Juan Jose Pablo Jesorum est né à Panama City, le 2 décembre 1889. Son père est originaire de Chine et a déménagé au Panama pour travailler comme ouvrier dans la construction du canal de Panama sous la direction de chefs de chantiers français. C’est dans ce pays qu’il rencontre la future mère de Juan Pablo. À un jeune âge, Juan Pablo montre un talent pour le divertissement, et il apprend même quelques tours de magie. En 1907, The Great Raymond vient faire quelques représentations au Panama et ce dernier a besoin d’un assistant-interprète pour son spectacle. Parlant couramment l’anglais et l’espagnol, Juan Pablo rejoint alors le spectacle de Raymond à l’âge de dix-sept ans. Doué d’un réel talent, il devient vite l’assistant en chef et le régisseur de tout le spectacle qui fait le tour du monde, dès 1908.
En 1912, après cinq années passées au côté de Raymond, Juan Pablo décide de devenir magicien professionnel. Au départ, il adopte le nom de The Great Pablo et travaille comme magicien arabe. Il change finalement de personnage et, en 1913, se produit en tenue chinoise sous le nom de Li-Ho-Chang1 présentant des grandes illusions orientales. Dès 1921, il travaille sur les cinq continents avec sa propre troupe dans un spectacle complet. Li-Ho-Chang se produit dans les principales villes d’Amérique du Sud où il se retrouve en compétition avec un autre magicien « asiatique » Fu Manchu. La même année, il se rend à Thayer en Californie, où il dépense 2 000 $ pour acheter plusieurs grandes illusions dont l’Arche de Noé, les Boîtes de Bouddha, La femme coupée en deux et l’Apparition instantanée. Il fait ensuite un tour du monde et, en 1928, il amasse une telle fortune qu’il décide de prendre sa retraite !
Li-Ho-Chang se retire alors à New York pour profiter de son argent, mais en six mois, il dépense toute sa fortune en essayant d’exporter des films parlants espagnols en Amérique du Sud, à l’époque où il n’y a aucune infrastructure pour ce genre de projet. Ruiné, il décide de reprendre ses représentations scéniques, sous le nom de Chang, en 1929 à New York, Jacksonville, et en Floride. Mais il se rend vite compte qu’il est plus populaire en Amérique du Sud. En 1936, Chang récupère sa fortune. En 1936-37, il établit le record du Teatro Avenida de Buenos Aires avec 610 représentations consécutives. Il profite de ses longs séjours en Amérique latine pour s’adonner à son passe-temps favori : la tauromachie. En mai 1938, David Bamberg (Fu Manchu) écrit : « J’ose dire sans crainte d’être contredit que Chang a gagné plus d’argent que n’importe quel magicien qui ait jamais vécu, y compris Houdini et Thurston. Ce n’est pas à moi de divulguer les affaires financières de Chang, mais j’ai joué dans la plupart des villes où il est passé et ses bénéfices étaient énormes. »
En 1938 et 1939, Chang effectue une tournée en Australie et en Nouvelle-Zélande. En 1942, il fait une tournée en Afrique (chutes Victoria, Nairobi), en Inde, en Malaisie, à Hong Kong, à Shanghai. Au milieu des années 1940, il est de nouveau en Amérique du Sud. En 1947, il joue en Espagne (Barcelone et Madrid). En 1949, il joue à Caracas et au Venezuela. Il travaille à Mexico en 1950 et sa tournée se poursuit au Brésil (Rio de Janeiro et São Paulo).
Son immense compagnie se compose de trente personnes, dont des danseurs de ballet et un orchestre de douze musiciens. Il a quatorze tonnes de matériel. Pendant le spectacle, il fait vingt-cinq changements de costumes chinois et il porte quarante-cinq garde-robe. Il insiste aussi pour que ses assistants changent de costume à chaque saynète. Le spectacle de Chang est composé de décors somptueux et complexes. Chang est également le premier interprète à utiliser des effets de « théâtre noir » dans un spectacle de magie. Il se distingue par son sens du spectacle et sa personnalité. Il est très sympathique avec le public. Il abuse délibérément de la langue espagnole à son avantage en faisant parler son personnage de magicien « chinois » dans un espagnol approximatif ; ce qui provoque des fous rires dans la salle. En dehors de la scène, c’est une personne humble qui est appréciée et aimée de tous.
