Quel est votre parcours artistique ?
Lors de ma formation de comédienne au Conservatoire Jean-Philippe Rameau à Paris, j’ai rencontré le masque et la marionnette. La passion pour l’objet et le théâtre ayant toujours eu une grande place, cette rencontre était une évidence, c’est ÇA que je voulais faire dans ma vie. Ainsi, j’ai commencé à travailler pour diverses compagnies de théâtre, sociétés de production audiovisuelle ou institutions culturelles comme la Philharmonie de Paris, en tant qu’actrice ou créatrice de marionnettes, masques et accessoires. En 2014, je mets un pied dans l’univers du cirque en rencontrant Cécile Mont-Reynaud de la compagnie Lunatic à qui j’apporte mon regard extérieur et contribue à la scénographie.
Parallèlement à ces collaborations, je développe des créations plus personnelles à la croisée des arts de la scène, des arts de la rue et des arts plastiques. En 2015, je suis la formation Écriture magique – Magie nouvelle proposée par le Centre National des Arts du Cirque et la compagnie 14:20. S’ouvrent alors de nouvelles pistes de réflexions sur le réel et l’illusion qui font émerger les prémices de ma première création La femme coupée en deux, pour laquelle je crée la compagnie Les bruits de la nuit.
Grâce à ce projet, je rencontre le magicien Thierry Collet avec qui je poursuis cette exploration du magique et du marionnettique en collaborant notamment, aux côtés de Brice Berthoud de la compagnie Les Anges au plafond, à la création du cabaret magico-marionnettique L’Huître qui fume et autres prodiges. La découverte de la magie est venue compléter mon langage marionnettique et occupe à présent une place centrale dans mon travail.
Sur quelle(s) thématique(s) travaillez-vous ?
Je m’intéresse à l’intime, à ce qui le constitue et comment nos corps s’inscrivent dans le monde qui nous entoure. J’aime explorer les intervalles, les zones de frontières, les espaces de porosité entre ce qui est réel, ce qui ne l’ai pas et ce qui pourrait l’être. Ainsi la marionnette et la magie offrent un langage qui me permet de développer ces thématiques. La magie, ses effets et son histoire m’apparaissent comme un vaste champ d’exploration de notre intériorité car ils sont une porte d’entrée dans un imaginaire commun. Comme si la magie rassemblait, dans ses différents tours qui ont passé les siècles, les désirs enfouis, les aspirations communes aux êtres humains, qui prennent des teintes différentes selon les sociétés, mais qui gardent tout de même quelque chose d’universel. La marionnette, la mise en mouvement de l’objet inanimé, porte en elle quelque chose de très archaïque qui me permet de plonger dans des univers visuels forts. Elle permet aussi de décupler les niveaux de lecture de ce qui est donné à voir et ainsi ouvre la porte sur les chemins de l’imaginaire.
Quelles sont vos influences artistiques ?
La découverte du travail de Philippe Genty a été déterminante dans mon parcours. J’y ai trouvé un langage qui résonnait complètement en moi et ce souvenir continue de m’accompagner. Les arts plastiques, notamment le surréalisme et le courant hyperréaliste, ou encore le cinéma, avec particulièrement le travail de David Lynch, font partie de mes influences.
Présentez-nous votre compagnie Les bruits de la nuit.
Les bruits de la nuit est une compagnie qui est née sous l’impulsion de la création du spectacle La femme coupée en deux. Autour de ce spectacle s’est constituée une belle et joyeuse équipe aux multiples savoir-faire et partageant un goût commun pour le mélange des genres et des disciplines. Ainsi, une étroite collaboration s’est faite avec, entre autres, Thomas Mirgaine, créateur sonore, Alice Faure, dramaturge et Maxime Burochain constructeur aux multiples facettes. À travers la marionnette, la magie, les arts forains, visuels et sonores, il s’agit de poursuivre les explorations des espaces intermédiaires quelque part entre le réel et l’imaginaire. La compagnie est implantée à Saint-Denis au sein des ateliers de La Briche (93) et bénéficie d’un compagnonnage au Théâtre Halle Roublot à Fontenay-sous-Bois (94).
Pourquoi avez-vous intégré de la magie dans vos créations et comment intervient l’illusion dans votre travail ?
L’art marionnettique cherche à donner l’illusion de vie à l’inanimé. L’art magique donne à voir l’impossible. Ces deux approches de l’illusion me semblent avoir beaucoup de choses à se raconter. Ces deux arts partagent aussi beaucoup de techniques communes et se nourrissent ainsi mutuellement. Dans mes créations, la magie est non seulement présente techniquement mais elle est aussi, le décor, le point de départ du spectacle, en partant d’un tour ou d’une technique particulière. C’est à partir de là qu’un monde imaginaire et poétique se développe.
Parlez-nous de vos créations théâtrales : La femme coupée en deux, L’huître qui fume et autres prodiges, Miss Mandrilla
La femme coupée en deux s’intéresse à l’assistante du magicien et à ce moment si particulier où deux parties d’elle sont séparées par du vide. Durant le spectacle, il s’agit d’étirer le temps et d’explorer ce vide, ce qu’il contient, l’espace qu’il ouvre. Des formes marionnettiques, des membres humains apparaissent et remplissent ce nouvel espace. Entre assemblages et découpages, humour et explorations poétiques, ce sont alors d’autres corps qui s’inventent et viennent se raconter au milieu de voix disloquées. C’est un solo à corps multiples qui a été créé en 2022.
L’Huître qui fume et autres prodiges est un cabaret fantaisiste composé de numéros étranges, burlesques et poétiques qui explorait les zones de rencontres entre marionnette et magie. Ce spectacle a été imaginé par le magicien Thierry Collet, le marionnettiste Brice Berthoud et moi-même. Il a tourné en France lors de la saison 2021-2022.
À l’occasion d’une fête foraine artisanale organisée par le collectif de La Briche foraine en 2022, mes comparses de la compagnie et moi, avons mis au point une version du célèbre entresort Miss Gorilla, nommée Miss Mandrilla où une femme se change en singe sous les yeux du public.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je suis fascinée par le paysage magique actuel. Il y a quelque chose de très foisonnant où de nombreuses formes sont à inventer. Notamment dans le mélange des genres, des pratiques, des esthétiques. Je suis très heureuse de pouvoir, à ma façon, prendre part à cette effervescence.
Quels sont vos projets pour le futur ?
Aujourd’hui, avec la compagnie, je travaille à un nouveau projet pour la salle, dont la sortie est prévue en 2026, où il sera question d’explorer l’adolescence à travers escapologie, marionnette et poésie : La chambre.
– Interview réalisée en novembre 2023.
À visiter :
– Le site de la compagnie Les bruits de la nuit
Crédits photos : Albertine Guillaume, Émilie Braun, Coline Parizot, Christophe Raynaud De Lage, Maxime Burochain, Les bruits de la nuit – Chloé Cassagnes. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.