On a aimé découvrir en 2010, ce jeune illusionniste comédien plein de fougue et d’énergie qui amena un vent de fraîcheur dans l’univers de la magie théâtrale. Deux ans seulement après son premier spectacle, Rémi Larrousse nous revient avec une nouvelle création. Si Le Script était plus une succession de tours dictés par un « manuel », Alter Ego est extrêmement bien écrit et s’inscrit dans une démarche poétique de filiation où le passé dialogue avec le présent. Rémi Larrousse insuffle à son histoire une vraie sensibilité d’artiste en s’attachant aux moindres détails scénaristiques et scénographiques. Théâtralisation oblige, il convoque différentes disciplines : le mime, la jonglerie, la marionnette, le mentalisme, et la peinture.
L’histoire
Tout commence par une rencontre inopinée dans une pièce mansardée. Rémi découvre sous un drap une marionnette qui lui ressemble étrangement. Celle-ci va devenir petit à petit son alter ego. Rémi va faire l’expérience des merveilleuses capacités que le pantin lui procure à son contact : prédiction de l’avenir, lecture de pensée, calculs prodigieux, virtuosité soudaine. Mais qu’elle est la véritable histoire de cette marionnette ? D’où vient-elle ? A qui appartient-elle ? Quel est son secret ? Quels liens entretient-elle avec son manipulateur ?
La scénographie
Sur scène se trouve un morceau de décor représentant un pan de mur mansardé avec une fenêtre « ouverte » sur la lune. Sur le fragment de ce mur est disposé une étagère sur laquelle se trouvent les différents accessoires que le magicien utilisera au cours de la représentation : un verre, une carafe, un journal, une ardoise, un cône de gramophone, une boîte, etc.
Le décor est double, tout comme Rémi et sa marionnette, puisqu’il comporte un recto et un verso composé d’une échelle et d’un grand tableau noir en ardoise, d’où sort une lune (celle du recto encadrée par la fenêtre).
Le comédien
Dès le début du spectacle Rémi Larrousse se positionne en tant que spectateur (il arrive par la salle) et subit les choses qui vont lui arriver. Il devient magicien malgré lui au contact de la marionnette, comme les spectateurs ; spectateurs qui expérimentent à leur tour différents pouvoirs au fil de la représentation.
Rejetant le rôle du magicien démonstrateur de trucs, Rémi mise tout sur le travail de comédien. Il excelle dans la diction avec sa voix qui porte et ses paroles qui défilent au rythme d’une mitraillette. Sa gestuelle est sûre et étudiée. Comédien aux pieds nus, il maîtrise l’art dramatique et sait captiver l’auditoire par sa présence élégante et décontractée.
Preuve du talent du jeune Larrousse, la séquence du chapeau de Tabarin (déjà présente dans Le Script) mais justifiée ici par les habits de la marionnette. Il enchaîne 20 personnages différents avec un simple rond de feutre et des mimiques caractéristiques.
La marionnette
Depuis tout petit, Rémi fut confronté à cette étrange marionnette en ayant interdiction de l’approcher, sur ordre de son père. Il savait simplement qu’elle portait le nom de Diavolo et qu’elle appartenait, jadis, à un magicien du XIXème siècle. Cette marionnette à manche, aurait la faculté d’entrer en contact avec les humains, elle serait capable de diriger nos faits et gestes et d’influencer nos décisions.
Diavolo est le personnage principal de cette pièce. Il fait le lien entre les époques à la manière d’un médium, véritable intermédiaire entre les fantômes du passé, qu’il convoque invisiblement, et le présent. La séance de spiritisme (en vogue au XIXème siècle) n’est pas bien loin. La marionnette déclenche des expériences troublantes en provoquant le présent. Diavolo impose son étrange présence avec ses yeux qui restent fermés, la moitié du temps. Cette marionnette spirite aux dons extralucides, est d’une grande réussite plastique ; et pour cause, elle a été fabriquée par les ateliers de Philippe Genty !
Un bel objet qui n’est pas exploité à fond. On peut regretter, par moment, une manipulation sommaire (quelques déplacements et clignements d’yeux), mais les possibilités d’interactions sont en bonne voie de développement, à l’image de la magnifique symbiose qui s’opère, entre l’objet et le manipulateur à un moment du spectacle. Cette séquence muette, opère sur les sens. Ce que la marionnette ressent, Rémi le ressent aussi : Une hypnose, une tape sur l’épaule, la vue obstruée… En « faisant corps » avec sa marionnette, Rémi Larrousse synthétise l’esprit avec l’émotion et rend subrepticement palpable la trame invisible de son spectacle.