Dans les années 1950, la taille et la portée du spectacle de Chang sont en perte de vitesse. Il se produit à la convention TAOM, mais en raison de problèmes à la frontière, une grande partie de son spectacle ne peut pas entrer aux États-Unis. Au lieu de dix-sept changements scéniques, il n’y en a que six ! Chang apparait également au Abbott’s Get-Together en 1953, encore une fois avec une version tronquée de son spectacle. Fin janvier 1954, Chang quitte les États-Unis pour l’Espagne, puis le Portugal. Il abandonne finalement ses représentations scéniques en 1955. À la fin des années 1950, il effectue encore quelques tournées, se produisant à Buenos Aires et Porto Rico.
Dans les années 1960, Chang se produit dans des conventions, des événements privés et des petits théâtres. Le 20 octobre 1962, il se produit au Wilshire Ebell Theatre. Il travaille en Argentine, au Japon, à Caracas, à Trinidad et dans diverses villes des États-Unis. En 1971, il officie sur des navires de croisière, vingt-sept semaines consécutives sur le S.S. Ariadne, au départ de Fort Lauderdale en Floride. Malgré ses derniers contrats, Chang est ruiné et décède d’un cancer le 27 avril 1972 à Merida, Yucatan au Mexique. C’est son fidèle assistant qui paye ses funérailles…
Le répertoire de Chang
Voici quelques illusions qui figurent dans le grand spectacle de Chang : Une Nuit au Palais Enchanté de Pékin, Le Docteur Chinois, Le Bain de la Nymphe dans la Fontaine de Neptune, Un Rassemblement d’Esprits, Le Citron Enchanté, La Danse des Squelettes (qui consiste en un Charleston sauvage où dansent de véritables squelettes), et L’homme enterré vivant, qui est enseveli sous six sacs de sable.
Chang & The Fak-Hong’s United Magicians
Chang et les frères Roca2 (The Fak-Hongs) s’unissent3 le temps de plusieurs représentations de type orientales, dans les années 1930, avec le spectacle A Night in Tokio. Ils se produisent en Europe avec des grandes illusions comme : Les femmes coupées en deux, La lévitation, The Bullet Catch, Elle, The Invisible Man, Hara-Kiri, The Bhuda, The Noe Ark… Leurs affiches, imprimées en Espagne, présentent des fantômes, des gobelins, des squelettes, des licornes, des chauves-souris et des serpents pour projeter un sentiment sombre, maléfique et mystérieux à destination de leurs futurs publics. Échange de bons procédés, Chang et les frères Roca devaient aussi faire une grande tournée aux États-Unis qui n’a jamais eu lieu…
Notes :
1 Il y a eu deux autres magiciens du nom de « CHANG » à ne pas confondre. Tout d’abord The Amazing Chang (1893-1970), né Samuel Lewis Whittington-Wickes à Leamington Spa, en Angleterre. Un magicien notable du début du XXe siècle qui s’est enfui de chez lui à l’âge de douze ans pour revenir, des années plus tard, en tant que magicien à succès. Au cours de sa carrière, il prend divers noms de scène : Seekhett The Boy Magician, Vern Lewis The Boy Magician, Vernon Cellsus The White Wizard, et enfin, en 1934, en costume chinois comme Chang Ko Lao et The Amazing Chang. Il se produit à New York, à Paris et fait de nombreuses tournées au Royaume-Uni.
Le deuxième est Li-Chang (1916-1998), de son vrai nom Joan Forns, né en Espagne. Il connait une longue carrière en jouant un numéro de magie chinoise. Jeune homme, il voit le spectacle spectaculaire de Fu Manchu et, en 1933, il monte son propre spectacle et se produit au Circ Olympia de Barcelone. La majeure partie de sa carrière se déroule sur les pistes de cirque en Espagne, bien qu’il fasse de petites incursions en France (au Moulin Rouge en 1956), en Angleterre (Bertram Mills Circus en 1964), en Italie, au Portugal, en Allemagne et en Afrique du Nord. En 1947, Chang (du Panama) donne des représentations à Barcelone et rencontre son homologue espagnol Li-Chang.
2 Sous différents noms (Roca Brothers, Rock shows, Musical Rock, etc.), les frères espagnols Ernest Roca et Joan Alfons Roca développent différents numéros comiques, magiques et musicaux. Ils font partie d’un groupe de magiciens catalans qui à leur époque, empreinte du courant orientaliste, se lancent dans une nouvelle manière de présenter leurs spectacles grimés en illusionnistes japonais sous le nom de The Fak-Hongs.
3 « L’union magique » est un moyen pour un magicien de renforcer sa renommée sur d’autres continents. Dans les années 1890, le belge Servais Le Roy s’associe avec l’allemand Imro Fox et l’américain Frederick Eugene Powell pour former « La Grande Triple Alliance », qui fait des tournées de music-hall aux États-Unis.
– Cet article a été publié pour la première fois dans le MAGICUS magazine n°240 (mars-avril 2023).
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