobre et des tons doux qui faisaient écho à la beauté des somptueux costumes et décors de son spectacle. Ses affiches n’étaient pas seulement agréables à regarder, avec leurs décorations en ramages, en rubans enroulés ou en mosaïque, les sphinx, les chauves-souris et les éclairs. Mais elles attiraient vraiment l’œil avec des illustrations telles que « les Pouvoirs occultes de cet homme merveilleux rassemblés sous le même charme, à contempler de près et de loin » et « Un présent des dieux aux hommes de la Terre pour les amuser et les mystifier ». La variété et la qualité des styles qu’on trouve dans ses affiches sont vraiment impressionnantes.
A lire :
– Chung ling soo a t-il été assassiné ?.
– Chung Ling Soo à Paris.
– The Glorious Deception : The Double Life of William Robinson, aka Chung Ling Soo, the Marvelous Chinese Conjurer de Jim Steinmeyer (Capo Press, 2006).
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