Le poids de l’histoire
A plusieurs reprises, Rémi Larrousse fait référence à des périodes passées où la marionnette Diavolo a étonné « les grands de ce monde ». Notamment à la fin du XIXème siècle en Angleterre, devant la princesse Victoria et le Lord Stanley. Des expériences qui sont recréées plus d’un siècle après devant le public du Trévise.
L’utilisation d’un « être miniature » comme support d’expériences magiques renvoie à la grande vogue des assistants magiciens automates dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Jean Eugène Robert-Houdin les a utilisé à foison, mais aussi John Nevil Maskelyne avec Psycho, ou encore le télépathe Robert Heller (William Henry Palmer) vers 1877 avec son petit clown, l’arlequin automate.
Diavolo nous fait plus précisément penser à deux automates : L’un fabriqué par Robert-Houdin vers 1849, un voltigeur au trapèze nommé Diavolo Antonio ; l’autre sortant du Roman Hugo Cabret pour son côté « coffre à secret ».
Maître de cette marionnette, un magicien à l’identité secrète (révélée à la fin du spectacle), un illusionniste du XIXème siècle mort sur scène en 1912 et abandonnant, malgré lui, sa marionnette à des collectionneurs envieux.
Répertoire
Alter Ego est essentiellement basé sur des effets de divinations. Et pour cause, ce répertoire était le plus répandu à la fin du XIXème siècle avec notamment l’expérience de la double vue.
A sa manière, Rémi Larrousse explore la voie ultra balisée du mentalisme « ambiant ». Il détourne subtilement les « expériences » de divination grâce à l’intervention de sa marionnette ; ce qui permet de justifier pleinement la discipline à la manière du télépathe et de son assistant.
Parmi les expériences :
– Les trois billes blanches et la bille noire
– Le mot du journal (déchiré) avec l’utilisation d’une boule de cristal pour faire participer le spectateur et justifier la présence de la balle transparente apparue plus tôt.
– Le carré magique avec un nombre choisi par le spectateur
– La divination de trois dessins avec les yeux bandés façon Gary Kurtz
– Les initiales sur l’ardoise
– Divination d’un personnage historique par un portrait réalisé en peinture façon Jean Pierre Blanchard
Signalons en tour de prestidigitation, les aiguilles avalées avec un verre d’eau. « Tour rendu célèbre par le magicien propriétaire de Diavolo à la fin du XIXème siècle lors d’une tournée en Russie. »
Enfin, en jonglage, une belle séquence de Contact Juggling avec une balle en cristal façon Mika Quartz et quelques bulles de savon.
Filiation
Parler de poésie pour un spectacle, c’est se confronter à une montagne de clichés. Tout peut-être considéré comme « poétique » ! Dans Alter Ego, la poésie naît du dialogue qui s’instaure invisiblement entre le magicien et sa marionnette. Plus encore entre une subtile filiation générationnelle qui amène la figure du double vers celle du père et du maître. Il ne s’agit plus alors de dualité mais de trinité, débarrassée de tout christianisme mais chargée d’une sacralité : celle de la création.
La métaphore atteint le public de la salle dans une belle séquence où la marionnette tisse un lien très fort et très visuel avec les spectateurs. Un fil d’Ariane qui nous permet de « retrouver notre chemin », au sens propre comme au sens figuré. « Objet inanimé avez-vous une âme ? Vous avez donc du cœur ! »
Ayant retrouvé l’identité du mystérieux magicien propriétaire de Diavolo, le temps s’arrête, s’écoule, se décompose en forme de sable pour signifier les retrouvailles du passé et du présent. Personne ne naît de rien et doit tout à un aîné. Le fil de la création ne se rompt jamais…
Derrière les choses
Suite logique des choses et des espoirs que l’on a placé en lui depuis Le Script, Rémi Larrousse nous étonne par sa faculté à synthétiser différentes disciplines en proposant une forme très personnelle de magie théâtrale. Riche de diverses expériences et stages dans différents domaines (Jonglage, marionnette, peinture, dessin, mime), il arrive à construire une histoire qui tient la route, teintée de références historiques précises.
Même si les « procédures » des expériences de mentalisme pèsent sur le rythme général et la mise en scène, le spectacle est bien équilibré et monte en crescendo lors des dix dernières minutes, dans une avalanche de révélations. Révélations qui font office de climax emprunt d’une vraie poésie qu’accentue le lyrisme de la musique.
Au final, Alter Ego pose une multitude de questions à différents degrés : Qui manipule qui ? Sommes nous tous sous influence ? Quel est le poids du passé sur nos vies ? Avons-nous tous un alter ego ? Le passé dialogue t-il avec le présent ? Est-ce que tout est déjà écrit d’avance ? Si beaucoup de questions restent en suspend, une chose est sûre, le spectacle nous aura tenu en haleine du début à la fin.
A lire :
– L’interview de Rémi Larrousse.
– Son spectacle Le Script .
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