Situées au pied du remarquable site des Baux-de-Provence, dans le Val d’Enfer, ce lieu chargé d’histoire est un passage incontournable lors de la visite de la chaîne des Alpilles. Creusées dans la roche calcaire blanche et blonde, des blocs ont été extraits pour construire le village médiéval et le château des Baux au Moyen Age. En 1800, le développement industriel fait exploser la demande de pierre pour la construction de bâtiments en dehors de la cité des Baux et nécessite l’ouverture de la carrière des Grands Fonds (actuelle Carrières des Lumières). En 1935, la carrière ferme sa production due au déclin de la pierre comme matière première, remplacée par l’acier et le béton.
Il faut la redécouverte des lieux par Jean Cocteau pour que cet endroit de mémoire revive au cinéma sous forme de décors hors du temps dans le dernier film testamentaire du poète. Avec le Testament d’Orphée, Cocteau déploie ses rêves et fantasmes surréalistes emprunts de poésie dans un espace à sa (dé)mesure.
En 1975, le scénographe tchécoslovaque Joseph Svoboda inspire Albert Plécy (1914-1977) à mettre en place une mise en espace artistique aux Carrières en utilisant ses immenses parois rocheuses comme supports à la projections d’images. Le challenge est titanesque car il faut composé avec l’immense espace principal d’une profondeur de soixante mètres et d’une hauteur de neuf mètres (avec des piliers de cinq à dix mètres de base) ! Le projet Cathédrale d’Images voit le jour en 1977 (année du suicide de son auteur dans ce lieu) grâce à l’association Les Gens d’images (créé en 1954 par Plécy, Lartigue et Grosset). Un « sons et lumières » précurseur des projections géantes en immersion qui contribue aux soirées des Rencontres de la photographie d’Arles. Dans sa recherche de « l’image totale », Plécy réussit un spectacle audiovisuel féérique, d’une demi-heure, qui est renouvelé tous les ans.
2012 marque l’entrée des Carrières dans le numérique avec la délégation du site à l’entreprise privée Culturespaces (créé en 1990 par Bruno Monnier) qui va en faire son premier centre d’art numérique immersif en France sous le nom des Carrières des Lumières. La première exposition aura pour thème « Gauguin – Van Gogh, les peintres de la couleur » réalisée par Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi. Depuis maintenant dix ans, une nouvelle exposition immersive est proposée annuellement et consacrée à des grands noms de l’histoire de l’art. Cela permet de (re)découvrir ces artistes différemment et dans la monumentalité des détails de leur œuvre sur plus de 7000 m2 de surface de projection, du sol au plafond (grâce à cent vidéoprojecteurs et soixante-quatorze enceintes). Ont suivi : Monet, Renoir, Chagall, Klimt, Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Bosch, Brueghel, Arcimboldo, Picasso, Van Gogh, Dali, Gaudi, Cézanne.
Depuis Culturespaces a ouvert d’autres lieux d’art numérique immersif : l’Atelier des Lumières à Paris (2018), les Bassins des Lumières à Bordeaux (2020) – le plus grand centre d’art numérique au monde, l’Infinity des Lumières à Dubaï (2021), le Hall des Lumières à New-York, le Théâtre des Lumières à Séoul et la Fabrique des Lumières à Amsterdam (tous les trois prévus en 2022).
Venise-Klein
Comme à son habitude, Culturespaces organise une double exposition avec la Venise des peintres et le Nouveau Réalisme d’Yves Klein, entre l’eau et le feu, les paysages et les corps, la figuration et l’abstraction. Chaque événement est propice à l’expérimentation des images dans un jeu d’échelle, de transition et de dialogue toujours saisissant qu’accompagne merveilleusement une bande son éclectique, du classique à l’électro.
Le programme long (45mn) consacré à Venise et réalisé par Gianfranco Iannuzzi (précurseur dans la création d’installations artistiques immersives depuis trente ans), nous propose un voyage à travers le temps en douze parties. Il expose l’art byzantin de la basilique St Marc, les toiles crépusculaires de Tintoret, les scènes religieuses de Bellini, les panoramas de Canaletto. Mais aussi Le Titien, Véronèse, Turner, Monet, Signac, Carpaccio, Longhi, Guardi, Vicentino, sans oublier la Mostra del Cinema avec des photographies d’actrices et acteurs du néoréalisme italien. La « sérénissime » Venise apparaît dans toute sa complexité et sa splendeur !
« Les technologies multimédia avancées dont nous disposons aujourd’hui m’ont permis, au fil des ans, de créer et de développer un environnement musical et visuel, riche, fort, immersif et interactif. Jouer sur le sensoriel, l’émotionnel pour que le public soit au cœur des expositions numériques, se déplace dans un espace pluridimensionnel et devienne lui-même partie intégrante de l’œuvre car les images sont partout. J’aime avec mon travail, faire découvrir au public des lieux exceptionnels, avec une âme, une histoire, une architecture particulière. Ressentir le lieu est primordial, pour moi comme pour le public. » Gianfranco Iannuzzi
Le programme court (10mn) consacré à Yves Klein et réalisé par l’agence Cutback met en avant ses inévitables Anthropométries (peintures corporelles), ses Cosmogonies, Reliefs Planétaires et ses éponges dans une prédominance bleue comme la couleur inventée et déposée par l’artiste (Klein Blue – IKB).
Originaire de Nice, Yves Klein (1928-1962) admire le ciel de la Méditerranée et y voit sa première œuvre, l’origine de son inspiration. Pour lui, « la peinture est couleur ». Couleur qu’il va chercher à individualiser, à libérer et à magnifier dans sa forme la plus pure. Avec Yves Klein, la couleur prend une dimension spirituelle et métaphysique.
C’est dans un décor du Paris des années 1950 que le visiteur est invité à prendre place dans un salon d’art contemporain afin de participer à une performance d’Yves Klein qui s’ouvre sur un accord en ré majeur de la Symphonie Monoton-Silence. Retraçant le parcours de l’artiste et sa quête de l’immatériel, l’exposition immersive dévoile les premières œuvres de l’artiste, les Monochromes, conçues pour exprimer le monde vivant de chaque couleur mais perçues par le public comme un ensemble polychromatique. Le visiteur évolue ensuite vers de nouveaux paysages oniriques où dansent et frémissent des feuilles d’or, dévoilant les reflets flamboyants des Monogolds puis des Monopinks. Il est ensuite conduit au milieu de l’atelier de l’artiste où ses collaboratrices, qu’il nomme ses « Pinceaux Vivants » se meuvent sur la toile laissant apparaître l’empreinte de leurs corps. Lorsqu’enfin le site s’embrase, ce sont des formes inédites qui jaillissent littéralement des murs.
Avec Yves Klein, le pouvoir destructeur du feu se mue en une véritable puissance créatrice. Juste avant de mourir, il confiera à un ami : « Je vais entrer dans le plus grand atelier du monde. Et je n’y ferai que des œuvres immatérielles. » Hommage à cette dernière confession, le final de l’exposition immersive conduit le visiteur dans une atmosphère presque dématérialisée et infinie. Grâce à une sélection de quatre-vingt-dix œuvres et soixante images d’archives, « Yves Klein, l’infini bleu » offre une immersion totale dans la matière et la sensibilité, au son montant et vibrant de Vivaldi ou aux rythmes électroniques de Thylacine.
A voir :
– Venise, la sérénissime et Yves Klein, l’infini bleu, du 4 mars 2022 au 2 janvier 2023 aux Carrières des Lumières (Baux-de-Provence).
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