Extrait de la revue L’Illusionniste, N° 114 de juin 1911.
La trilogie des Herrmann, aujourd’hui disparue, comprenait Carl, Alexandre et Léon. Nous avons donné, dans le n°112, la biographie de Carl, fondateur de la dynastie.
Le n° 16 de notre journal fut consacré à son neveu, Léon Herrmann, alors qu’il était encore de ce monde, et nous eûmes, depuis, la pénible tache de lui consacrer un article nécrologique en juin 1909 (n° 90). Il nous reste donc à tracer rapidement le portrait d’Alexandre Herrmann (Alexander « the Great » Herrmann), frère de Carl.
Carl, Alexandre et Léon Herrmann.
Nous avons dit que Samuel Herrmann avait eu 16 enfants, dont Carl était l’aîné. Alexandre, le plus jeune, naquit à Paris le 11 février 1843. Son père caressait l’espoir de le voir devenir médecin comme lui ; mais le désir et l’ambition d’Alexandre étaient d’être magicien et de partager les succès de Carl. Un jour, il disparut du toit paternel, enlevé par son frère, aux côtés duquel il fit sa première apparition en public, à l’âge de huit ans, à St-Pétersbourg. Si jeune, sa dextérité, son ingéniosité et sa présence d’esprit furent trouvées merveilleuses ; mais la soudaine apparition du papa Samuel dissipa les rêves de gloire du jeune thaumaturge qu’une magistrale, et sans doute postérieure correction ramena à la maison. Ses aspirations n’en restèrent pas moins tournées vers la prestidigitation, et le père céda bientôt aux instances des deux frères, à la condition, toutefois, que le retour d’Alexandre sur le théâtre ne serait pas un obstacle à son éducation.
Carl engagea donc deux éminents professeurs pour voyager avec sa compagnie et instruire le jeune prodige. Pendant six ans, les frères voyagèrent ensemble, visitant l’Espagne, la France, l’Allemagne, la Russie et les pays environnants. Ils firent leur première apparition en Amérique, à l’Opéra de New-York, le 16 septembre 1861, et, le 20 septembre 1869, Carl présentait, au public, Alexandre comme son frère et son successeur. Ils se séparèrent alors. Au cours d’un voyage en Europe, Alexandre donna une remarquable série de cent représentations à l’Egyptian-Hall de Londres de 1871 à 1873 ; après quoi il visita le Brésil, l’Amérique du Sud, revint aux Etats-Unis où il obtint sa naturalisation et se fixa à Boston en 1876. Son physique avait quelque rapport avec celui qu’on se plaît à attribuer à sa majesté satanique. Il cultivait cette ressemblance et cherchait, par tous les moyens possibles, à l’augmenter, estimant que, dans la croyance populaire, cet aspect méphistophélesque devait confirmer ses pouvoirs surnaturels. En dépit de cette apparence, sa figure était agréable et ses manières toujours simples et bienveillantes. Doué d’une véritable adresse, manuelle, il tirait également un grand parti de l’expression de sa physionomie. Si son regard lumineux se portait dans une certaine direction, tous les yeux, comme attirés par un mystérieux pouvoir, étaient contraints de s’y diriger. Il avait ainsi toutes les chances de réussir les trucs merveilleux qui faisaient l’étonnement du monde. C’est surtout dans les séances privées et dans les cercles, qu’Alexandre était félicité comme prestidigitateur.
(Document : The Harvard theater collection)
Citons quelques uns des tours qu’il exécutait dans ces circonstances :
Prenant un verre plein jusqu’aux bords d’un vin pétillant et le portant à ses lèvres, il en provoquait la disparition soudaine, feignant d’être, lui même, surpris et consterné. Le verre était retrouvé, toujours plein, dans la poche de l’un de ses voisins. Il plaçait un anneau au doigt d’une personne et, dans ces conditions, le faisait disparaître immédiatement. Une pièce d’argent d’un dollar était changée en une pièce d’or de vingt dollars. Une bouteille de Champagne escamotée était retrouvée sous l’habit d’un gentleman. Il était excellent ventriloque et imitateur d’oiseaux ; très adroit jongleur et ombromane, mais il se dispensait d’exhiber ces talents en public. Il affectionnait particulièrement l’hypnotisme, qu’il pratiquait volontiers et auquel il attribuait un grand nombre de ses succès. Sa supériorité résidait dans les tours de cartes ; il exécutait tous les tours ordinaires et, avec beaucoup de facilité et de grâce, il lançait les cartes autour d’une salle de théâtre, les envoyant sur les genoux et même dans les mains des personnes qui les demandaient.
Programme d’Alexander Herrmann à L’Egyptian Hall en 1872 (Document : British Library).
Polyglotte de premier ordre, Alexandre parlait couramment français, allemand, espagnol, italien, russe, hollandais et anglais. Il avait, de plus, quelques connaissances
des idiomes portugais, chinois, arabes et suédois. Il fut décoré par tous les souverains d’Europe, et beaucoup d’entre eux lui firent don de joyaux de grande valeur L’empereur Nicolas de Russie, devant qui il venait de donner une séance, le décora en le complimentant sur son adresse et lui dit : « Je vais vous montrer un tour ». Prenant un paquet de cartes, le tzar le déchira en deux moitiés, ajoutant avec bonne humeur : « Que pensez-vous de cela ? Pourriez-vous en faire autant ? » Sa surprise fut grande de voir Herrmann prendre une des moitiés et la séparer en deux parts.
Herrmann The Great en 1885.
Pour tout dire, sa carrière de magicien fut un succès ininterrompu. A sa mort, les journaux publièrent des articles nécrologiques qui montrèrent qu’il était considéré partout comme un homme éminent. C’est au cours d’une tournée, pendant un voyage de Bochester à Bradfort, qu’il mourut dans son wagon personnel le 17 décembre 1896. Souhaitons à tous les magiciens une carrière aussi belle et aussi bien remplie.
Jean Caroly
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Collection S. Bazou, Collection Christian Fechner / Didier Morax, British Library, The Harvard Theater Collection. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.